La question de l’aide médicale à mourir est complexe et empreinte d’émotions et nous ne devons pas permettre que la vérité en soit une victime. Tant les professionnels de la médecine que la population en général peinent à comprendre les distinctions entre l’euthanasie et le suicide médicalement assisté et beaucoup d’autres ne savent pas faire la différence entre ces actes et le simple refus ou l’interruption des traitements1. Nous devons exiger une clarté courageuse et respectueuse de même qu’en faire preuve.
L’expression aide médicale à mourir est ce qui est poliment reconnu comme un euphémisme. L’euphémisme désigne la substitution par une expression atténuée, indirecte ou vague de celle qu’on qualifierait d’offensive, brusque ou crue2. Adam Gopnik écrivait récemment dans The New Yorker ce qui suit :
L’euphémisme est un problème moral qui ne relève pas de la cognition. Lorsque Dick Cheney appelle la torture « un interrogatoire approfondi », il ne nous fait pas comprendre différemment la torture; c’est seulement un moyen pour ceux qui savent qu’ils ont mal agi de trouver une phrase qui ne nous porte pas immédiatement à reconnaître leur malfaisance3.
La substitution de mort assistée par un médecin ou l’omniprésente aide médicale à mourir (ce que je dispense au quotidien) pour l’euthanasie (un euphémisme en soi) ou le suicide médicalement assisté, expressions plus exactes même si elles sont plus répugnantes, représente au mieux une tentative déplacée de respecter le décorum ou la délicatesse4, et souvent une offuscation délibérée. Il est regrettable et franchement embarrassant que notre revue, comme l’Association médicale canadienne, ait choisi d’utiliser ce langage. Ce n’est pas une simple question de sémantique.
Compassion
Le dilemme avec lequel les Canadiens se débattent est de savoir s’il est dans le meilleur intérêt de tous que la Cour suprême du Canada semble avoir légalement autorisé les médecins, dans des circonstances définies de manière imprécise et ambiguë, à tuer un nombre restreint (jusqu’à présent) de patients consentants (pour l’instant) ou à les aider à se suicider.
Je suis fermement convaincu que ce n’est pas le cas.
Je suis entièrement d’accord avec le Dr James Downar lorsqu’il dit qu’il existe des types de souffrances que nous n’avons pas la capacité de traiter5; il serait arrogant de prétendre le contraire. La souffrance, la tristesse et la douleur font partie de la condition humaine.
Toutefois, comme le fait éloquemment remarquer Margaret Somerville, l’enjeu présent concerne non seulement :
notre légitime et profonde sympathie pour les personnes qui vivent des souffrances graves…, mais aussi si l’autorisation accordée aux médecins d’intervenir avec l’intention première d’infliger la mort est intrinsèquement acceptable comme principe fondamental et valeur essentielle1.
Je suis fermement convaincu que ce n’est pas le cas.
Avant que les traitements n’éclipsent les soins, la relation entre un médecin et son patient était au cœur de la médecine. L’adjectif possessif est important : mon docteur, mon patient. Soigner des patients est une activité de compassion. Le mot compassion dérive du latin compati6, qui désigne souffrir ensemble. Les obstacles actuels à des relations médecin-patient empreintes de compassions sont immenses : une population vieillissante, une spécialisation médicale accrue, des hôpitaux et des établissements de santé surchargés, sans compter les professionnels de la santé qui semblent souvent épuisés et distraits.
Nous ne devrions sûrement pas offrir de tuer nos patients pour compenser le fait que nous sommes devenus trop occupés pour les soigner. Comme les surspécialistes qui semblent trop souvent abandonner les patients « lorsqu’il n’y a plus rien à faire », la société qui légalise et normalise l’euthanasie et le suicide assisté par un médecin risque d’abandonner ses membres les plus vulnérables.
