Bon an, mal an, le Canada accueille environ 25 000 réfugiés de partout au monde1. La santé des réfugiés diffère souvent de celle des personnes nées au Canada et des immigrants non réfugiés, et des études ont montré que l’état de santé des réfugiés tend à être déficiente2,3. Le fardeau de la maladie dépend du pays d’origine, des expositions, des conditions de vie antérieures et de l’accès aux soins de santé, des routes de migration et de divers autres facteurs3. Le test de dépistage standardisé pour les demandeurs d’asile effectué avant ou dès leur arrivée au Canada se limite à l’examen médical aux fins de l’immigration, lequel consiste en une brève anamnèse et un examen physique, une tomodensitométrie des poumons (à partir de 11 ans), un test d’urine (à partir de 5 ans) et un test de dépistage de la syphilis et du VIH (à partir de 15 ans)4. Les soins médicaux minutieux et plus complets sont à la discrétion des prestataires de soins subséquents si les réfugiés ont réussi à accéder à des soins. Il est possible que les prestataires de soins connaissent mal les affections aiguës ou chroniques dont sont atteintes ces populations migrantes.
Les données publiées traitant de l’état de santé des réfugiés et des demandeurs d’asile au Canada sont limitées. Cette étude se penche sur la prévalence des maladies infectieuses parmi les nouveaux réfugiés et demandeurs d’asile d’une clinique pour réfugiés à Toronto, en Ontario, et présente une sous-analyse par facteurs démographiques clés. Les pratiques de dépistage et les principaux indicateurs de santé s’appuyaient sur les lignes directrices 2011 Evidence-based Clinical Guidelines for Immigrants and Refugees publiées par la Canadian Collaboration for Immigrant and Refugee Health3. Cet article portant sur les maladies infectieuses est le premier d’une série de 2; le deuxième article (page e338) se penche sur les maladies chroniques5, tous 2 proposent une façon d’améliorer les soins cliniques pour les réfugiés.
MÉTHODES
Nous avons effectué une revue rétrospective de dossiers médicaux électroniques de 1063 patients réfugiés qui fréquentaient une clinique de soins primaires spécialisés dans les soins aux réfugiés à Toronto. Étaient admis à l’étude tous les patients inscrits à la clinique entre le 1er décembre 2011 et le 23 juin 2014, ayant consulté la clinique au moins une fois et dont le pays de naissance était indiqué dans le dossier médical électronique. Les données étaient tirées des résultats du tout premier test de dépistage standardisé et des données démographiques inscrites au dossier des patients dans le cadre des soins de routine. Les patients n’ont pas reçu, ou été privés de tests ou de traitements additionnels. Cette étude a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche de l’Hôpital Women’s College.
Nous avons recueilli les données démographiques et sociales suivantes : âge à la première visite, sexe, pays de naissance, classe de réfugié et organisme ou contact orienteur. Aux fins de l’investigation portant sur les maladies infectieuses, nous avons recueilli les données suivantes en matière de santé : sérologie du VIH, sérologie de l’hépatite B (antigène de surface et anticorps de surface de l’hépatite B), anticorps anti-hépatite C, sérologie des strongyloïdes, sérologie des schistosomes, ovules et parasites intestinaux, test de dépistage de la gonorrhée et de la chlamydia (culture ou test d’amplification des acides nucléiques), test de dépistage de la syphilis et immunité contre la varicelle (anticorps de type immunoglobulines G contre la varicelle).
Le pays de naissance des patients était classé selon les groupements régionaux de l’Organisation mondiale de la Santé aux fins de sous-analyse régionale6. Étant donné le faible nombre de patients originaires du Pacifique occidental (soit la Corée du Sud et la Chine), cette région a été fusionnée avec l’Asie du Sud-Est pour former la catégorie Asie. Dans notre sous-analyse des données, nous avons exclu 39 patients nés au Canada ou aux États-Unis, puisqu’ils étaient principalement des nourrissons nés de parents réfugiés dont les caractéristiques démographiques et de santé étaient différentes de celles des réfugiés nés à l’étranger. Les catégories d’âge aux fins d’analyse s’appuyaient sur la pertinence clinique de chaque indicateur de santé et sur les désignations de l’Organisation mondiale de la Santé.
Les sous-analyses ont été réalisées par l’entremise de SAS, version 9.2, les comparaisons de logiciel et de sous-groupe par l’entremise du test exact de Fisher et les valeurs p inférieures à 0,05 étaient considérées significatives.
