Devenir médecin, c’est aussi devenir enseignant. La résidence est un moment charnière pour développer ses aptitudes à enseigner et le défi est particulièrement grand en médecine familiale, où les deux années de formation s’écoulent déjà bien assez rapidement. Malgré le contact quotidien avec les apprenants, de multiples opportunités d’enseigner ne sont pas saisies en raison de barrières bien connues (manque de temps, peu de reconnaissance, manque de motivation, lourdeur de la tâche clinique, etc.)1. Une bonne proportion des apprentissages des étudiants ou externes provient des résidents, et près de la moitié des apprentissages des résidents proviennent de leurs collègues résidents2.
Depuis les années 1970, on voit apparaître dans la littérature la notion de résident-enseignant et la naissance de programmes de formation en pédagogie pour outiller les résidents. Ces programmes sont bénéfiques tant pour l’apprenant (meilleure satisfaction durant le stage, orientation éventuelle du choix de carrière, etc.) que pour le résident (meilleure rétention d’apprentissages, orientation vers une pratique plus académique, etc.)3. Les bénéfices ne semblent pas reliés directement au type de formation reçue; ils sont reliés plutôt au fait de pouvoir se familiariser avec les principes qui encadrent la pédagogie médicale et à la possibilité d’adapter ces outils au travail de tous les jours (E. Desrosiers, S. Drolet, G. Brochu, données non publiées, octobre 2013).
Cet article offre 10 trucs pour maximiser les opportunités d’apprentissage tout en complétant les autres rôles que le statut de résident en médecine familiale nous amène à endosser (Figure 1). Issus de la littérature et de l’expérience des résidents colligés dans le cadre d’un projet de recherche en cours, ces trucs représentent un départ vers une meilleure intégration de l’enseignement dans la routine quotidienne des médecins résidents.
Processus de maximisation de l’enseignement pour le résident
BID—breffage, intervention, débreffage.
Dix trucs
1. Conscience du modèle de rôle
Dès le début de la résidence, le résident est un modèle de rôle, le plus souvent de façon inconsciente. L’impact sur l’apprenant, particulièrement sur le développement des « attitudes », se fera surtout à partir de l’imitation de rôles. La première étape, c’est de faire passer le modèle de rôle de l’inconscient vers le conscient, notamment, en prenant conscience de ses forces en tant que résident. Une autre façon d’intégrer cette attitude de modèle est de se créer un inventaire des attitudes qu’on juge importantes dans notre profession, basé sur des exemples de situations vécues. Par exemple, si nous avons été témoins d’une façon particulière dont un patron a parlé d’un arrêt de traitement avec une famille, on le garde en mémoire pour l’évoquer en exemple et tenter de le reproduire lorsque nous serons nous-mêmes le modèle. L’imitation de rôles est probablement l’une des stratégies d’apprentissages les plus puissantes4.
2. Connaître ses forces et faiblesses
Il est important de bien se connaître pour pouvoir enseigner. Ainsi, les domaines dans lesquels nous avons des forces peuvent nous servir pour de l’enseignement de nature plus spontanée. Pour les domaines qui nous sont moins familiers, il faut tenter d’utiliser les moments d’enseignement plus structurés, après avoir eu l’occasion de se préparer.
3. Particularités de l’enseignement
Contrairement au patron, qui aurait tendance à se centrer sur des apprentissages plus livresques, basés sur l’évidence, le résident est bien placé pour enseigner le curriculum caché (notamment par l’imitation de rôles) et il a tendance à être axé sur les connaissances pratico-pratiques du quotidien (gestion, connaissances au chevet, etc.). Par ailleurs, le résident peut bénéficier d’un contact plus fréquent avec l’apprenant dans certains stages et les possibilités d’enseignements impromptues sont ainsi multipliées3,5. Il faut connaître ces particularités pour pouvoir orienter nos cibles d’enseignement.
4. Garder en tête les principes d’andragogie
L’enseignement clinique en médecine doit être centré sur le patient et sur un problème pertinent au cadre de travail, ce qui permettra à l’apprenant de voir des applications concrètes pour lui-même, d’où la pertinence de vignettes cliniques et d’apprentissage au chevet. Comme les adultes ont davantage la crainte d’une mauvaise opinion d’autrui, le processus de réflexion doit être sécuritaire. L’apprenant doit comprendre qu’on cherche à lui faire acquérir une nouvelle compétence et non à mettre en évidence ses faiblesses; les échanges n’en seront que plus spontanés et riches. Pour faciliter la construction du savoir, on doit tenter d’aller créer un lien avec les expériences antérieures du participant. Il sera d’ailleurs le temps de corriger certaines connaissances de base qui pourraient être erronées. Afin d’encourager le participant, une rétroaction immédiate doit être offerte. Ainsi, il pourra valider ce qu’il a appris et établir les moyens d’améliorer ce qui n’est pas acquis. Finalement, il faut tenter de garder notre apprenant actif par de l’interaction avec les collègues et de la participation active aux gestes techniques et par un suivi rapproché de son évolution6.