Médicalisation
Le mouvement « mourir dans la dignité », pour toute sa passion bien intentionnée et louable, est à la fois une réaction logique à ce qu’Ivan Illich appelait, il y a 50 ans, la médicalisation et une extension pathologique de ce phénomène. Bref, la médicalisation est le processus selon lequel les multiples mécanismes, dysfonctions et idiosyncrasies complexes de la vie finissent par être définis comme des problèmes médicaux. La mauvaise haleine devient l’halitose, l’impotence, une dysfonction érectile et la sénilité, de la démence.
La mort et le mourir sont devenus des problèmes médicaux. Avec sa méprise scandaleusement naïve que tout ce qui pourrait causer la mort humaine est un ennemi, la recherche médicale, le summum de la médicalisation, a permis à des générations entières de survivre à leur autonomie. Le spectre du « foyer d’accueil » nous hante tous. La perte de fonctionnement et de contrôle banale, si ce n’est toujours bénigne, auparavant connue sous le nom de mourir, est maintenant considérée indigne, et même pire d’une certaine manière, si la mort approche bientôt. (« Si elle doit bientôt mourir, pourquoi laissons-nous la situation perdurer? ») Certains redoutent les apparentes indignités qui accompagnent le mourir lent et naturel, tandis que d’autres craignent une mort médicalisée, piégée dans les tentacules d’une médecine qui ne semble pas vouloir lâcher prise.
Depuis longtemps, les patients ont le droit de refuser un traitement mais, avec l’accroissement de l’autonomie du patient et la modification concomitante de la médecine, les patients (maintenant devenus des « clients ») sentent de plus en plus qu’ils ont le droit d’exiger des traitements. Devons-nous maintenant médicaliser davantage leur mort en leur offrant l’aide médicale à mourir ou l’euthanasie comme l’intervention ultime, une solution finale apaisante, quoique paradoxale, aux promesses rompues de la médecine et à son incursion trop profonde dans nos vies?
Non.
La solution à nos vies et à nos morts médicalisées n’est pas une autre seringue ni plus de pilules. Nous devons parler ouvertement de la fin de la vie et être moins prudes au sujet des apparences, des bruits et des odeurs étonnamment ordinaires de la mort normale. Quoique que nous ne devions pas souhaiter ou glorifier la souffrance, nous ne devrions pas non plus aspirer à une mort artificielle, aseptisée et idéalisée.
Dans une judicieuse critique de la médecine, et des soins palliatifs en particulier, Marcia Angell fait valoir qu’il existe maintenant dans l’esprit de plusieurs une image naïve et idéalisée d’une « bonne mort »7. Les partisans de l’euthanasie, comme certains défenseurs trop zélés des soins palliatifs, sont à la recherche d’un rêve chimérique, aussi contraignant qu’illusoire. Et pourtant, la plupart d’entre nous qui avons le privilège de soigner les gravement malades et les mourants attestons d’une résilience infinie chez nos patients et leurs proches. Les gens meurent comme ils ont vécu. Certains s’appuient sur des relations, d’autres sur la foi et la plupart sur des réserves auparavant inconnues de force intérieure.
Certains pourraient considérer ces questions comme étant privées et personnelles, surtout si on leur accorde le statut d’interventions médicales. Les conversations entre médecin et patient sont effectivement sacrosaintes. Mais les conventions sociales et juridiques collectivement approuvées qui définissent leurs obligations respectives, – ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire avec eux et l’un à l’autre (sans égard au consentement) – ne sont pas des enjeux exclusivement privés. Nous sommes tous concernés et c’est l’affaire de tout le monde.
Implications profondes
Comme la guerre, la légitime défense et les exécutions sanctionnées par certains états, qui sont les exceptions habituelles à l’interdiction de tuer intentionnellement des humains, l’aide médicale à mourir et l’euthanasie ont des implications profondes non seulement pour les participants actifs, mais aussi pour les êtres chers laissés derrière et pour des communautés entières (en particulier les personnes handicapées et marginisées).