RÉSULTATS
Les renseignements démographiques de base décrivant notre population de patients figurent au Tableau 16. Nous avons vu plus de patientes que de patients (56 p/r à 44 %). L’âge médian des patients était de 29 ans, l’intervalle interquartile était de 15 à 39 ans; 11 % des patients avaient moins de 5 ans. Les réfugiés étaient nés dans 87 pays différents (Figure 1). Les pays d’origine du plus grand nombre de réfugiés étaient la Hongrie (210 patients), la Corée du Nord (119 patients) et le Nigéria (93 patients). Environ 33 % des patients étaient originaires d’Afrique, 28 % d’Europe, 14 % de la région de la Méditerranée orientale, 14 % d’Asie et 8 % des Amériques (excluant 39 patients [4 %] nés au Canada ou aux États-Unis). La plupart des patients sont arrivés à titre de demandeurs d’asile (92 %); seuls 5 % étaient des réfugiés pris en charge par le gouvernement. La plupart des réfugiés ont été aiguillés à la clinique par des centres pour les réfugiés (73 %). Les autres étaient aiguillés par la famille ou les amis (12 %), d’autres organismes communautaires (10 %) et les prestataires de soins de santé (4 %).
Les taux de VIH ou d’hépatite figurent au Tableau 26. Parmi les patients testés, 2 % ont obtenu un résultat positif au test de sérologie du VIH; 13 cas sur 14 étaient des femmes africaines. Le taux global d’hépatite B était de 4 %, ce taux étant supérieur parmi les réfugiés originaires d’Asie (12 %, p < 0,001). L’immunité contre l’hépatite B était de 39 %, ce taux étant supérieur parmi les réfugiés originaires d’Asie (64 %, p < 0,001) et les enfants de moins de 5 ans (68 %, p < 0,001). Il y a eu 4 cas identifiés d’hépatite C (prévalence de < 1 %) (Tableau 3).
Le Tableau 4 illustre les taux de certaines maladies parasitaires6. Environ 3 % des patients testés présentaient des signes d’infection à strongyloïdes, la prévalence s’équivalaint chez les enfants comme chez les adultes. Le taux le plus élevé d’infection provenait de l’Afrique (6 %, p = 0,003). Parmi les patients africains, 15 % ont obtenu des résultats positifs à la sérologie de la schistosomiase. Des parasites gastro-intestinaux ont été relevés chez 16 % des 391 échantillons de selles soumis, sans variation régionale significative. Dientamoeba fragilis et Entamoeba histolytica ou Entamoeba dispar étaient les espèces le plus fréquemment identifiées (Tableau 5). Cependant, seul un cas sur 12 d’E. histolytica ou d’E. dispar a été confirmé comme étant un cas d’E. histolytica pathologique.
Dans le cas des infections transmises sexuellement (ITS) parmi les femmes ayant demandé un test de dépistage ou ayant subi un test Pap ou un dépistage prénatal, 2 % des femmes testées (7 sur 313) ont obtenu un résultat positif pour la chlamydia, 1 % (5 sur 370) ont obtenu un résultat positif pour la syphilis et aucune n’a obtenu un résultat positif pour la gonorrhée. Les hommes n’ont pas subi de test de dépistage systématique des ITS.
La réceptivité à la varicelle (non-immunisation) était de 8 % dans l’ensemble parmi les sujets testés, le taux le plus élevé se trouvaint parmi les patients originaires des Amériques (21 %, p < 0,001). Le taux de réceptivité reculait avec le vieillissement (p < 0,001); aucun patient de plus de 50 ans était non immunisé (Tableau 6)6.
DISCUSSION
Dans notre population à l’étude composée principalement de demandeurs d’asile, nous avons observé un fardeau considérable de maladies infectieuses. Les indicateurs de santé avaient tendance à varier significativement sur le plan statistique en fonction de la région géographique et des courants épidémiologiques mondiaux.
Le taux de VIH au sein de notre population de patients (2 %) était substantiellement plus élevé que la prévalence estimée du VIH dans la population générale du Canada (0,2 %)7. La concentration régionale de cas parmi les patients africains (6 %) reflète la tendance mondiale, la prévalence estimée du VIH en Afrique du Sud du Sahara étant de 4,7 %8. La prédominance du VIH chez les femmes dans notre étude s’explique par le plus grand nombre de femmes qui obtiennent des soins pour des besoins liés à la reproduction, tels les soins prénataux.
