Marie, une adjointe administrative de 49 ans, vient vous voir pour son examen médical annuel. Elle vous mentionne que ses menstruations deviennent de plus en plus irrégulières et imprévisibles. Jusque-là, son cycle menstruel était de 30 jours, mais au cours des 6 derniers mois, il a varié entre 24 et 40 jours. Ses règles sont abondantes depuis sa deuxième grossesse il y a 21 ans et le problème s’aggrave. Durant les 2 premiers jours de ses règles, elle doit changer son tampon de format super et sa serviette (utilisés simultanément) après 1 heure ou 2 pour ne pas tacher ses vêtements; elle a de légères crampes, mais pas de caillots sanguins importants. Ses menstruations sont devenues si insupportables qu’elle doit souvent prendre congé du travail lorsqu’elles se produisent. Elle dit ne pas avoir de microraggie entre ses règles ou après les relations sexuelles. Elle a des bouffées de chaleur occasionnelles, mais aucun autre symptôme de ménopause.
Marie a récemment commencé à prendre 25 mg par jour d’hydrochlorothiazide pour traiter son hypertension essentielle. Elle ne présente pas d’autre problème médical. Pour ses crampes menstruelles, elle prend au besoin 325 mg d’acétaminophène aux 6 heures et 200 mg d’ibuprofène 1 fois par jour. Elle n’a pas d’allergies connues. Ses antécédents en chirurgie comptent une amygdalectomie lorsqu’elle était enfant et une ligature des trompes. En ce qui a trait à l’obstétrique et à la gynécologie, elle a une relation monogame avec son mari et a eu 2 grossesses à terme—2 accouchements vaginaux spontanés sans complications ni hémorragie postpartum. Marie ne fume pas et ne boit de l’alcool qu’occasionnellement. Elle a des antécédents familiaux d’hypertension notables du côté de sa mère; elle n’a pas d’antécédents de cancer du sein ou de coagulopathies. Sa mère a subi une hystérectomie à 40 ans pour des fibromes.
L’examen physique de Marie révèle des signes vitaux normaux et un indice de masse corporelle de 32 kg/m2. Tous les résultats des examens physiques n’ont rien de particulier sauf une masse à l’utérus décelée lors d’un examen bi-manuel. Les résultats du récent test de Papanicolaou étaient normaux.
Vous procédez à une biopsie de l’endomètre et demandez une formule sanguine complète, une analyse du taux de thyréostimuline, un test d’urine pour la chlamydia et la gonorrhée et une échographie pelvienne.
Les saignements utérins anormaux (SUA) touchent environ 30 % des femmes en âge de procréer1. Pour ces femmes, il s’agit d’un fardeau considérable en soins de santé qui a définitivement un effet sur leur qualité de vie. Les professionnels de la santé traitent d’ailleurs fréquemment ce problème2.
On définit et classe les saignements utérins anormaux de diverses façons. Au sens large, on pourrait les désigner comme une variation du cycle menstruel normal. Cette variation peut se situer dans la régularité, la fréquence, la durée du flux ou la quantité de sang perdu. Le saignement est souvent « abondant », c’est-à-dire une perte de sang menstruel excessif qui nuit à la qualité de vie physique, sociale, émotionnelle et matérielle de la femme3. Les mots ménorragie et métrorrhagie, ainsi que d’autres combinaisons, sont maintenant considérés désuets.
On peut classer les saignements utérins anormaux selon qu’ils sont préménopausiques, périménopausiques ou postménopausiques. Chez les femmes en préménopause ou en périménopause, les SUA peuvent être catégorisés plus en détail comme étant ovulatoires ou anovulatoires. Les saignements ovulatoires se produisent à intervalles menstruels réguliers et sont typiquement associés à des symptômes prémenstruels et des périodes de douleurs. Les saignements anovulatoires sont plus communs à l’apparition des premières règles et autour de la ménopause et se caractérisent par des menstruations abondantes, irrégulières et prolongées. On associe davantage l’hyperplasie endométriale et le cancer avec les saignements anovulatoires chez les femmes en périménopause et en ménopause2.