La légalisation de l’euthanasie et de l’aide médicale à mourir, loin de respecter les interactions privées entre patient et médecin, exigerait une transparence, des protections et une supervision bureaucratiques. Avec une ironie visionnaire, Margaret Somerville met en évidence un écart de logique entre l’argument en faveur d’un droit absolu à l’autonomie de choisir la manière, le moment et l’endroit de sa mort et ensuite, l’imposition de limites à l’accès à l’euthanasie en fonction de circonstances soigneusement règlementées1. Les contestations en vertu de la Charte et les revendications en faveur d’un accès libéralisé sont inévitables et réussiront. (La loi de 2002 de la Belgique, qui interdisait l’euthanasie de ceux en deçà d’un certain âge, a récemment été modifiée pour décriminaliser le meurtre par compassion des enfants et ce, sans restrictions d’âge8.)
Le journaliste britannique Kevin Yuill, décrivant ce qu’il déplore être un élan important pour le clan en faveur de la légalisation, fait remarquer que le fait qu’il y en ait tant qui ont rejoint les mouvements voués à la liberté de si peu de gens devrait nous alerter à la réalité que le besoin n’est pas de nature pratique mais plutôt psychologique4. Même si nous devons être indulgents, nous semblons sur le point de changer les lois et les normes, moins pour soulager la véritable souffrance des Canadiens mourants que pour diminuer l’impuissance frustrante mais profondément humaine de leurs êtres chers et pour apaiser l’anxiété d’une population mal informée, des gens effrayés par un avenir qui pourrait ne jamais se produire et qui, une fois arrivé, pourrait être moins indigne que prévu, comme nous le rappellent constamment les personnes handicapées et mourantes.
À la fin d’août 2014, alors que je rédigeais cet article, une octogénaire de la Colombie-Britannique, Gillian Bennett, avalait du poison plutôt que de faire face à « l’indignité » qui la menaçait en raison de sa démence en progression. Une psychothérapeute à la retraite, qui avait probablement encadré et mis au défi des personnes aux prises avec des difficultés, avait choisi le suicide. Son geste posthumément public a démontré la facilité avec laquelle même une personne fragile et défaillante peut se suicider. Il n’est pas nécessaire de changer les lois, d’élaborer des lignes directrices ou de créer des comités d’experts. Tragiquement, c’est plus facile que jamais.
Notes
CONCLUSIONS FINALES — NON
Edward (Ted) St Godard MA MD CCFP
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Les obstacles actuels à des relations médecin-patient empreintes de compassion sont considérables. Nous ne devrions pas offrir de tuer des patients pour compenser le fait que nous sommes devenus trop occupés pour les soigner. Comme les surspécialistes qui semblent trop souvent abandonner les patients « lorsqu’il n’y a plus rien à faire », la société qui légalise et normalise l’euthanasie et le suicide assisté par un médecin risque d’abandonner ses membres les plus vulnérables.
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La mort et le mourir sont devenus des problèmes médicaux. La perte de fonctionnement et de contrôle autrefois connue sous le nom de mourir est maintenant considérée comme indigne. Nous devons parler ouvertement de la fin de la vie et être moins prudes devant les apparences, les bruits et les odeurs étonnamment ordinaires de la mort normale. Même si nous ne devons pas souhaiter ou glorifier la souffrance, nous ne devrions pas non plus aspirer à une mort artificielle, aseptisée et idéalisée.
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La légalisation de l’euthanasie et de l’aide médicale à mourir, loin de respecter les interactions privées entre patient et médecin, exigerait une transparence, des protections et une supervision bureaucratiques. Nous semblons sur le point de changer les lois et les normes, moins pour soulager la véritable souffrance des Canadiens mourants et plus pour diminuer l’impuissance frustrante et profondément humaine de leurs proches et pour apaiser l’anxiété de gens effrayés par un avenir qui pourrait ne jamais se produire et qui, une fois arrivé, pourrait être moins indigne que prévu.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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