Être sage seulement n’est pas synonyme de sagesse.
George Santayana (traduction libre)
La semaine dernière, un ami recevait un diagnostic de tumeur médiastinale importante qui avait affaissé une partie de son poumon. C’était une tumeur cancéreuse. Il est resté sans voix. Son chirurgien lui a recommandé l’ablation de la tumeur et du poumon, puis il lui a dit : « Vous savez, le Pape François n’a qu’un poumon. »
Qu’est-ce que l’art de la médecine? Ce n’est pas une nouvelle expression. C’est la moitié de l’expression « l’art et la science de la médecine », une formule et un concept qui ont défini notre profession pendant de nombreuses années. Autrement dit, nous avons un pied fermement ancré dans le camp de l’art et l’autre enchâssé dans la science. Quelles sont les répercussions de cette dualité? Que veut vraiment dire l’art de la médecine et comment est-il relié à la science de la médecine d’aujourd’hui? L’art de la médecine est-il une constante et la science, une variable toujours changeante? Comment ces 2 composantes de notre profession évoluent-elles et sontelles reliées entre elles dans notre monde en changement constant? Dans son livre inspirant intitulé How Doctors Think1, Kathryn Montgomery maintient que la dualité art-science est une fausse conception de ce qu’est la médecine clinique et de la façon dont les cliniciens la pratiquent. La pratique de la médecine est-elle ce qu’Aristote appelait phronesis—le raisonnement pratique et la sagesse fondés en partie sur la science, mais principalement sur l’expérience et le jugement (ce que nous pensons être l’art)? Voici certaines des questions que nous voulons explorer avec notre lectorat par le lancement d’une nouvelle section du Médecin de famille canadien avec une ancienne connotation, « L’art de la médecine familiale ».
Le changement est difficile mais inévitable. L’art de la médecine peut-il aider la science à actualiser le changement? Ignaz Semmelweis, un obstétricien qui travaillait à Vienne en 1848, a démontré que les médecins pouvaient, en se lavant les mains avec une solution chlorée après avoir fait des autopsies et avant d’examiner des femmes enceintes sur le point d’accoucher, réduire la mortalité due à une sepsis puerpérale de 12,2 à 2,4 %. Semmelweis avait raison, mais le style de ses écrits et son attitude étaient « répétitifs, égoïstes et belliqueux »2 et il n’a pas su susciter le changement immédiat dans la pratique qu’il souhaitait ardemment.
De nos jours, avec un capteur abdominal et l’application appropriée, une personne peut immédiatement surveiller sa glycémie et voir sa réaction aux aliments, au stress ou à l’exercice. Cette nouveauté a d’immenses répercussions sur l’autonomie des patients, leur compréhension de la maladie et leur motivation à la prendre en charge. Elle a aussi une considérable incidence financière sur le plan de la réduction des effectifs en médecine de laboratoire et elle nuit aux fabricants des actuels dispositifs de mesure de la glycémie.
Une compréhension de l’art de la médecine auraitelle aidé Semmelweis? L’art et la science de la médecine peuvent-ils aider à actualiser des changements bouleversants au profit des patients diabétiques?
Deux romans au 19e siècle ont été catalyseurs d’importants changements dans la justice sociale : Oliver Twist et La case de l’oncle Tom. À notre époque, des récits, des poèmes, des essais, des métaphores, des comparaisons, des analogies, des photographies, des peintures, de la musique et de la danse auraient-ils le pouvoir de faire en sorte que se réalise le changement, plus précisément dans la compréhension ou l’attitude d’un médecin, un cursus de faculté de médecine, l’acceptation d’une nation, le comportement d’un patient?
Oliver Twist et La case de l’oncle Tom sont comme de grands miracles, difficiles à passer inaperçus. Que dirait-on d’apprendre à voir de petits miracles ou, dans notre cas, de petits moments de l’art de la médecine, et une fois reconnus, à les mettre en pratique dans l’intérêt d’un patient ou au profit général de la société?
Les médecins de famille ont tendance à réfléchir par déduction. Peut-être que l’art peut nous aider à penser par induction, à prendre la solution à un problème individuel et à l’appliquer à une population plus large pour le plus grand bien de tous. Un ancien président du Collège des médecins de famille du Canada, Stephen Hart, a été témoin d’une tragédie résultant de l’omission de porter la ceinture de sécurité et a pris la responsabilité de faire adopter une loi sur son port obligatoire dans sa province.
Le lancement de la section L’art de la médecine marque le début d’une série de contributions sollicitées qui exploreront les moments « art » et la façon dont ils sont reliés à la science de la médecine. Autrement dit, en utilisant le concept de Kathryn Montgomery, nous allons explorer comment les arts contribuent au « raisonnement pratique » des cliniciens1. À cette fin, les collaborateurs utiliseront diverses formes d’art et différentes approches. Nous espérons qu’avec le temps, ces articles inciteront les lecteurs à soumettre leurs propres exemples d’art de la médecine, utilisant différentes formes et approches pour approfondir notre sagesse pratique et pour compléter les soins offerts à nos patients, un peu comme l’anecdote sur le Pape François, en début de texte, était un complément à la chirurgie.
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