Nous avons observé un taux élevé d’hépatite B chronique (4 %), le fardeau de la maladie étant significativement plus lourd (p < 0,001) parmi les réfugiés originaires d’Asie (12 %), où l’hépatite B est endémique. Des études antérieures ont rapporté un taux d’hépatite B de 0,4 % dans la population générale canadienne9, comparativement à 1,6 à 4 % parmi les immigrants du Canada3,9,10. Une méta-analyse portant sur l’hépatite B chronique parmi les immigrants de pays où la prévalence de l’hépatite B est faible a donné lieu à une séroprévalence groupée d’ensemble de 9,6 % parmi les réfugiés, les taux les plus élevés se trouvant parmi les réfugiés d’Asie de l’Est et du Pacifique (13,2 %) et d’Afrique du Sud du Sahara (10,5 %)11. Des taux élevés d’hépatite B parmi les réfugiés mettent en lumière l’importance des tests de dépistage de l’hépatite B afin d’assurer un traitement prompt et d’immuniser les contacts de la personne infectée.
En outre, nos données ont fait ressortir la proportion substantielle de réfugiés qui demeurent réceptifs à une infection par le virus de l’hépatite B, car ils ne sont pas immunisés (61 %). Une récente méta-analyse portant sur l’immunité contre l’hépatite B parmi les immigrants a rapporté un taux de réceptivité comparable de 60 %11. Les réfugiés vivent souvent dans des logements surpeuplés, potentiellement aux côtés de porteurs du virus de l’hépatite B, ce qui accroît leur risque d’exposition à l’hépatite B et de transmission3. Ces personnes pourraient grandement profiter de la mise en place d’un programme systématique de vaccination contre l’hépatite B à l’intention des nouveaux arrivants au Canada, une lacune des soins préventifs actuels.
Le taux d’hépatite C (< 1 % dans l’ensemble) était plus faible que prévu dans notre population à l’étude, comparativement à une prévalence mondiale estimée d’hépatite C de 2,2 à 3 %, avec distribution géographique variable12,13, mais ce taux est comparable au taux antérieurement estimé (0,8 %) parmi les nouveaux arrivants au Canada14. La recherche a montré que, par rapport à la population née au Canada, les immigrants présentent un taux supérieur de morbidité et de mortalité liées à l’hépatite B et C3. Avec l’avènement de nouveaux traitements efficaces contre l’hépatite C, il faut envisager le dépistage précoce des réfugiés, du moins ceux originaires de régions très endémiques (p. ex. prévalence d’hépatite C ≥ 3 %3), avec traitement subséquent afin de prévenir la morbidité à long terme.
Une proportion substantielle de patients a présenté des infections parasitaires particulières à des régions géographiques précises. Cela dit, le taux d’infection à strongyloïdes dans notre population (3 % dans l’ensemble, 6 % chez les patients africains) était plus faible que le taux observé de 9 à 77 % dans les études antérieures auprès de réfugiés originaires d’Afrique et d’Asie du Sud-Est3. L’infection à schistosomes a été dépistée chez 15 % des patients de l’étude originaires d’Afrique, la région du monde qui compte le plus d’infections15, les taux déjà publiés étant de 2 à 73 % parmi les réfugiés africains3. La distribution mondiale et régionale variable de ces infections parasitaires traduisent l’hétérogénéité de l’exposition locale et des facteurs de risque15,16. Les infections à stongyloïdes et à schistosomes peuvent persister pendant plusieurs années à l’état subclinique avant de progresser à des complications sévères de santé. Ainsi, les tests et traitements ciblés, guidés par la distribution géographique de la prévalence, peuvent prévenir ces conséquences préjudiciables sur la santé à l’aide d’une approche plus rentable que le dépistage universel.
Dans les régions tropicales, la varicelle tend à se présenter à un âge plus avancé (plus de 10 à 15 ans), ce qui laisse 15 à 30 % des adolescents et des adultes réceptifs à l’infection3,17. Aussi, la sévérité de l’infection par la varicelle s’accentue avec l’âge et elle peut avoir des conséquences particulièrement néfastes durant la grossesse18,19. Dans notre population, 17 % des adolescents (14 à 19 ans) et 6 % des jeunes adultes (20 à 39 ans) étaient réceptifs à la varicelle. Ces faibles taux de réceptivité reflètent sans doute la grande proportion de réfugiés originaires d’Europe de l’Est dans notre population, lesquels ont été plus exposés à la varicelle durant l’enfance que les réfugiés des régions tropicales. Une étude récente portant sur des nouveaux arrivants à Montréal, au Québec a révélé un taux comparable de réceptivité des adultes à la varicelle, soit 6 %17. Vu les conséquences qu’une infection par la varicelle pourrait avoir sur la santé des adultes, ces constatations corroborent la recommandation de dépister les anticorps contre la varicelle parmi les réfugiés de 13 ans et plus et de vacciner ceux qui sont réceptifs, de même que de vacciner tous les enfants de moins de 13 ans3,20.
