Le tourisme médical, c’est-à-dire le fait de voyager à l’étranger pour avoir accès à des soins médicaux payés de sa poche, a suscité beaucoup d’intérêt dans les médias canadiens. Des reportages font le récit de Canadiens qui se rendent à l’étranger pour subir diverses interventions médicales électives ou nécessaires, comme une arthroplastie de la hanche ou du genou, une chirurgie bariatrique et des traitements dentaires1,2. Les inquiétudes communément mentionnées à propos du tourisme médical sont liés à la qualité des soins à l’étranger et les différences dans les normes ou les protocoles de sécurité dans les divers systèmes de santé3. Il se peut que les touristes médicaux ne puissent pas rapporter leur dossier médical à la maison, ce qui interrompt la continuité des soins et nuit à la capacité des médecins de dispenser des soins de suivi appropriés4. Les sources d’information médiatiques et de l’industrie, auxquels accèdent souvent les touristes médicaux, renseignent peut-être mal les Canadiens sur les préoccupations entourant la sécurité du tourisme médical 5,6. Par conséquent, les médecins, les professionnels de la santé et les spécialistes de la sécurité s’inquiètent que les touristes médicaux potentiels ne soient pas en mesure de prendre des décisions éclairées à propos de leurs soins7. En tant qu’intendants du système de santé et premiers points d’interaction entre ce système et les patients, les médecins de famille sont bien placés pour renseigner les Canadiens sur ces risques pour leur sécurité8.
Les préoccupations entourant le tourisme médical s’appliquent particulièrement aux patients qui voyagent dans le but de subir des interventions non éprouvées, c’est-à-dire des interventions qui n’ont pas été mises à l’essai selon des méthodes reconnues, et dont la sécurité et l’efficacité n’ont pas été démontrées. Quoiqu’il soit actuellement impossible de connaître le nombre de Canadiens qui voyagent à l’étranger ou la nature des interventions qu’ils subissent, des données anecdotiques font valoir que des touristes médicaux canadiens voyagent à l’étranger pour des interventions non éprouvées, comme le traitement de l’insuffisance veineuse cérébrospinale chronique pour la sclérose en plaques, des greffes de cellules souches pour diverses affections et des chirurgies bariatriques qui n’ont pas été testées9,10. Les patients qui font du tourisme médical pour des interventions douteuses s’exposent à des risques additionnels pour leur sécurité en raison de la nature non éprouvée de l’intervention et à de lourds fardeaux financiers pour des interventions potentiellement inefficaces; ils pourraient être inadmissibles à s’inscrire dans des études cliniques légitimes (et gratuites)11. Lorsque les patients reçoivent un diagnostic de maladie évolutive ou chronique, leur espoir d’une meilleure qualité de vie a le potentiel d’être exploité par des fournisseurs d’interventions douteuses pour les inciter à y souscrire, ce qui rehausse encore plus les inquiétudes concernant une prise de décisions mal éclairée par les touristes médicaux qui vont subir ce genre d’interventions12. Ce n’est pas dire que tous les promoteurs d’interventions non éprouvées sont des charlatans qui font des personnes vulnérables leurs proies, mais le risque est réel et considérable.
Les médecins de famille font face à de nombreux défis quand il s’agit d’aider les Canadiens qui envisagent de se rendre à l’étranger pour une intervention non éprouvée à prendre une décision mieux éclairée, tout en remplissant simultanément leurs devoirs juridiques et éthiques envers leurs patients. Ils sont forcés d’essayer de maintenir une relation médecin-patient positive, qui respecte l’autonomie du patient et ses espoirs que l’intervention non éprouvée le guérira, tout en protégeant la sécurité du patient. Dans le présent commentaire, nous expliquons les devoirs éthiques et juridiques envers ces patients et nous discutons du fait que le consensus actuel à propos de ces devoirs n’oriente pas adéquatement les médecins pour qu’ils sachent comment agir.
Devoirs envers les patients
Dans son code de déontologie, l’Association médicale canadienne énonce 54 responsabilités des médecins envers leurs patients13. Bon nombre de ces responsabilités sont particulièrement pertinentes dans les situations où des patients demandent conseil à propos d’interventions non éprouvées à l’étranger.
« Prendre toutes les mesures raisonnables pour éviter de causer un préjudice au patient » (responsabilité no 14).