Causes et objectifs thérapeutiques
Les SUA sont causés par de nombreux facteurs, notamment d’ordre anatomique, systémique et pharmacologique4. Une fois que les causes ont été déterminées par les investigations et que la possibilité de problèmes précancéreux ou cancéreux a été écartée, bon nombre des principes thérapeutiques sont les mêmes. Un tableau détaillé des causes et des traitements des SUA se trouve dans CFPlus*. Les objectifs thérapeutiques généraux dans les cas de SUA comprennent la prise en charge des problèmes médicaux déclencheurs, le traitement de l’anémie au besoin, le retour à la prévisibilité des saignements ou l’arrêt des menstruations, l’encouragement à atteindre un poids santé et l’atténuation des effets des saignements anormaux sur les activités de la vie quotidienne de la femme4.
Pour notre patiente Marie, il est important de déterminer ses attentes face à son problème afin d’établir un plan de prise en charge centrée sur elle. Les femmes font souvent des recherches à propos des options thérapeutiques et en ont parlé à des amies et des collègues. Marie pourrait présumer qu’une hystérectomie lui sera offerte comme on l’a fait pour sa mère par le passé.
Les résultats des investigations de Marie sont normaux. À la visite suivante, vous passez en revue ces résultats et vous discutez des choix de traitements.
Options thérapeutiques
Les SUA de Marie se classent dans la catégorie périménopausique. Parce que les résultats des investigations sont normaux, on devrait envisager en premier lieu un traitement pharmacologique5 (Figure 1) et parmi les options figurent l’hormonothérapie, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les antifibrinolytiques (Tableau 1)6.
Algorithme de traitement des SUA en périménopause
AINS—anti-inflammatoire non stéroïdien, AMPR—acétate de médroxyprogestérone-retard, COC—contraceptif oral combiné, DIU-LNG—dispositif intra-utérin au lévonorgestrel, HTN—hypertension, TEV—thromboembolisme veineux, SUA—saignements utérins anormaux.
*Au nombre des contre-indications à prendre des COC figurent des antécédents d’accident vasculaire cérébral ou de TEV, une hypertension incontrôlée, une maladie hépatique active ou des antécédents de cancer du sein.
Données tirées de Towriss6.
Options pharmacothérapeutiques pour les SUA
Hormonothérapie
Parmi les options de traitements des SUA à base d’hormones, on peut mentionner le dispositif intra-utérin au lévonorgestrel (DIU-LNG), les contraceptifs oraux combinés (COC), l’acétate de médroxyprogestérone-retard (AMPR) et les comprimés de progestine seulement6. Les options hormonales sont généralement le traitement de première intention pour les SUA parce qu’elles aident à réguler le cycle menstruel et diminuent la probabilité d’épisodes de saignements imprévus, prolongés et abondants7. Beaucoup de femmes souffrent d’un plus grand nombre d’effets hormonaux indésirables avec les COC qu’avec le DIU-LNG en raison de l’absorption systémique accrue du médicament8. Parmi les plaintes mentionnées figurent de la nausée, des céphalées, la métrorragie, la rétention d’eau, une sensibilité aux seins et des changements d’humeur7.
Idéalement, les patientes devraient suivre une thérapie hormonale d’essai d’une durée de 3 à 6 mois pour évaluer son efficacité4.
Dispositif intra-utérin au lévonorgestrel : Le DIU-LNG est conçu pour libérer 20 µg/j de lévonorgestrel pendant une période allant jusqu’à 5 ans9. Il a été démontré que ce dispositif diminue de 86 % la perte de sang menstruel après 3 mois et de 97 % après 12 mois, et de 20 à 80 % des femmes deviennent aménorrhéiques après 1 an8,9. La dysménorrhée et les douleurs pelviennes peuvent aussi s’améliorer. Selon les données probantes, le DIULNG serait l’option la plus fiable chez les femmes obèses ou ayant un surpoids10. Certaines des plaintes les plus courantes des femmes portant un DIU-LNG concernent des saignements irréguliers ou des microrragies (surtout durant les 3 à 6 premiers mois), des crampes et l’expulsion du dispositif. Une révision des méta-analyses par Cochrane comparant les traitements médicaux aux traitements chirurgicaux (destruction endométriale et hystérectomie) a révélé que le DIU-LNG était moins efficace pour réduire les saignements mais qu’il procurait une amélioration équivalente de la qualité de vie11. Un DIULNG à faible dose (6 µg/j pendant 3 ans) est maintenant disponible au Canada; toutefois, il n’est pas officiellement indiqué pour le traitement des SUA12.