5. Repenser les moments traditionnels d’enseignement
Il y a de nombreux moments d’enseignement qui sont déjà prévus à l’horaire, mais rien n’oblige à garder la formule habituelle. Par exemple, le retour sur la garde doit-il se faire à partir d’un cas rare et difficile? Pourquoi ne pas prendre un cas facile du quotidien, mais sous un angle différent? Également, on peut utiliser la tournée des patients pour aller chercher des diagnostics alternes simplement en demandant à notre apprenant: « et si? » Et si notre patient faisait de la fièvre aujourd’hui, quelle serait ton approche? Et si son fils te demandait pourquoi son insuffisance cardiaque fait enfler les jambes, comment lui expliquerais-tu de façon vulgarisée?
6. Être toujours prêt
En plus d’être dans une disposition psychologique pour enseigner, il est plus facile de procéder à des moments d’enseignement spontanés si on est toujours prêt. Certains trainent sur eux une clé USB et une tablette électronique avec toutes leurs présentations; d’autres ont un fichier style « Dropbox » à partir duquel ils gardent des références et des guides de pratique qu’ils peuvent ainsi distribuer à leurs apprenants. Les technologies de l’information nous facilitent grandement la vie de ce côté. Parfois, les trucs les plus simples et les plus rapides à transmettre sont les plus appréciés des apprenants; n’hésitez pas à les distribuer au plus grand nombre possible.
7. Utiliser la méthode BID
La méthode BID (breffage, intervention, débreffage) a été décrite surtout pour l’enseignement chirurgical7 mais peut être exportée à toute situation clinique. Elle nous rappelle l’importance d’encadrer le moment d’apprentissage, en le préparant par l’établissement d’objectifs, en se centrant sur ses objectifs durant l’intervention ou l’interaction et en effectuant un retour sur l’atteinte des objectifs après. On peut l’utiliser avant une consultation à l’urgence, en préparation d’une discussion sur l’intensité de traitement avec une famille, durant une tournée hospitalière ou en prévision de l’apprentissage d’un geste technique (insertion de stérilet, infiltration articulaire, réparation de plaie, etc.).
8. Rendre l’apprenant responsable
Un apprenant actif aura une meilleure rétention de ses apprentissages, mais un apprenant responsable aura une meilleure satisfaction par rapport à ses acquis. Il ne faut pas hésiter à proposer à l’apprenant des prescriptions pédagogiques. Un gros défaut de ces prescriptions (« va lire là-dessus, on s’en reparle »), c’est souvent le manque de suivi. En demandant à l’apprenant de nous inviter à faire un retour sur les notions lorsqu’il a fait ses efforts d’apprentissage autonome, nous le rendons responsable d’initier le suivi et il est actif dans son apprentissage—l’une des caractéristiques importantes de l’apprentissage chez l’adulte. Afin de pallier à la problématique de l’apprenant qui oublie, on peut prendre l’habitude de terminer la journée en demandant:
« Est-ce qu’il y a des éléments sur lesquels il faut faire un retour? ».
9. Utiliser les moments d’enseignement pour parler pédagogie
Pourquoi ne pas présenter un article d’éducation médicale pertinent au prochain club de lecture? Ces moments peuvent également servir à parler pédagogie, particulièrement si on souhaite implanter des innovations pédagogiques dans notre milieu.
10. Pratique réflexive
La pratique réflexive n’a pas besoin d’être complexe. Il s’agit de se questionner occasionnellement sur l’enseignement prodigué, de réfléchir à nos forces, nos faiblesses et aux améliorations à apporter. Les apprenants peuvent aussi nous fournir des pistes de réflexion par leur rétroaction sur notre enseignement. Également, cela nous ramène à nous souvenir de l’importance du modèle de rôle que nous sommes auprès de l’apprenant.
Conclusion
Ces quelques trucs ne sont qu’une partie des changements qui peuvent aider un résident à devenir un meilleur enseignant. N’oubliez pas, chers résidents, que votre rôle d’enseignant est probablement plus important que vous ne l’imaginez!
Notes
CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT
Malgré le contact quotidien avec les apprenants, de multiples opportunités d’enseigner ne sont pas saisies par les résidents en raison de barrières bien connues: manque de temps, peu de reconnaissance, manque de motivation, lourdeur de la tâche clinique.
L’imitation de rôles peut être l’une des stratégies d’apprentissages les plus puissantes.
Contrairement au patron, qui aurait tendance à se centrer sur des apprentissages plus livresques, le résident est bien placé pour enseigner le curriculum « caché ».
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Miriam Lacasse, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à Miriam.Lacasse{at}fmed.ulaval.ca.
Footnotes
The English translation of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2015 issue on page e344.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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