La Cour Suprême du Canada invalidait récemment un article du Code criminel qui interdisait à un médecin d’aider une personne à s’enlever la vie:
L’alinéa 241b) et l’art. 14 du Code criminel portent atteinte de manière injustifiée à l’art. 7 de la Charte et sont inopérants dans la mesure où ils prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition1.
Par ce jugement, signé unanimement—ce qui témoigne de la force et de l’unité régnant autour de cette décision—le plus haut tribunal du pays indiquait qu’il était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, et conséquemment inconstitutionnel, de maintenir une prohibition totale de l’aide à mourir. La Cour concluait que l’article actuel du Code criminel violait le droit à la vie, la liberté et la sécurité de certaines personnes par sa très grande portée. Ce jugement vise les adultes considérés comme étant capables au sens de la loi et pouvant donner clairement leur consentement, et qui souffrent de manière persistante et intolérable à cause de problèmes de santé graves et irrémédiables.
Cette décision soulève bien des enjeux et amène plusieurs questions. L’une de celles-ci est de déterminer quels sont les patients qui pourront dorénavant demander l’aide à mourir. Évidemment, on pense immédiatement à tous ceux qui souffrent d’une maladie chronique débilitante et irréversible comme la sclérose latérale amyotrophique, la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson. Ces malades deviennent progressivement grabataires et leurs conditions de fin de vie deviennent, vers la fin, épouvantables. Elles sont souffrantes, désespérées, épuisées et ne souhaitent souvent qu’une chose: en finir. Ces personnes méritent certainement qu’on les aide à mourir dignement.
Mais qu’en est-il des autres malades présentant de conditions toutes aussi graves et irrémédiables? Est-ce qu’un patient insuffisant respiratoire, atteint d’une maladie pulmonaire obstructive chronique sévère, d’une insuffisance cardiaque sévère ou d’une fibrose pulmonaire, perpétuellement essoufflé malgré tous les traitements prodigués, oxygéno-dépendant, cortico-dépendant, qui n’a plus aucune qualité de vie et qui souhaite ardemment mettre fin à ce calvaire, pourrait demander qu’on l’aide à mourir? Est-ce qu’un patient tétraplégique, confiné au lit, ayant développé de graves escarres de pression qui lui rongent le bassin, éprouvant d’épouvantables douleurs fantômes, et qui se laisse mourir en refusant tous les traitements, pourrait y avoir droit aussi? Ou bien, est-ce qu’un patient déprimé, gravement et chroniquement déprimé, qui résiste à tous les traitements imaginables et qui n’en peut plus de vivre, qui a fait plusieurs tentatives avortées de suicide, qui se laisse mourir à petit feu, pourrait lui aussi demander grâce? Pire encore, est-ce qu’une personne qui aurait commis un crime abominable—imaginons le pire des crimes, celui d’avoir tué ses enfants, par exemple—et qui n’arrive pas à se pardonner et à qui la société ne pardonnera jamais, et qui refuserait de s’alimenter pour pouvoir mettre fin à ses jours, pourrait demander qu’on l’aide à mourir?
Certaines législations ont prévu d’encadrer l’aide à mourir. Par exemple, au Québec, la Loi concernant les soins de fin de vie prévoit que seule une personne satisfaisant à toutes les conditions suivantes pourrait obtenir l’aide à mourir: elle est une personne assurée au sens de la Loi sur l’assurance maladie; elle est majeure et apte à consentir aux soins; elle est en fin de vie; elle est atteinte d’une maladie grave et incurable; sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités; elle éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables2. La loi prévoit aussi que la personne doit, de manière libre et éclairée, formuler pour ellemême la demande d’aide médicale à mourir au moyen du formulaire prescrit par le ministre.
Ces conditions sont certes justes et louables. Mais toutes les personnes que nous présentions précédemment ne répondent-elles pas toutes à ces critères? Au point où elles en sont rendues, ne sont-elles pas toutes en fin de vie, atteintes d’une maladie grave et incurable, en déclin avancé et probablement irréversible de leur capacité, et éprouvant des souffrances physiques ou psychologiques insupportables et intolérables?
Pourtant plusieurs d’entre nous ressentons un certain malaise à l’idée qu’on pourrait leur offrir de l’aide à mourir, particulièrement pour celles figurant parmi les derniers de la liste.
Qui décidera et comment cela se fera-t-il?
Alors, qui déterminera ceux qui seront admissibles à l’aide à mourir et ceux qui ne le seront pas? Leur médecin traitant? Un consultant désigné à cette fonction? Le comité d’éthique? Le directeur de l’établissement? Le ministre de la santé? La législation québécoise prévoit un ensemble de règles à cet égard (articles 29, 30 et 31)2.
Et comment procédera-t-on? Suffira-t-il que chacun des critères énoncés soient présents? Si tel est le cas, certains critères peuvent être plus difficiles à garantir que d’autres. Par exemple, le caractère grave et incurable d’une maladie n’est pas toujours aussi facile à établir qu’on le croit. Il suffit de suivre le parcours imprévisible des patients emphysémateux, admis aux soins intensifs en détresse respiratoire, intubés parce qu’ils manquent dangereusement d’oxygène, et qui, de guerre lasse, demandent après quelques jours à être extubés afin de mourir en paix. Il n’est pas rare d’en voir parmi eux survivre miraculeusement à la manœuvre et, contre toute attente, continuer à faire un bout de vie. Et puis, accordera-t-on davantage de poids à la souffrance physique qu’à la souffrance psychologique? Il est peu probable que le patient chroniquement déprimé ou la mère infanticide puissent bénéficier de l’aide à mourir même si leurs souffrances sont sans doute immenses et incommensurables, alors que celui que rien ne peut soulager et qui gémit désespérément pourra sans doute plus facilement y avoir droit.
Et puis qui seront les exécutants: le médecin de famille ou le médecin traitant? Encore lui! Au-delà de l’objection de conscience, il y a lieu de se demander s’il est vraiment le mieux placé pour jouer ce rôle. Tout au long de la maladie de son patient, il s’est efforcé de le guérir, de le soigner et de l’aider, et voilà qu’il met fin à ses jours. N’est-ce pas paradoxal? Ou bien confiera-t-on le travail à des anesthésio-thanatologues spécialisés en la matière? Peut-être bien?
Sédation palliative
Mais le plus aberrant dans ce changement législatif est que l’accompagnement et l’aide à la mort existent et sont pratiqués depuis fort longtemps. En présence d’un patient excessivement souffrant ou présentant des symptômes incoercibles, comme de la détresse respiratoire, de l’agitation excessive ou de la détresse psychologique (ou tout autre symptôme), le médecin a l’obligation morale et déontologique d’offrir un soulagement pouvant aller jusqu’à la sédation palliative. Cette pratique est courante en soins palliatifs. Toutefois, la grande différence entre la sédation palliative et l’aide à mourir se situe dans l’intention. Dans le premier cas, l’objectif premier est de soulager le patient et de le rendre confortable, même si la mort peut survenir au détour; alors que dans le deuxième, la mort est l’objectif visé. C’est comme si le législateur et la société en général avaient minimisé ces pratiques.
Conclusion
En fin de compte, que l’on soit d’accord ou pas avec la décision, le plus haut tribunal du pays a établi que l’on ne pouvait empêcher un médecin d’aider son patient à mourir. Cela veut-il dire pour autant qu’il faille abréger ses jours, et ce, même si le patient le lui demande, et même s’il est possible de l’aider autrement?
Footnotes
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This article is also in English on page 301.
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