Contraceptifs oraux combinés : Les contraceptifs oraux combinés comptent parmi les autres options hormonales accessibles. Il n’existe pas de données probantes qui font valoir qu’un type de COC est plus efficace qu’un autre6, mais il est recommandé de choisir un produit contenant au moins 30 µg d’éthinylœstradiol. Les contraceptifs oraux combinés réduisent de 40 à 50 % la perte de sang menstruel et améliorent la dysménorrhée13. Il existe de nombreuses posologies prescrites décrites dans la littérature médicale, la plus forte étant 1 comprimé 3 fois par jour jusqu’à ce que cessent les saignements, suivie d’une diminution progressive à 1 fois par jour de manière continue pendant 3 mois avant de prévoir un intervalle sans contraceptif. Par ailleurs, il est aussi approprié de commencer par une posologie de 1 comprimé par jour avec ou sans intervalle d’abstention5. L’efficacité du recours aux COC monophasiques selon une posologie continue pendant 3 à 6 mois a été démontrée pour le traitement des SUA; toutefois, les données probantes sont peu nombreuses en faveur de l’utilisation continue des COC triphasiques14. Les timbres transdermiques ou les anneaux vaginaux, utilisés en continu ou de manière cyclique, représentent aussi des options appropriées pour le traitement des SUA; par contre, les données probantes étayant cette indication sont limitées. Avant d’en prescrire, il est important de passer en revue tous les risques potentiels de thromboembolisme de la patiente (Tableau 1).6
Il n’y a pas de contre-indications chez notre patiente de prendre des COC, mais elle devrait être informée des signes et des symptômes de thromboembolisme veineux si c’était son choix de traitement.
Acétate de médroxyprogestérone-retard : L’administration intramusculaire d’une dose de 150 mg d’AMPR aux 12 semaines est une option acceptable pour traiter les SUA. Même si aucune étude n’a évalué l’efficacité et l’innocuité de l’AMPR dans les cas de SUA, il est démontré qu’il réduit de 60 à 70 % la perte de sang menstruel et que la majorité des femmes deviennent aménorrhéiques après 1 an15 lorsqu’elles l’utilisent comme contraceptif. Il peut aussi causer des métrorragies irrégulières, une sensibilité des seins, de la nausée, des symptômes reliés à l’humeur et un gain de poids. De plus, on a constaté que l’AMPR causait une légère diminution de la densité minérale osseuse d’environ 1,5 %, cependant réversible s’il est discontinué. L’acétate de médroxyprogestérone pourrait être envisagé pour Marie à 49 ans mais, si elle choisit cette option, il faudrait l’informer à propos d’une alimentation et d’une activité physique appropriées pour favoriser une bonne santé osseuse.
Comprimés à la progestine seulement : Les comprimés de progestine seulement sont une autre option hormonale disponible pour le traitement des SUA. Une dose de 10 mg par jour d’acétate de médroxyprogestérone du jour 5 au jour 26 du cycle (21 jours) ou une dose quotidienne de 100 mg de progestérone micronisée du jour 14 au jour 28 (phase lutéale) a permis d’obtenir une régularité menstruelle chez seulement 50 % des femmes15. La progestine à elle seule en phase lutéale n’est habituellement pas efficace pour les saignements menstruels abondants. Il a été démontré que la posologie sur un long cycle (21 jours) diminue les saignements menstruels abondants, mais les effets hormonaux indésirables limitent sa commodité. Des posologies compliquées, comme un dosage cyclique, entraînent souvent la non-conformité au traitement. La noréthindrone à faible dose (p. ex. 0,35 mg/j) n’a pas été étudiée en ce qui a trait à la prise en charge des SUA.