Limites
Cette étude inclut divers échantillons de patients réfugiés; et nos données ne peuvent pas être généralisées à toutes les populations de réfugiés arrivant au Canada. Nous nous sommes appuyés sur des données portant sur des patients ayant volontairement obtenu des soins à la clinique de soins primaires au centre-ville de Toronto et ayant effectué les tests de laboratoire recommandés, ce qui introduit plusieurs niveaux de partialité. En outre, nos résultats reflètent les caractéristiques démographiques uniques qui prévalent à un moment précis dans la fluctuation migratoire des réfugiés au Canada et à Toronto, alors que la dynamique d’immigration fluctue fréquemment. De plus, la plupart des patients inclus dans cette étude étaient des demandeurs d’asile, cette population peut différer des réfugiés pris en charge par le gouvernement ou parrainés par le secteur privé sur les plans des antécédents avant la migration, des facteurs démographiques et de l’état de santé.
La revue rétrospective de dossiers serait aussi une source potentielle d’inexactitudes, dont les erreurs des cliniciens lors de l’entrée des données et l’omission de résultats. Aussi, certains patients ont fréquenté la clinique plusieurs mois après leur arrivée au pays, brouillant ainsi les cartes quant à leur « état de santé initial » à l’arrivée au Canada.
Cette étude ne capture qu’un sous-groupe d’indicateurs importants de santé des réfugiés; nous nous sommes attardés à des affections médicales à l’aide de mesures diagnostiques objectives. Il est crucial d’investiguer un échantillon plus vaste d’affections médicales de manière à faire progresser les normes de pratiques exemplaires pour les réfugiés.
Bien que la plupart des caractéristiques de santé ait donné lieu à des variations géographiques statistiquement significatives, les désignations régionales pourraient obscurcir d’importantes variations à l’intérieur des régions et des pays. Il est essentiel de tenir compte de l’historique avant la migration et du trajet migratoire uniques d’un patient afin d’adapter les soins cliniques de manière appropriée.
Conclusion
Cette analyse rétrospective de l’état de santé des nouveaux réfugiés au Canada met en lumière les besoins uniques en matière de santé de cette population. La prévalence de diverses maladies infectieuses, telles que le VIH et l’hépatite B, était considérablement plus élevée que dans la population née au Canada et le fardeau de maladies parasitaires était considérable, y compris la schistosomiase et l’infection à strongyloïdes, chez les réfugiés de certaines régions géographiques. Nous recommandons des pratiques de dépistage ciblé éclairées par les distributions régionales de la maladie et la situation personnelle du patient. Nos données ont aussi cerné des répercussions potentielles sur les politiques futures, y compris le besoin d’améliorer l’accès à la vaccination contre l’hépatite B et au diagnostic de maladies tropicales et aux approches thérapeutiques. Pour améliorer les soins cliniques dans cette population, les recherches doivent dorénavant prendre la forme d’analyses en profondeur de l’état de santé et des besoins de groupes démographiques spécifiques, élargir l’exploration de la santé mentale et des maladies chroniques et investiguer l’accès aux soins pour les réfugiés.
Remerciements
Nous souhaitons remercier Vanessa Wright et Roseanne Hickey pour les soins cliniques dévoués qu’elles ont dispensés aux patients de la clinique Crossroads, et Wei Wu de l’Hôpital Women’s College pour son aide en matière d’analyses statistiques.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
Les données publiées traitant de l’état de santé des réfugiés et des demandeurs d’asile au Canada sont limitées. Cette étude se penche sur la prévalence des maladies infectieuses parmi les nouveaux réfugiés et demandeurs d’asile d’une clinique pour réfugiés à Toronto, en Ontario, et présente une sous-analyse par facteurs démographiques clés. Dans le même numéro de la présente revue, un article d’accompagnement traite de la prévalence des maladies chroniques.
La prévalence de diverses maladies infectieuses, comme le VIH et l’hépatite B, était considérablement supérieure à celle dans la population née au Canada, et on a observé une variation statistiquement significative du taux d’infection selon la région d’origine. Les réfugiés de certaines régions géographiques présentaient également un fardeau considérable de maladie parasitaire, y compris la schistosomiase et l’infection à strongyloïdes.
Les auteurs recommandent d’adopter des pratiques de dépistage ciblé éclairées par les distributions régionales de la maladie et la situation personnelle du patient.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
Cet article fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2015 issue on page e303.
Collaborateurs
La Dre Redditt a contribué à la méthodologie de l’étude, à la collecte et à l’interprétation des données et à la rédaction du manuscrit. La Dre Janakiram a contribué à l’interprétation des données et à la révision de l’article. Mme Graziano a contribué à la collecte des données et à la révision de l’article. Le Dr Rashid a contribué au concept et à la méthodologie de l’étude, à l’interprétation des données et à la révision de l’article. Tous les auteurs ont approuvé le manuscrit final aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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