
On apprend ce mois-ci que la marijuana fumée est d’une efficacité douteuse pour contrôler la douleur chronique non cancéreuse (DCNC). C’est la conclusion à laquelle arrivent Deshpande et coll. dans une revue systématique recensant les études cliniques contrôlées dans le but d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de cette substance pour le traitement de la DCNC (page e373)1. Leurs conclusions sont claires: les données dont nous disposons ne permettent pas d’endosser l’emploi de la marijuana pour la DCNC. Les limites des études existantes comprennent leur courte durée, la variabilité du dosage et de la teneur en tétrahydrocannabinol et l’absence de résultats fonctionnels.
En soi, ces résultats n’ont rien d’inattendu; le contraire l’aurait été bien davantage. Cette étude vient simplement confirmer ce que la plupart d’entre nous pensions: la marijuana n’est pas efficace pour traiter la douleur et les croyances que certains entretiennent à son égard relèvent davantage du mythe que de la réalité. Car, si cette substance l’était le moindrement, il y a longtemps que Santé Canada l’aurait reconnue, que les compagnies pharmaceutiques auraient flairé l’affaire et l’aurait commercialisée, et que nous prescririons du tétrahydrocannabinol à nos patients souffrants. Cette étude vient aussi s’ajouter aux autres révisions qui tantôt mettent en doute l’efficacité démontrée de cette substance ou soulignent ses effets indésirables2–4. En contrepartie, ce qui surprend dans cette revue systématique, c’est le peu de données probantes dont nous disposons: à en croire les auteurs, tout ce que nous avons se résume à 6 petites études de qualité discutable auxquelles ont participé seulement 226 patients. C’est tout?! Est-ce possible que ce soit là l’ampleur des connaissances scientifiques que nous ayons sur ce produit qui fait tant parler et tant débattre?
Pourtant, malgré cela et malgré le contrôle exercé sur cette substance, la marijuana court encore et toujours. En effet, nombreux sont les patients souffrant de diverses douleurs chroniques—sclérose en plaques, douleur du membre fantôme, neuropathies diverses, fibromyalgie et autres affections chroniques—qui ont recours à la marijuana pour soulager leur mal. En 2003, un sondage envoyé aux 209 patients d’un centre d’expertise en gestion de la douleur révélait que 35% d’entre eux avaient eu recours au cannabis pour soulager leur douleur5. En 2011, l’Enquête de surveillance canadienne de la consommation d’alcool et de drogues6 révélaient qu’approximativement 420 000 Canadiens âgés de 15 ans et plus avaient fait usage de cannabis pour des raisons médicales, la moitié en raison de douleurs chroniques. Comment expliquer qu’une substance prétendument peu efficace soit tant utilisée? S’agitil uniquement d’un effet placebo? Ou bien se pourrait-il que la substance procure effectivement un bienfait que l’on n’arrive pas à mesurer?
On dirait que lorsqu’il est question de marijuana à des fins thérapeutiques, on est en présence de deux paradigmes. D’une part, les données probantes et les réglementations qui affirment que la marijuana ne sert à rien et peut même être préjudiciable; et d’autre part, les patients qui se procurent leur stock au vu et au su de tous et chacun, sans égard à ce que prétendent ou édictent les premiers. En réalité, lorsqu’il question de marijuana, on se croirait retournés à l’époque de la prohibition: plus la Science et les bons penseurs s’acharnent à contrôler la marijuana, plus la population se regimbe.
Alors, pourquoi les médecins ne se mettraient-ils pas à prescrire de la marijuana à des fins thérapeutiques? Cela permettrait de concilier les intérêts des uns et des autres et permettrait d’exercer un contrôle sur son usage, tout en donnant la possibilité à ceux qui souhaitent y avoir recours de pouvoir le faire.
Parce que c’est peu efficace, dites-vous? Ah bon! Vous croyez que les autres médicaments que l’on prescrit pour la douleur chronique le soient bien davantage? Si tel était le cas, comment expliquer que l’on parle de douleur chronique. Parce que les autres substances ont moins d’effets indésirables personnels et sociétaux? Pas si sûr que cela. Et puis ce ne serait pas le premier produit que l’on prescrirait dans le but, essentiellement, de minimiser les conséquences personnelles et sociétales. N’est-ce pas ce que nous faisons avec la méthadone?
Si les médecins s’en mêlaient, cela éviterait de laisser les patients qui se disent soulagés par le cannabis de s’approvisionner n’importe où et n’importe comment, n’exerçant aucun contrôle sur leur consommation, préférant les laisser se procurer une substance dont on ne connaît ni la composition, ni la teneur, ni la qualité, en ne se souciant pas des effets indésirables et des interactions médicamenteuses potentielles liés à son usage. Cela permettrait d’éviter de contribuer à la perpétuation du marché noir, en sachant très bien qu’il y a des vendeurs de drogue qui rôdent tout autour; que le marché est sûrement contrôlé par la mafia. Cela éviterait la judiciarisation des consommateurs et des producteurs. Or, même en sachant tout cela, les médecins se contentent actuellement de laisser leurs patients fumer leurs joints là ils où le peuvent et comme ils le peuvent, et même sous leur nez, préférant fermer les yeux sur la réalité.
Il est peut-être temps que cela change et que les médecins se mettent à prescrire de la marijuana à ceux qui souffrent et qui disent que cela les aide.
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