Dans un système de santé de grande qualité, les gens devraient pouvoir voir leur médecin de soins primaires en temps opportun lorsqu’ils tombent malades, c’est-à-dire le jour même si la situation clinique le justifie. Pourtant, dans une récente enquête réalisée par le Fonds du Commonwealth, seulement 41 % des Canadiens ont signalé pouvoir avoir un rendez-vous le jour même ou le lendemain s’ils étaient malades ou avaient besoin de soins médicaux. C’est le plus faible pourcentage parmi les 11 pays à revenu élevé compris dans l’étude1. Il n’est donc pas étonnant que les Canadiens soient aussi plus enclins à aller à l’urgence pour se faire soigner que les populations d’autres pays2. De nombreux médecins et décideurs envisagent l’implantation de rendez-vous à accès anticipé pour améliorer l’accessibilité aux soins primaires3. Par ailleurs, l’implantation pancanadienne de l’accès anticipé offre-t-elle une avenue réaliste pour régler nos problèmes d’accès aux soins primaires?
La théorie de l’accès anticipé
Intuitivement et à première vue, le concept d’accès anticipé semble simple. On offre aux patients un rendezvous avec leur médecin attitré le jour même de l’appel, même si leur besoin n’est pas urgent, et ils sont inscrits à l’heure de leur choix, que ce soit le jour même ou à une date ultérieure. Pour ce faire, les cabinets doivent continuellement s’efforcer de jumeler l’offre de rendezvous avec la demande des patients. Même si on envisage souvent l’accès anticipé comme une série de règles pour améliorer l’organisation des rendez-vous, il est mieux compris comme une philosophie de soins qui exige un changement de paradigme commençant par un sentiment de responsabilité ressenti par le médecin à l’égard des soins d’un ensemble de patients, plutôt que d’un calendrier de rendez-vous3.
L’expérience concrète
Des cabinets aux États-Unis, en Europe, en Australie et au Canada ont essayé de mettre en œuvre l’accès anticipé, mais les résultats n’ont pas été uniformes. Des études de cas aux États-Unis ont fait ressortir divers degrés de réussite dans différents milieux4. L’effort le plus concerté sur le plan national s’est produit au Royaume-Uni, où les pratiques en Angleterre ont été structurées en collaborations d’apprentissage bénéficiant d’un soutien officiel. Toutefois, dans les évaluations de l’expérience au Royaume-Uni, on a constaté que les gains au chapitre de l’accès étaient atténués par l’insatisfaction des patients à l’égard d’autres sujets5. Au Canada, 6 provinces ont soutenu des cabinets de soins primaires pour qu’ils adoptent l’accès anticipé sur une base volontaire dans le contexte d’une formation plus large sur l’amélioration de la qualité. Quoique la plupart des projets mis en œuvre n’aient pas encore été formellement évalués, une étude effectuée en Colombie-Britannique a fait valoir que l’accès anticipé réduisait les temps d’attente pour les rendez-vous urgents et non urgents6.
L’implantation concrète de l’accès anticipé est difficile. Les cabinets doivent recueillir et analyser des données pour faire l’équilibre entre l’offre (le nombre de plages horaires disponibles pour les patients) et la demande (un calcul combiné de la longueur de la liste de patients, de la fréquence et de la durée moyennes des visites). Même si l’offre et la demande sont équilibrés, les cabinets ne peuvent préserver une accessibilité optimale qu’en acceptant qu’il puisse y avoir plus de rendez-vous les jours achalandés et des plages horaires vides les jours moins occupés. Par ailleurs, les analyses révèlent souvent que la demande surpasse l’offre. Dans un tel cas, les cabinets qui veulent offrir un accès de grande qualité doivent envisager des changements structurels, comme réduire la longueur de la liste, augmenter le nombre de jours de travail ou élargir le rôle des membres de l’équipe qui ne sont pas médecins. Ces changements peuvent grandement influencer le revenu et la satisfaction professionnelle des médecins.
La plupart des cabinets qui tentent d’implanter l’accès anticipé sont incapables de le faire de manière très fidèle et, par conséquent, l’accès le jour même demeure souvent problématique. Dans une récente révision, seulement 2 études sur 8 signalaient que la mise en œuvre de l’accès anticipé se traduisait par une disponibilité de rendez-vous le jour même ou le lendemain, quoique toutes les études aient rapporté des améliorations dans les délais d’attente pour avoir un rendez-vous7. Les difficultés à en arriver à un accès le jour même pourraient expliquer pourquoi d’autres études ont cerné que la mise en œuvre de l’accès anticipé n’avait pas eu d’effet sur le recours à l’urgence par les patients atteints de maladies chroniques8,9.
Les conséquences involontaires
Si la priorité est accordée aux rendez-vous le jour même, c’est souvent au détriment de la préférence des patients. De nombreux cabinets de soins primaires en Angleterre ont mal interprété l’accès anticipé et mettaient souvent sous « embargo » 70 % des plages horaires pour les rendez-vous le jour même, ce qui obligeait les patients à téléphoner immédiatement après l’ouverture du bureau pour réserver une de ces plages horaires sous embargo10. Ces systèmes de rendez-vous le même jour seulement étaient considérés comme une façon d’atteindre l’objectif du gouvernement selon lequel les patients devaient se voir offrir un rendez-vous avec leur médecin de soins primaires dans les 48 heures. Toutefois, cette façon de faire a suscité la frustration des patients, qui se plaignaient que le nouveau système empêchait la prise de rendez-vous à l’avance avec leur médecin. On a d’ailleurs qualifié de manière démonstrative cette approche comme étant un « déni d’accès »11.