« Reconnaître vos limites et, au besoin, recommander ou solliciter des avis et des services supplémentaires » (responsabilité no 15).
« Fournir à vos patients l’information dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées au sujet de leurs soins de santé et répondre à leurs questions au meilleur de vos compétences » (responsabilité no 21).
« Ne recommander que les services de diagnostic et de traitement que vous jugez bénéfiques pour votre patient ou d’autres personnes » (responsabilité no 23)13.
Ensemble, ces responsabilités mettent l’accent sur le rôle du médecin de famille de fournir des renseignements et des conseils aux patients.
Les patients qui s’intéressent aux interventions non éprouvées dans le contexte du tourisme médical peuvent obtenir des conseils éthiques spécifiques à ces procédures. L’International Society for Stem Cell Research encourage les médecins à répondre aux questions de leurs patients à propos des interventions non éprouvées à l’aide de cellules souches à l’étranger, mais elle décourage fortement les patients de les subir en dehors d’études cliniques en raison des préjudices physiques, psychologiques et financiers potentiels de telles interventions14. Étant donné la confiance des patients canadiens envers leurs médecins de famille et le rôle que jouent ces médecins dans la continuité des soins, certains ont avancé que les médecins ont la responsabilité de les renseigner à propos des limites et des préjudices possibles de ces interventions11,15. Selon ces sources, les médecins doivent respecter les décisions de leurs patients d’aller ou non à l’étranger pour de tels soins; toutefois, ils devraient aussi éclairer leurs décisions, notamment en les prévenant des dangers des interventions non éprouvées si une telle démarche s’inscrit dans leur charge de travail, leur expertise et leur meilleur jugement.
Obligations juridiques
La doctrine du consentement éclairé exige que les médecins canadiens divulguent tous les renseignements concernant un traitement qu’un patient raisonnable voudrait connaître dans ce contexte16. En règle générale, cela veut dire que les médecins doivent répondre à toutes les questions que leur posent les patients et communiquer tous les renseignements matériels concernant la nature de l’intervention proposée et les options de rechange, y compris les bienfaits, les risques et les résultats probables17. Alors que le consentement éclairé standard s’applique quand c’est le médecin qui dispense le traitement, nous croyons qu’il est raisonnable de croire que des principes semblables devraient orienter la conduite des médecins lorsque les patients cherchent à s’informer à propos de traitements non éprouvés, surtout lorsqu’ils envisagent de suivre ces traitements comme alternative à la thérapie conventionnelle offerte par le médecin. Dans ce rôle, les médecins agissent sensiblement comme ils le font lorsqu’ils demandent une consultation à des spécialistes au Canada. Dans de tels cas, les patients cherchent de l’information pour leur permettre de prendre des décisions de manière autonome concernant leur traitement. De plus, dans ce contexte, les patients confient à leurs médecins de famille leur santé et leur sécurité, même si ces médecins ne prodiguent pas eux-mêmes le traitement. C’est pourquoi le devoir des médecins de divulguer les risques matériels d’une intervention est renforcé par la nature fiduciaire de la relation médecin-patient, qui exige que les médecins agissent dans l’intérêt supérieur de leurs patients18,19. Même si les tribunaux ont occasionnellement permis à des médecins de ne pas divulguer des renseignements dans les cas où le bien-être du patient pourrait être sérieusement menacé par la divulgation, la portée de ce privilège est grandement restreinte17. Selon la jurisprudence, il vaut mieux que les médecins communiquent les renseignements appropriés aux patient et atténuent ensuite les conséquences défavorables en réconfortant et en rassurant les patients plutôt que d’éviter la divulgation20.
