La planète fait face à un pronostic funeste à moins que des mesures draconiennes ne soient prises immédiatement.
C’est la conclusion du Cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) complété au cours de 20141. Le plus récent document publié par le GIEC résume les conséquences du changement climatique et propose des pistes de solutions possibles pour atténuer ses effets. Comme dans les études antérieures, le rapport a été rédigé en collaboration un important groupe de scientifiques renommés, et il est aussi rigoureux que complet. Le message est plus urgent que jamais.
Pourtant, depuis le rapport, très peu de progrès substantiels ont été réalisés, sur un front ou un autre, pour répondre à ces inquiétudes grandissantes.
À la lumière de données convaincantes prouvant l’existence d’une crise climatique, l’enjeu pour les médecins de famille est de savoir comment, en tant que profession ayant pour mandat de guérir et de promouvoir le bien-être, nous allons répondre aux solides faits scientifiques démontrant que notre monde lui-même est en train de devenir un endroit très malsain, et que l’avenir de la planète et de ses espèces est en péril.
Bien placés
Les médecins de famille sont particulièrement bien placés pour mener et diriger une campagne contre le changement climatique. Nos pratiques holistiques sont facilement adaptables aux nouveaux défis. En tant que travailleurs de première ligne, nous sommes en contact direct avec les enjeux liés à la population à mesure qu’ils évoluent. Nous pouvons aisément cerner et comprendre les risques pour la santé des patients qui étaient auparavant considérés en dehors du champ de compétence de la médecine conventionnelle.
Les appels lancés aux médecins pour qu’ils jouent un rôle plus important ne sont pas nouveaux. La revue a mis en évidence les associations étroites entre le changement climatique et la santé dans des articles parus en 20132,3. Pareillement, la même année, un éditorial dans CMAJ demandait aux médecins de s’impliquer davantage et, quelques mois plus tard, on retrouvait une pétition énergique à cet égard dans le BMJ4,5. En 2014, un consortium international de professionnels de la santé s’est exprimé haut et fort sur la nécessité d’agir6. Ces appels s’ajoutent à de nombreux autres lancés par le secteur de la santé au cours des 2 dernières décennies.
Jusqu’à présent, de notre profession n’a pas été très dynamique, particulièrement au Canada. Pourquoi donc? Un bref aperçu de la scène sociopolitique plus large est révélateur.
Les décideurs ont été récalcitrants à apporter des changements véritables pour régler les questions climatiques, surtout dans l’un des pays les plus coupables à l’origine de ces problèmes, le Canada étant honteusement l’un des pires à ce chapitre. Des solutions venant de la base, dans certains cas admirables et même inspirantes, se sont aussi révélées largement inefficaces contre les motivations colossales à faire des profits et l’appétit simultané apparemment insatiable pour la consommation chez les segments les plus riches de la population mondiale.
En tant que médecins, comment pouvons-nous réagir de manière significative et efficace dans un tel contexte?
Partie du problème
La marche à suivre n’est pas facile ni clairement définie. Un examen de nos propres pratiques professionnelles expose certaines des difficultés et plusieurs paradoxes.
Par exemple, une vérification des salles d’opération en 2013 au Canada a mis en évidence d’importants gaspillages7. Ce comportement se reflète dans les statistiques gouvernementales, qui révèlent l’empreinte considérable du secteur de la santé en général, et plus précisément au chapitre des émissions de gaz à effet de serre8,9. Les études à grande échelle sont rares, mais en se fondant sur des données anecdotiques et observationnelles, il est évident que bon nombre de nos cliniques, tout comme les hôpitaux, sont loin d’être écologiquement durables.
Même si nous connaissons ces problèmes depuis un certain temps dans le monde médical, nous sommes confondus par le mastodonte qu’est l’industrie des fournitures médicales (qui a tout intérêt à augmenter la consommation des produits de santé jetables), associé à des échelons de bureaucratie dans le secteur de la santé qui se prosternent aveuglément devant l’autel de la sécurité des patients au détriment de la vue d’ensemble.
Les hôpitaux et leurs associations ont reconnu la nécessité d’adopter des pratiques écologiques (l’Ontario, par exemple, a un bulletin du rendement des « hôpitaux verts »), mais il reste à voir dans quelle mesure ces efforts sont sincères et à quel point ils sont motivés par leurs services des relations publiques. Il n’y a pas suffisamment de données probantes solides provenant d’études indépendantes qui démontrent des bienfaits considérables attribuables à ces efforts.
