Selon les données de Citoyenneté et Immigration Canada, nous accueillons chaque année au pays quelque 25 000 réfugiés1. Or, même si certains examens sont faits dans leur pays d’origine avant qu’ils ne partent, nous ne connaissons pas vraiment leur état de santé une fois rendus au Canada. L’article intitulé « État de santé des nouveaux réfugiés à Toronto, en Ontario » que nous publions ce mois-ci (pages e331 et e338) est à cet égard fort instructif2,3. Cette étude a été réalisée par Redditt et coll. auprès des 1063 réfugiés ayant consulté une clinique spécialisée pour réfugiés à Toronto du 1er décembre 2011 au 23 juin 2014. Elle nous révèle que les réfugiés ont des taux élevés de maladies infectieuses et de maladies chroniques. Ainsi, la prévalence du VIH, de l’hépatite B et de l’hépatite C était respectivement de 2 %, 4 % et environ 1 %. Bon nombre des réfugiés ayant consulté la clinique présentaient diverses parasitoses comme la schistosomiase et la strongyloidïose. De plus, ils présentaient aussi des taux élevés pour certaines maladies chroniques. Onze pour cent des enfants ayant moins de 15 ans et 25 % de femmes ayant plus de 15 ans affichaient de l’anémie; 30 % des adultes faisaient de l’hypertension artérielle et 8 % avaient une glycémie anormale. Fait à souligner, 11 % des femmes avaient une cytologie du col utérin anormale.
Ces résultats, bien que troublants, nous amènent à nous questionner sur l’état de santé des autres réfugiés que nous ne connaissons pas, ceux qui ne trouvent pas refuge au Canada. Si l’on observe de pareils résultats chez ceux qui réussissent à se rendre à Toronto et qui consultent dans une clinique spécialisée, qu’en est-il de ceux qui n’y arrivent pas? Qu’en est-il de ceux qui vivent dans des pays ravagés par les guerres, les conflits et les massacres, qu’ils ne peuvent même pas fuir? Quel est l’état de santé des populations prises en otage dans des guerres et des conflits politiques alors que l’accès aux médicaments mais aussi aux denrées de base est compromis voire impossible? Qu’en est-il de ceux qui, en désespoir de cause, fuient leur pays à la recherche d’un monde meilleur? Il est fort probable que l’état de santé de ces populations, oubliées ou abandonnées, soit bien pire encore que celui de nos réfugiés.
Que pouvons-nous y faire? À part souscrire à la Croix-Rouge, contribuer aux organismes caritatifs et de bien-faisance, et s’engager pour Médecins sans frontières, que pouvons-nous faire d’autre? Et que peuvent faire les médecins de famille pour améliorer la santé mondiale?
C’est la question à laquelle le Médecin de famille canadien tentera de répondre en publiant « Les chroniques Besrour—une série d’articles sur l’état de la médecine familiale dans le monde ». Dans le premier volet, publié ce mois-ci (page 597) et intitulé « Developing the evidentiary basis for family medicine in the global context »4, les auteurs présentent un survol des défis méthodologiques auxquels se heurtent ceux qui tentent de faire la démonstration, à l’aide de preuves, de la contribution de la médecine familiale à la santé mondiale. Dans les volets subséquents, il sera question des méthodologies qui pourraient éventuellement nous permettre de surmonter ces obstacles, ainsi que des preuves émergeantes provenant des partenaires canadiens dans les pays à revenu faible et moyen. Nous espérons que cette série d’articles nous permettra d’ajouter une plateforme supplémentaire au moyen d’un cadre plus robuste et fondé sur des preuves.
La question est donc de savoir si la médecine familiale peut jouer un rôle pour favoriser la santé mondiale. Certes, on cite souvent les travaux de Barbara Starfield. Selon la docteure Starfield, les soins de santé primaires permettent d’améliorer la santé de trois façons : premièrement, la santé se trouve améliorée dans des régions ayant plus de médecins prodiguant des soins de santé primaires; deuxièmement, ceux qui sont soignés par un médecin prodiguant des soins de santé primaires sont en meilleure santé; et troisièmement, les caractéristiques des soins primaires sont associées à un meilleur état de santé5. Toutefois, comme les auteurs de cette série le rapportent avec justesse, il est plus difficile de cerner l’impact de la médecine familiale ailleurs, c’est-à-dire dans les pays à revenu faible et moyen.
La véritable question est donc de déterminer dans quelle mesure la médecine familiale peut changer quoi que ce soit à l’état des plus démunis de notre planète. Mais une chose est sûre, pour les populations ravagées par la guerre, la misère et la famine, pouvoir compter sur un médecin (ou l’équivalent) est peut-être souhaitable, mais les déterminants de la santé passent sûrement avant tout par la possibilité de subvenir aux premières nécessités : pouvoir boire et manger, gagner sa vie, vivre en sécurité. L’accès à un médecin de famille n’est peut-être alors simplement que l’un des jalons du bien-être?
Footnotes
This article is also in English on page 576.
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