Même si, à notre connaissance, les tribunaux canadiens n’ont pas eu à se prononcer sur l’obligation égale des médecins de renseigner les patients de manière proactive à propos des thérapies non éprouvées offertes dans un autre pays, la jurisprudence américaine offre certains indices concernant une pratique médicale raisonnable dans de tels cas. Le devoir qu’ont les médecins d’informer n’exige habituellement pas une divulgation proactive des interventions qui ne sont pas éprouvées et sont inaccessibles localement. S’ils sont expressément questionnés par des patients concernant des interventions non éprouvées à l’étranger et s’il devient évident que le patient a décidé de suivre un tel traitement, les médecins de famille sont obligés de leur fournir des renseignements pertinents, fondés sur des données probantes, une norme qui n’exige pas la divulgation proactive des interventions qui n’ont pas reçu d’approbation réglementaire suffisante21,22. Par exemple, les médecins devraient discuter des risques pour la santé et sur le plan financier associés avec le tourisme médical en général, ainsi que de l’intervention en cause, et expliquer aux patients comment les risques, les bienfaits et les incertitudes entourant l’intervention non éprouvée se comparent avec ceux du traitement conventionnel, de manière à ce que le patient puisse prendre des décisions de traitement en toute connaissance de cause. De plus, les médecins devraient mettre en évidence les problèmes que pourrait rencontrer le patient si des soins de suivi étaient nécessaires de retour au pays. S’il est connu que l’intervention cause des préjudices sérieux, la responsabilité fiduciaire des médecins peut comporter un devoir assez onéreux de divulgation21. Ce n’est pas dire que les médecins devraient exercer des pressions sur les patients ou essayer d’entraver leur autonomie, mais ils devraient exprimer clairement leurs préoccupations au sujet de l’intervention et s’assurer de communiquer efficacement des renseignements matériels de manière à ce que les patients prennent des décisions éclairées. De plus, lorsque des parents ont pris la décision au nom de patients pédiatriques de leur faire subir des interventions non éprouvées à l’étranger à l’encontre de conseils médicaux, les médecins pourraient, dans des circonstances extrêmes, être dans l’obligation de signaler la situation aux autorités responsables du bien-être des enfants, surtout si l’intervention non éprouvée comporte des risques évidents et s’il existe d’autres traitements plus sûrs23.
Décoder et clarifier les obligations
Il y a beaucoup de chevauchements entre les obligations juridiques et éthiques des médecins de famille de patients qui s’intéressent à des interventions non éprouvées à l’étranger. Les médecins de famille canadiens devraient fournir les renseignements demandés à propos de ces interventions au meilleur de leurs connaissances et devraient respecter l’autonomie du patient quant aux décisions à propos de leurs soins. Les médecins ont aussi la responsabilité de protéger le bien-être de leurs patients et devraient les informer des inquiétudes entourant les interventions non éprouvées et discuter de solutions de rechange éprouvées lorsqu’elles sont accessibles.
Plusieurs questions urgentes restent sans réponse.
Étant donné l’absence de renseignements fiables à propos des interventions non éprouvées, dans quelle mesure les médecins devraient-ils s’informer eux-mêmes à propos de ces interventions, surtout si ces dernières ne sont pas accessibles au Canada?
Comment les médecins peuvent-ils maintenir une relation médecin-patient positive et respecter l’espoir des patients d’améliorer leur santé tout en protégeant leur sécurité?
Dans quelles circonstances, s’il en est, les médecins peuvent-ils refuser d’offrir des soins de suivi à leurs patients à la suite d’un traitement reçu à l’étranger?
Les médecins devraient-ils avertir les patients à propos des effets de leurs décisions sur eux-mêmes seulement ou devraient-ils aussi discuter des répercussions sur des tiers, y compris les citoyens des pays hôtes de ces interventions, et du potentiel de nuire à des études de recherche bien conçues sur de nouvelles interventions?
Nous lançons un appel aux enseignants en médecine pour qu’ils présentent des questions comme celles-ci aux médecins de famille en formation afin de les encourager à réfléchir dès le départ aux implications du tourisme médical dans leur pratique clinique.
À l’heure actuelle, les médecins de famille canadiens sont confrontés à trop d’incertitude devant la tendance grandissante de Canadiens voulant subir des interventions non éprouvées dans le contexte du tourisme médical. Ils devraient surmonter ce défi en cherchant à mieux comprendre les enjeux avec lesquels leurs patients sont aux prises à cet égard et réfléchir attentivement à leurs obligations éthiques et juridiques envers ces patients. En même temps, les médecins méritent des lignes directrices plus claires en matière d’éthique et de droit de la part de leurs collèges et associations professionnels concernant leurs rôles dans de tels cas, de manière à ce qu’ils puissent s’acquitter de leurs obligations sans crainte ni confusion. Le leadership médical canadien est appelé par la présente à se rallier aux spécialistes du monde du droit, de l’éthique et des politiques pour travailler activement à l’élaboration de telles directives.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2015 issue on page 584.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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