Des groupes comme l’Association canadienne des médecins pour l’environnement et leurs alliés ont aussi revendiqué des soins de santé plus écologiques et de tels efforts sont louables. Néanmoins, globalement en tant que profession, nous devons faire mieux. En dépit des difficultés que pose leur changement, les mauvaises pratiques environnementales sont indéfendables. Si nous sommes non seulement inactifs devant la crise et qu’en plus, nous faisons partie du problème, à quoi pouvons-nous nous attendre du reste de la population?
C’est là où se situe le problème. Extrapolons nos propres tendances omniprésentes de surconsommation à d’autres secteurs de notre société et la mesure dans laquelle de tels comportements et pratiques sont dévastateurs se révèle soudainement. Tous sont à blâmer et il est clair qu’aucune solution ne sera transformatrice sans une mobilisation massive de la société qui transcende les frontières sectorielles.
Quoi qu’il en soit, les médecins devraient exercer leur leadership dans la lutte au changement climatique au lieu de tirer de l’arrière.
Que peut-on faire?
Certains médecins hésitent à s’impliquer dans des enjeux sociaux plus larges et préfèrent se concentrer sur chaque patient. Toutefois, quand vient le temps d’agir devant le changement climatique, une telle façon de faire devient insoutenable étant donné que les nombreuses mesures susceptibles d’atténuer les effets environnementaux néfastes pourraient aussi bénéficier directement à la santé individuelle.
Les exemples sont nombreux. Les villes conviviales pour les vélos et les piétons ont le potentiel d’améliorer considérablement la santé individuelle en réduisant les émissions à long terme. De même, les autres formes de carburant et d’énergie réduisent la pollution de l’air et les problèmes de santé afférents tout en diminuant la diffusion de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. L’agriculture durable favorise la santé des écosystèmes tout en augmentant les approvisionnements en produits alimentaires sains pour la population.
Il ne s’agit là que de 3 exemples parmi tant d’autres. Ces enjeux n’étaient traditionnellement pas du ressort des médecins. Cependant, les nouvelles réalités exigent une adaptation.
Y a-t-il meilleure place pour commencer que dans nos propres affaires professionnelles? Il faut de l’innovation dans nos milieux de travail. Il faut non seulement limiter notre empreinte mais aussi occuper une position de légitimité morale nous permettant de nous adresser à l’ensemble de la communauté. Des initiatives comme des « solutions de cabinets verts » sont un point de départ raisonnable mais, étant donné les constatations du GIEC, des mesures plus rigoureuses sont probablement impératives.
Nous ne devrions pas nous limiter aux établissements de santé. Nous formons un puissant moyen de pression. Nous pouvons et devons demander des comptes aux politiciens. Cela étant une urgence à l’échelle sociétale, nous devons nous rallier à d’autres groupes professionnels progressistes, dans le domaine de la santé et autres, pour que soit inscrite l’atténuation du changement climatique dans les priorités d’action municipales, provinciales, nationales et internationales.
La situation ne peut plus être considérée comme un problème marginal. Nous ne sommes peut-être pas tous d’accord sur la façon de procéder, mais le débat doit avoir une plus grande primauté, que ce soit au sein des départements de médecine familiale ou dans nos propres pratiques. Bien qu’il y ait effectivement eu certains mouvements et quelques initiatives novatrices, le changement ne doit pas simplement rester une petite lueur à l’horizon. Il doit être soutenu, généralisé et colossal.
Conclusion
Le dernier rapport du GIEC devrait être considéré comme des données scientifiques supplémentaires prouvant la crise qui se déroule autour de notre planète. Le problème ne fera que s’aggraver avec le temps. En tant que médecins de famille, nous devons exercer un rôle de leadership, nous positionner aux premiers plans du mouvement, que ce soit en nous occupant de redresser nos propres affaires, en faisant de la recherche sur le changement climatique et la santé, en actualisant la formation médicale ou en faisant davantage de promotion de la santé. La calamité qui évolue n’attendra pas, et nous ne pouvons pas attendre non plus.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2015 issue on page 582.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada