Je vais présenter deux arguments en faveur de la notion que le suicide assisté est dans le meilleur intérêt de certains patients : la mort peut parfois être dans le meilleur intérêt d’un patient; les patients aptes sont bien placés pour déterminer quand la mort est dans leur intérêt. Je vais ensuite proposer que les médecins ont un rôle à jouer dans le suicide assisté en inversant la prémisse de ce débat et en proposant que de refuser à un patient le droit à une aide médicale à mourir ne sert les intérêts de personne.
Je parle en tant que personne nord-américaine et laïque, qui préconise l’autonomie personnelle sous réserve de limites justifiables selon des faits empiriquement vérifiables. Mes arguments s’adressent à ceux qui ont une orientation morale semblable. Je respecte ceux et celles qui sont en désaccord avec moi pour des motifs religieux et je reconnais que mes propos pourraient ne pas répondre à leurs préoccupations.
La mort peut parfois être dans le meilleur intérêt du patient
La vie est précieuse, mais pas infinie. Lorsqu’ils sont confrontés à un pronostic sombre, certains patients ou leurs proches trouveront de la force dans un vieux dicton : « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». Mais ce dicton relève davantage d’une prière pour que la situation s’améliore plutôt qu’une affirmation au sens littéral que toute personne ayant des signes vitaux devrait être maintenue en vie à tout prix.
De nombreuses instances religieuses adhèrent à la notion vitaliste que toute vie est précieuse. Cependant, ces mêmes instances croient qu’il est mal de prolonger indéfiniment la vie par des moyens artificiels et acceptent les limites des thérapies qui prolongent la vie1,2. La plupart accepte le principe du double effet selon lequel un patient peut recevoir des médicaments de soulagement qui peuvent potentiellement raccourcir la vie, en autant que cet abrègement ne soit pas l’intention du traitement. Ceux qui acceptent qu’il n’est pas nécessaire de prolonger la vie indéfiniment ou qu’une vie peut être mise en danger pour apporter un confort acceptent implicitement que la vie n’a pas une valeur infinie. Ils reconnaissent que la compassion peut parfois se manifester uniquement par des gestes pouvant compromettre la longévité.
La mort n’est pas une expérience optionnelle et, au Canada, elle est habituellement un événement prévisible précédé par une maladie chronique incurable3. Si elles avaient le choix, de nombreuses personnes essaieraient de retarder la mort et certaines auraient recours à des moyens agressifs pour prolonger la vie, même face à une situation désespérée. D’autres patients ont des choix limités pour prolonger leur vie et, même s’ils sont cognitivement intacts, leur qualité de vie et leur fonctionnement se détériorent en deçà de ce qu’ils considèrent acceptable. Ces patients choisissent habituellement des soins axés sur le confort et sont satisfaits d’attendre une mort « naturelle ». Toutefois, d’autres préfèrent ne pas attendre qu’une complication vienne mettre fin à leur souffrance, comme en témoignent divers cas récents grandement médiatisés de Canadiens atteints de cancer du cerveau4, de la maladie d’Alzheimer5 et de sclérose latérale amyotrophique6. Quoi qu’il en soit, le patient accepte la possibilité de renoncer à une certaine durée de sa vie afin d’obtenir un certain confort. Il n’évitera pas la mort - il pourrait même la rechercher - et tous seraient soulagés lorsqu’elle surviendra.
Il pourrait y avoir une différence conceptuelle entre l’aide active et l’aide passive à mourir en retirant ou en omettant les thérapies. Quoi qu’il en soit, les deux approches se justifient par la même prémisse : la mort est dans le meilleur intérêt du patient. Les intérêts du patient ne sont pas affectés que l’issue se réalise activement ou passivement.
