Les facteurs favorisant le maintien à domicile des patients en fin de vie ont fait l’objet de nombreuses publications. Regroupés sous l’appellation « équipe complète » de soins palliatifs à domicile, ces facteurs consistent en une expertise infirmière et médicale en soins palliatifs à domicile, une accessibilité médicale et infirmière 24 heures, des services de travailleurs sociaux et d’ergothérapeutes adaptés aux situations palliatives à domicile et de l’aide à domicile au besoin1,2. Le CLSC de Verdun a mis sur pied une telle équipe.
Le Québec possède un réseau provincial étendu de CLSC. Un de leurs mandats est d’offrir à domicile des soins infirmiers généraux, des services de travailleurs sociaux, d’ergothérapeutes et de physiothérapeutes, ainsi que de l’aide à domicile. Mais rares sont les CLSC qui offrent des services infirmiers dédiés aux soins palliatifs et très rares sont ceux qui offrent des services médicaux à domicile aux patients en fin de vie. On sait pourtant qu’une majorité désire demeurer à domicile et que l’accès à une équipe de soins palliatifs à domicile réduit le nombre d’hospitalisations et de décès en hôpitaux des patients en fin de vie, avec une qualité de soins comparable3.
MÉTHODOLOGIE
Cette étude porte sur les patients en fin de vie suivis en 2012 et 2013 par les infirmières dédiées en soins palliatifs du CLSC de Verdun, un territoire urbain situé dans le sud-ouest de Montréal. Les patients qui désiraient demeurer à domicile pouvaient appeler eux-mêmes pour obtenir ces services. Ils étaient sinon référés par des médecins hospitaliers ou de première ligne: tous les patients pris en charge par les infirmières de soins palliatifs du CLSC furent intégrés dans la recherche sans exclusion (Tableau 1).
Seuls 8 patients sur 212 étaient atteints d’une autre condition que le cancer. Ceci n’est pas surprenant. Le cancer terminal présente une évolution clinique plus favorable aux soins palliatifs à domicile puisque plus linéaire et brève, avec une fin de vie plus facile à détecter alors que les autres conditions terminales présentent une évolution habituellement plus longue avec des décompensations aigues moins prévisibles et difficiles à distinguer de la fin de vie imminente4.
Le pourcentage de décès à domicile fut choisi comme l’indicateur principal de notre étude: malgré ses limites, cet indicateur n’en demeure pas moins un facteur reconnu d’évaluation de la qualité du travail des équipes de soins palliatifs à domicile5. Les patients qui n’avaient pas de médecin de famille, une majorité, furent pris en charge à domicile par les médecins du CLSC de Verdun. Par contre, plusieurs patients qui avaient déjà un médecin mais hors du CLSC ne furent jamais visités à domicile par ceux-ci.
RÉSULTATS
La majorité des patients furent suivis par un médecin du CLSC (171 sur 212, soit 80,7 %) (Tableau 2). De ce nombre, 107 patients restèrent à domicile jusqu’au décès (62,6 %) contre 12 patients sur 22 lorsque suivis par un médecin hors du CLSC (54,5 %) (Tableau 3) pour une moyenne de 56,6 % de décès à domicile pour l’ensemble des patients suivis à domicile par un médecin et par l’équipe d’infirmières dédiées (Tableau 4). Parmi les 19 patients qui n’ont jamais étés visités à domicile par un médecin, seul un patient a pu demeurer à son domicile jusqu’au décès malgré la prise en charge par les infirmières dédiées (Tableau 2).
DISCUSSION
Cette étude se limite aux patients du territoire avec un diagnostic de fin de vie désireux de demeurer chez eux, des cas de cancer pour la plupart, donc ceux vivant déjà à domicile et ceux retournés à la maison après une hospitalisation. Il est à noter qu’une minorité des patients québécois en fin de vie demeure à domicile; la majorité des grands malades terminaux sont hébergés en centres de soins de longue durée ou hospitalisés en unités de soins de courte durée. À noter également que 71,0 % de nos patients furent référés par l’équipe de soins palliatifs du Hôpital de Verdun en raison d’une fusion fonctionnelle des services des soins palliatifs hospitaliers et du CLSC, fusion dont l’objectif commun est de prioriser le retour et le maintien à domicile.
Alors qu’à peine 9,8 % des Québécois meurent de cancer à domicile contre 18 % en Alberta, 18 % à 28 % au Royaume-Uni et 26,5 % en France6, le taux de décès à domicile par cancer dans notre région a augmenté de façon mesurable et significative depuis 2009, l’année de la mise sur pied de notre service. Un total de 14 % des patients décédés de cancer sur le territoire du CSSS de Verdun mouraient à domicile en 2009; 15,8 % en 2010; et 17 % en 2011. (Ce pourcentage était de 12,8 % en 2011 pour la grande région métropolitaine de Montréal dont Verdun fait partie)6–10.
Les données québécoises reflètent selon nous l’absence de soins palliatifs à domicile structurés au Québec en lien avec l’absence de suivi médical à domicile. Des infirmières de soins à domicile des CLSC ne peuvent pas suivre seules des patients en fin de vie, dans la phase avancée de la maladie surtout. Ces patients médicalement instables requièrent un suivi médical, tout comme s’ils étaient hospitalisés.
L’expertise infirmière est un élément crucial en soins palliatifs à domicile puisque ces professionnelles visitent seules les patients quotidiennement. Comme les CLSC ne recrutent habituellement pas d’infirmières détentrices d’une formation en soins palliatifs, le fait de concentrer ces patients aux mains des mêmes infirmières permet à celles-ci d’acquérir à tout le moins une expérience clinique rehaussée en soins palliatifs. L’augmentation des coûts de personnel pour les CLSC est alors minime puisqu’il s’agit surtout de redistribuer les cas entre les infirmières.