Les quelques études portant sur les effets de l’accès anticipé sur la satisfaction des patients ont fait ressortir des résultats hétérogènes7. Par conséquent, les efforts pour améliorer l’accès doivent s’accompagner d’activités d’amélioration et de mesure dans d’autres domaines, dont les soins centrés sur le patient et aux malades chroniques.
Les problèmes structurels à régler
Pour améliorer l’accessibilité aux rendez-vous le jour même, les décideurs devront aller au-delà des soutiens actuels à l’accès anticipé et régler les problèmes structurels comme les effectifs de médecins, la longueur moyenne des listes de patients, les modes de rémunération des médecins et l’intégration significative des autres professionnels de la santé dans la pratique. L’expérience de la Group Health Cooperative, un système de santé intégré de grande envergure aux États-Unis, le démontre.
La Group Health Cooperative a essayé d’instaurer l’accès anticipé aux rendez-vous en 2002 parmi d’autres activités visant à améliorer l’accès aux soins pour les patients12. Les responsables ont constaté que l’accès anticipé a effectivement eu un effet positif sur le moment opportun des soins, mais les médecins ont signalé une charge de travail accrue qui compromettait leur capacité de se concentrer sur la santé de la population, d’où une moins grande satisfaction professionnelle. En réponse à ces conclusions préliminaires, la Group Health Cooperative a adopté un modèle selon lequel des adjoints au médecin et des infirmières praticiennes voyaient les patients lors des rendez-vous le jour même et avaient un médecin comme relève au besoin, tandis que les médecins aspiraient à offrir un rendez-vous dans les 7 jours. Le changement le plus transformateur qu’a apporté la Group Health Cooperative fut de réduire les listes de patients, qui sont passées d’environ 2500 à 3000 à une moyenne de 1800 patients par médecin.
Ces réformes ont été possibles à la Group Health Cooperative surtout parce que les médecins recevaient un salaire et qu’ils n’étaient pas directement touchés par le fait de soigner moins de patients. De plus, la Group Health Cooperative était disposée à recruter plus de médecins et de personnel de soutien car, selon ses calculs, les dépenses additionnelles en soins primaires seraient compensées par des dépenses moins grandes en recours aux services d’urgence. L’approche en « silo » dans le financement de la santé au Canada rendrait de tels changements difficiles.
La direction à prendre
Au Canada, l’amélioration de l’accès aux soins primaires le jour même exigera une approche à multiples facettes. Nous devrions commencer par un engagement à mesurer et à améliorer les expériences des soins vécues par les patients dans toutes les pratiques de soins primaires. Les gouvernements devraient être responsables de la mesure de l’expérience des patients au niveau de la pratique, tandis que les cabinets seraient responsables du travail d’amélioration qui s’y rattache. Les données sur l’expérience des patients peuvent mettre en évidence l’importance d’un accès le jour même et aider les pratiques à savoir si les systèmes actuels répondent aux besoins des patients en matière de soins d’urgence, de continuité et de centricité sur le patient. Les cabinets peuvent utiliser les principes de l’accès anticipé pour comprendre s’il y a des écarts entre l’offre et la demande de rendez-vous, mais ils auront besoin de soutien pour réorganiser la prestation des services. Pour réduire la demande de rendez-vous, il faudra remettre en question la fréquence des visites de routine, qui ne se fonde pas sur des données probantes, comme l’examen médical « annuel »13. L’augmentation de l’offre de rendez-vous exigera qu’on aille au-delà de la visite typique en cabinet pour intégrer aussi des rendez-vous médicaux par courriel, téléphone ou en groupe et optimiser l’intégration des professionnels de la santé autres que les médecins. La facilitation de la pratique et la technologie de l’information sont des outils habilitants potentiels importants.
Pour que la situation s’améliore, il faudra que les gouvernements se penchent sur les problèmes structurels. Les modèles actuels de rémunération au Canada encouragent la hausse de la demande : le paiement à l’acte incite à de fréquentes visites tandis que la capitation pousse à avoir des listes de patients plus grandes. Il faudra plutôt une réforme de la rémunération et une plus grande responsabilisation des médecins à l’égard de la qualité des soins pour récompenser les pratiques qui sont réceptives à la demande des patients. Des rapports transparents sur l’expérience des patients et d’autres données sur la qualité des soins à l’échelle de la pratique pourraient être un fort incitatif non financier à améliorer l’accès aux rendez-vous le jour même.
Conclusion
Il est difficile d’implanter l’accès anticipé en soins primaires, et les résultats ne se traduisent souvent pas par un meilleur accès le jour même. Toutefois, on peut se servir des principes de l’accès anticipé pour orienter les améliorations au niveau de la pratique dans le contexte d’une stratégie à multiples facettes, qui comporte notamment des rapports universels des données concernant l’expérience des patients, du soutien pour réorganiser la prestation des services et des mesures d’incitation à répondre aux besoins des patients.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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This article is also in English on page 399.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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