Les patients aptes sont bien placés pour déterminer quand la mort est dans leur intérêt
De nombreux Canadiens meurent aux soins intensifs, souvent à la suite d’une décision de ne pas recevoir de traitements essentiels au maintien de la vie ou en interrompant les traitements. Idéalement, cette décision vient du patient et nous sommes certains que c’est ce qu’il souhaite. Dans les faits, nous ne pouvons habituellement pas faire participer directement le patient à la décision; nous nous fions plutôt au mandataire spécial, qui est supposé reproduire la décision que le patient aurait prise en tenant compte des directives préalables ou des meilleurs intérêts du patient. La prise de décisions par un substitut comporte des lacunes. Les mandataires spéciaux sont des prédicteurs imprécis de ce qu’un patient voudrait7. Les directives préalables ne sont pas chose courante et elles sont habituellement trop vagues ou précises pour être utiles dans la prise de décisions médicales8. De plus, les mandataires spéciaux pourraient se retrouver en situation de conflits d’intérêts potentiels. Si le patient meurt, ils pourraient hériter leurs biens et ils n’auraient plus à subir le fardeau émotionnel et physique du rôle de proches aidants. Si le mandataire spécial a déjà été victime de violence sexuelle, physique ou psychologique, le patient pourrait avoir été l’agresseur.
En dépit de toutes ces préoccupations entourant la prise de décisions par un substitut, nous continuons à permettre aux mandataires spéciaux de décider quand permettre aux patients de mourir. Si nous acceptons un tel arrangement, pourquoi alors serions-nous mal à l’aise d’agir selon la volonté exprimée directement par le patient, sans qu’il n’y ait d’éventuelles inexactitudes, mauvaises interprétations ou conflits d’intérêts? Nous sommes prêts à respecter les souhaits de patients aptes en phase terminale de recevoir des soins palliatifs ou de renoncer à des traitements qui prolongeraient leur vie. Nous n’insistons pas pour qu’ils poursuivent la chimiothérapie jusqu’à ce qu’ils succombent à une mort « naturelle ». Nous n’essayons pas de les convaincre qu’un ventilateur les aidera à trouver un sens à leur vie. Nous respectons leur capacité de savoir quand ils en ont eu assez. Si on permet aux patients de décider quand une mort passive est dans leur intérêt, pourquoi ne pas les laisser décider quand une mort active serait dans leur meilleur intérêt?
Personne ne bénéficie lorsque l’on refuse à un patient le droit à l’aide médicale à mourir
Nous devons avoir des motifs solides pour empêcher une personne rationnelle d’agir selon ses meilleurs intérêts. Les arguments courants contre la légalisation de l’aide médicale à mourir sont présentés comme un souci des effets sur les personnes vulnérables, de la disponibilité des soins palliatifs et des médecins en tant que groupe. Aucune de ces préoccupations n’est corroborée par des données.
Des statistiques en provenance des États-Unis (É.-U.) démontrent qu’au nombre des patients qui reçoivent de l’aide médicale à mourir, plus de 95 % sont de race blanche, plus de 93 % ont un diplôme d’études secondaires et plus de 97 % ont une couverture d’assurance-santé quelconque9. Des données venant de Suisse font valoir que les personnes les plus riches et les mieux éduquées sont plus de 2 fois plus susceptibles de recourir à l’aide médicale à mourir que celles plus pauvres et moins éduquées, tandis que les personnes institutionnalisées sont moins susceptibles de recevoir une aide à mourir que celles vivant dans des résidences privées10. Les personnes qui reçoivent une aide médicale à mourir ne sont pas des personnes vulnérables : elles sont des personnes privilégiées.
Les soins palliatifs semblent bien fonctionner dans les instances qui ont légalisé l’aide médicale à mourir. La légalisation de l’aide à mourir s’accompagne souvent d’une stratégie plus large et d’un financement plus important pour améliorer les services en fin de vie, comme aux Pays-Bas11 et dans le Territoire du Nord de l’Australie12 (où la loi a subséquemment été invalidée par le gouvernement fédéral). Aux É.-U., les trois États qui ont légalisé l’aide médicale à mourir, soit le Vermont, l’Oregon et Washington, occupent le premier, sixième et huitième rang respectivement dans ce pays au chapitre de la disponibilité de soins palliatifs dans les hôpitaux13. En 2010, l’Economist Intelligence Unit a classé l’environnement des soins de santé de base en fin de vie dans 40 pays12. Les pays où l’aide médicale à mourir est légale, notamment la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et les É.-U., occupaient respectivement le premier, quatrième, cinquième, septième et neuvième rang. Le Canada se classait vingtième.