L’anticipation des problèmes typiquement associés à la fin de vie des différentes conditions terminales est le pain quotidien des infirmières et des médecins de soins palliatifs à domicile, en raison de la préparation nécessaire des proches et du délai d’obtention de la médication par les pharmacies de la communauté. Cette anticipation, ainsi que l’organisation particulière des soins dans le contexte du domicile, sont des éléments essentiels de l’expertise requise. Le médecin peut ne visiter son patient que 1 ou 2 fois par semaine mais il doit répondre rapidement aux appels des infirmières en visites et prescrire pour laisser à domicile la médication nécessaire en cas d’urgences ou de détériorations. Les infirmières doivent être capables d’évaluer le patient (questionnaire et examen physique) lorsque le médecin n’est pas sur place pour détecter les problèmes et organiser rapidement les soins requis. Ce sont elles qui forment les proches, entre autre pour l’administration de la médication qu’elles auront préparée. Quels que soient les efforts d’organisation et d’anticipation, il ne sera jamais possible de garder à domicile tous les grands malades et d’éviter toutes les hospitalisations. Mais l’atteinte d’un taux de 50 % de décès à domicile des patients en fin de vie pris en charge par une équipe « complète » de soins palliatifs à domicile est considérée comme un témoin de l’excellence du travail.
En plus de répondre aux demandes d’une majorité de patients, les soins palliatifs à domicile entraînent tout au plus des coûts similaires à ceux retrouvés en centres de longue durée, significativement inférieurs à ceux des hôpitaux11. Le rôle du médecin en soins palliatifs pour le contexte du domicile fait partie des modèles de soins reconnus (France, Belgique, Royaume-Uni)12,13. En effet, comme notre étude le démontre, la présence d’un médecin à domicile est essentielle au maintien à domicile jusqu’au décès de ces grands malades.
Les médecins de famille québécois font très peu de visites à domicile, ce qui explique selon nous à la fois le très faible taux de décès à domicile des patients atteints de cancer dans la province de Québec (9,8 %) et le taux de décès en hôpital très élevé (70,1 %)14. Ces choix de pratique médicale diffèrent de plusieurs organisations occidentales de soins de première ligne où les visites médicales à domicile de patients en fin de vie sont encouragées non seulement en raison des besoins exprimés par les patients mais aussi des économies de coûts démontrées15.
Certains obstacles à la pratique médicale à domicile au Québec semblent en lien avec la rémunération et les conditions de pratique peu incitatives, l’encouragement à la pratique hospitalière et le manque de formation des jeunes médecins de famille pour ce type de pratique. En 2003, le Conseil de la santé et du bien-être du Québec s’inquiétait déjà de la baisse importante du taux de visites à domicile des médecins de famille québécois qui entraînait, selon lui, « … un taux d’hospitalisation en fin de vie accru faute de disponibilité de services organisés de soins palliatifs en fin de vie dans la communauté ce qui fait que les personnes mourantes n’ont pas le choix d’être hospitalisées. Cette situation est un obstacle important à la prestation de soins de fin de vie à domicile16. »
Des recherches sur les modes de rémunération de la pratique médicale de soins palliatifs à domicile pourraient être entreprises. Puisqu’il s’agit d’une pratique médicale lourde requérant une disponibilité continue, dans un milieu de soins techniquement moins équipé, auprès de cas complexes et instables exigeant des déplacements fréquents et souvent imprévus, il faudra trouver des modes de rémunération capables de retenir des médecins, surtout dans le contexte québécois actuel de sévère pénurie médicale en première ligne.
Conclusion
Il ne sera jamais possible de garder tous les grands malades à domicile jusqu’au décès. Mais face au désir d’une majorité, nos données démontrent qu’il est possible d’intégrer des infirmières dédiées en soins palliatifs à même les équipes de soins à domicile des CLSC pour garder de nombreux malades en fin de vie à leur domicile, surtout ceux atteints de cancer. Nous avons démontré que les CLSC sont capables de prendre en charge à domicile des patients en fin de vie jusqu’au décès lorsqu’ils sont suivis à domicile par un médecin: ces établissements devraient donc recevoir le mandat d’offrir dans chaque territoire des services de soins palliatifs « complets », au centre desquels se retrouveraient des infirmières expertes en soins palliatifs faisant équipe avec des médecins effectuant des visites à domicile, idéalement expérimentés en soins palliatifs à domicile.
Le désintérêt des médecins de famille québécois pour les visites à domicile est un obstacle majeur au maintien à domicile de nombreux patients en fin de vie dans la province. Si l’on veut contrer la lourde tendance actuelle au Québec de mourir à l’hôpital avec les coûts élevés qui en découlent, il faudra encourager les médecins de famille québécois à réintégrer la pratique à domicile, surtout la pratique de soins palliatifs.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
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Une minorité des patients québécois en fin de vie demeure à domicile; la majorité des grands malades terminaux sont hébergés en centres de soins de longue durée ou hospitalisés en unités de soins de courte durée.
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Ces données démontrent qu’il est possible d’intégrer des infirmières dédiées en soins palliatifs à même les équipes de soins à domicile pour garder de nombreux malades en fin de vie à leur domicile, surtout ceux atteints de cancer.
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Le désintérêt des médecins de famille québécois pour les visites à domicile est un obstacle majeur au maintien à domicile de nombreux patients en fin de vie dans la province. Il faudra encourager les médecins de famille québécois à réintégrer la pratique à domicile, surtout la pratique de soins palliatifs.
Footnotes
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Cet article fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Collaborateurs
Tous les auteurs ont collaboré au survol de la littérature, à l’interprétation des données, ainsi qu’à la préparation du manuscrit avant sa soumission.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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