Anti-inflammatoires non stéroïdiens et antifibrinolytiques
Toutes les options hormonales peuvent être combinées à des choix non hormonaux comme les AINS et les antifibrinolytiques pour prendre en charge les SUA de manière optimale13. Les antifibrinolytiques ne soulagent que les symptômes et les AINS sont moins efficaces que les options hormonales6. Les médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent augmenter les saignements en général; par ailleurs, ils causent une réaction paradoxale lors du traitement des SUA en réduisant la production totale de prostaglandine, ce qui favorise la vasoconstriction utérine et diminue en réalité le saignement dans les cas de SUA6. Concrètement, dans la plupart des cas, les bienfaits d’utiliser des AINS pour les SUA sont supérieurs aux risques. Étant donné qu’il n’y a pas de différences considérables dans l’efficacité des divers AINS17, le choix peut se fonder sur le coût, de même que la tolérance au traitement.
Traitement chirurgical
Le traitement chirurgical n’est pas considéré comme étant de première intention dans le cas de Marie en raison de sa nature invasive. De plus, la thérapie médicale n’a pas échoué jusqu’à présent, elle ne présente pas de contre-indication au traitement pharmacologique et ne souffre pas d’anémie5. Il convient de signaler qu’environ 50 % des femmes qui suivent un traitement pharmacologique choisissent éventuellement une chirurgie en raison de saignements réfractaires ou parce qu’elles souhaitent un traitement définitif18,19.
Vous expliquez à Marie que les patientes plus jeunes qui ont des SUA préfèrent habituellement les COC et les AINS, mais que les femmes en période de périménopause ont plus tendance à opter pour le DIU-LNG20–22. Vous lui mentionnez aussi que le DIU-LNG est le choix d’hormones le plus sûr étant donné son indice de masse corporelle élevé.
Marie ne se sent pas tout à fait à l’aise avec le DIULNG (malgré le fait que la biopsie de l’endomètre ait été bien tolérée) et décide d’essayer les COC. Vous lui prescrivez une formulation contenant 30-µg d’éthinylœstradiol et planifiez une visite de suivi pour revoir son traitement dans 3 mois. Vous lui prescrivez également 1000 mg de naproxène à prendre le jour avant ses menstruations et 500 mg à prendre 2 fois par jour pendant 3 à 5 jours pour soulager les symptômes et réduire les saignements.
Par ailleurs, 2 mois plus tard, Marie revient pour vous dire que ses règles sont moins abondantes, mais qu’elles durent 9 jours, ce qu’elle trouve insupportable. Elle aimerait envisager d’autres options de traitement.
Marie pourrait obtenir un meilleur contrôle du flux si elle poursuivait la thérapie initiale aux COC pendant quelques mois encore. Changer la formule des COC à une dose plus forte en œstrogène ou pour un autre type de progestérone pourrait être utile20. Aucune donnée probante n’existe en faveur de la supériorité de l’une ou l’autre approche6.
Marie vous dit qu’elle a une amie au travail qui obtient de bons résultats avec le DIU-LNG et qu’elle aimerait l’essayer. Vous lui expliquez que le coût initial est d’environ 350 $, mais qu’en bout de ligne, c’est une solution économique qui revient à 70 $ par année. Vous insérez le dispositif sans complication. Vous avez une visite de suivi avec Marie 3 mois plus tard. Elle est vraiment satisfaite du DIU-LNG. Après avoir eu des saignements intermittents et des crampes durant le premier mois, tout est rentré dans l’ordre et elle n’a que de légers saignements pendant quelques jours, qui correspondent vraisemblablement à ses menstruations.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2015 issue on page 693.
↵* Le tableau de RxFiles sur les saignements utérins anormaux se trouve en anglais à www.cfp.ca. Allez au texte intégral de l’article et cliquez sur CFPlus dans le menu du coin supérieur droit de la page.
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