Certains médecins affirment que la légalisation de l’aide médicale à mourir nuirait à la relation médecin-patient. Il s’agit d’un argument difficile à justifier dans un pays où 84 % de la population favorise l’aide médicale à mourir14. Selon des données en provenance de l’Oregon, les patients sont plus susceptibles de se fâcher contre des médecins qui s’opposent à l’aide médicale à mourir que contre ceux qui la favorisent15. De plus, l’Association médicale canadienne a essentiellement rejeté cet argument lors de sa récente assemblée annuelle, où 90 % des membres ont voté en faveur du droit de tous les médecins, dans les limites des lois existantes, de suivre leur conscience lorsqu’ils décident de fournir ou non ce que l’on désigne comme l’aide médicale à mourir16.
Certains se sont dits inquiets que l’aide médicale à mourir viole le serment d’Hippocrate et ont suggéré la création d’une nouvelle profession de praticiens de l’euthanasie. N’oublions pas que le serment d’Hippocrate a été modifié considérablement au fil des ans pour tenir compte des changements dans les lois et les sensibilités. Plus précisément, l’interdiction de l’avortement et les suggestions implicites que seuls les hommes devraient être formés en médecine ont été retranchées de la version originale17. Les lois, les politiques et les codes de déontologie évoluent avec le temps. De nombreux médecins croient maintenant que l’aide médicale à mourir s’inscrit dans leur devoir de diligence lorsque les autres moyens de traiter la souffrance en fin de vie ont échoué. Un médecin peut offrir diverses thérapies mises à part l’aide médicale à mourir qui permettent de soulager la souffrance, jusqu’à la toute fin. Quelles autres options un praticien de l’euthanasie pourrait-il offrir?
Notes
CONCLUSIONS FINALES — OUI
James Downar md cm mhsc(Bioethics) frcpc
-
Certains patients ont des choix limités pour prolonger leur vie et, même s’ils demeurent cognitivement intacts, leur qualité de vie et leur fonctionnement se détériorent en deçà de ce qu’ils considèrent acceptable. Ces patients choisissent habituellement des soins axés sur le confort et sont satisfaits d’attendre une mort « naturelle ». D’autres patients, toutefois, préfèrent ne pas attendre qu’une complication vienne mettre fin à leur souffrance. Quoi qu’il en soit, le patient accepte l’idée de renoncer à une certaine durée de sa vie pour améliorer son confort.
-
Nous respectons les décisions des mandataires spéciaux de mettre effectivement fin à une vie en refusant ou en cessant un traitement, en dépit des inexactitudes et des conflits d’intérêts connus qui sont inhérents à la prise de décisions par un substitut. Pourquoi sommes-nous réticents à respecter la volonté du patient de mettre fin à sa propre vie, lorsque cette volonté est dépourvue des inexactitudes et des conflits d’intérêts susmentionnées?
-
Les arguments courants contre la légalisation de l’aide médicale à mourir se soucient des effets sur les personnes vulnérables, de la disponibilité des soins palliatifs et des médecins en tant que groupe. Aucune de ces préoccupations n’est corroborée par des données.
Footnotes
-
This article is also in English on page 314.
-
Intérêts concurrents
Le Dr Downar est coprésident du Physicians Advisory Council of Dying with Dignity Canada, une organisation sans but lucratif qui préconise de meilleurs soins en fin de vie et le droit à une assistance médicale à mourir.
-
Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans les réfutations à www.cfp.ca. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses à www.cfp.ca
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada