Cas
Un homme de 25 ans était chez le barbier pour sa coupe de cheveux habituelle quand son coiffeur lui a fait remarquer la présence de plusieurs plaques sans cheveux. L’homme a pris rendez-vous avec son médecin de famille qui a observé de multiples surfaces circulaires d’alopécie et de petits cheveux en « point d’exclamation » en périphérie. Durant l’évaluation, le jeune homme se rappelle avoir eu une légère sensation de brûlure et des démangeaisons à ces endroits au cours des mois précédents. Un diagnostic de pelade par plaques est alors posé.
Les médecins de soins primaires sont souvent appelés à évaluer et à traiter la perte de cheveux. La pelade par plaques est une forme auto-immune de perte de pilosité observée régulièrement en soins primaires. À tout moment précis, la pelade par plaques est présente dans 0,1 à 0,2 % de la population, selon les données de NHANES-I (première enquête nationale d’examen de la santé et de la nutrition)1. Toutes les origines ethniques semblent pareillement touchées. De plus, une étude populationnelle rétrospective examinant les taux d’incidence ne révélait aucune différence selon le sexe, mais cernait un risque individuel durant une vie de contracter la pelade par plaques de 1,7 %2. Habituellement, la pelade par plaques apparaît avant l’âge de 40 ans dans 70 à 80 % des personnes touchées; toutefois, une proportion considérable d’entre elles (48 %) présenteront des signes cliniques durant leurs première et deuxième décennies et c’est pourquoi la pelade par plaques est une cause courante de perte de cheveux chez les enfants3,4.
Sources des données
Une recension a été effectuée dans la base de données PubMed jusqu’au 14 novembre 2014 pour trouver des articles pertinents concernant la pathogenèse, le diagnostic et le pronostic de la pelade par plaques. Au nombre des expressions de recherche en anglais figuraient les suivantes : alopecia areata, alopecia totalis, alopecia universalis, alopecia et review, alopecia areata et pathogenesis, de même que alopecia areata et prognosis.
Message principal
Morphologie
Même si la pelade par plaques prend de nombreuses formes cliniques, ce problème se présente habituellement par 1 ou plusieurs plaques dénudées rondes ou ovales bien définies sur le cuir chevelu (Figure 1)5,6. À la périphérie de la région dénudée, on peut habituellement observer des cheveux caractéristiques en point d’exclamation de 3 à 4 mm (Figure 2)7,8. Cette apparence en point d’exclamation est le résultat d’une mèche endommagée dont manque l’extrémité distale8. Elle est plus renflée à la section endommagée et remarquablement plus mince à l’extrémité proximale, là où elle entre dans le cuir chevelu8,9. Les cheveux en point d’exclamation ne sont présents que dans les formes aiguës de la pelade par plaques et ne sont pas observés chez les patients qui ont des plaques depuis longtemps dénudées9.
Quoiqu’une guérison et une repousse puissent se produire spontanément dans 50 à 80 % des cas dans certains sous-groupes, il est aussi possible que se forment d’autres plaques et qu’il en résulte de multiples zones dénudées qui se juxtaposent en une plus grande lésion et, éventuellement, affectent tout le cuir chevelu, ce qu’on appelle la pelade totale (Figure 3)5,6,10,11. Parmi les autres formes de pelade par plaques, on peut mentionner le type diffus aigu, dans lequel il se produit une perte de cheveux sur tout le cuir chevelu et la variante ophiasis dans laquelle les cheveux tombent à l’arrière et sur les côtés du cuir chevelu (Figure 4)5,12,13.
Cette perte pileuse peut toucher n’importe quelle partie du corps et affecter, par exemple, les cils, les sourcils, la barbe et les poils pubiens5,13. La maladie peut progresser au point de perdre tous les cheveux et les poils, ce que l’on nomme la pelade universelle5,13. Des changements aux ongles sont présents dans 7 à 66 % des personnes atteintes de pelade par plaques et, même si divers types de déformation sont possibles, on observe le plus souvent des ongles de couturière (Figure 5)6,14–18.
Histologie
Les follicules pileux des patients souffrant de pelade par plaques présentent à la fois un cycle pileux anormal et une inflammation. Normalement, le follicule pileux passe par 3 phases durant son cycle de croissance : anagène, catagène et télogène. La tige pilaire croît durant la phase anagène et cette étape peut durer des mois ou des années9. Par la suite, le follicule amorce une période de 2 à 4 semaines, connue sous le nom de phase catagène, durant laquelle il se prépare à entrer dans une « phase de repos », appelée phase télogène9. Cette dernière partie du cycle de croissance folliculaire prend environ 3 mois après quoi la tige pilaire tombe comme un « cheveu mort » et le cycle du follicule pileux recommence9.
Dans la pelade par plaques, l’inflammation cause le passage d’une grande part des follicules pileux de la phase anagène à la phase télogène. Dans les étapes aiguës de la pelade par plaques, la plupart des follicules pileux en sont encore à la phase anagène. Si on procédait à une biopsie du cuir chevelu à ce stade, l’examen histologique révélerait une quantité excessive de lymphocytes dans le follicule et aux alentours. Si le ratio normal de cheveux anagènes et télogènes sur le cuir chevelu est habituellement de 80:20, ce rapport chez les patients atteints de pelade par plaques se situe à 60:40 ou même 50:50 et, dans certains cas, les cheveux télogènes peuvent être prédominants8,9,19–22.
Pronostic
L’évolution naturelle de la pelade par plaques est imprévisible. Certains patients ne vivent qu’un seul épisode de perte de cheveux durant leur vie, tandis que d’autres ont de multiples récurrences. D’autres variations se produisent durant le rétablissement. Certains patients voient tous leurs cheveux repousser, tandis que d’autres ne voient aucun changement ou perdent encore plus de cheveux10,11,23.
Plusieurs études épidémiologiques ont cerné des facteurs pronostiques associés à de mauvaises repousses chez les personnes atteintes de pelade par plaques (Encadré 1)23–28. En général, la repousse des cheveux est possible et l’on sait qu’elle est inversement proportionnelle à l’ampleur de la perte de cheveux. Une étude auprès de 191 patients a révélé qu’environ 40 à 70 % des patients classés au stade des plaques limitées avaient une repousse23. Toutefois, plus la zone affectée était grande (pelade totale ou universelle), moins il était probable d’avoir une repousse complète et plus il y avait de chance que la pelade progresse avec le temps23,24. Les personnes qui perdent rapidement leurs cheveux (variantes de la pelade aiguë diffuse et totale) y font exception. En dépit d’une perte de cheveux considérable, les chances de repousse sont élevées dans ce sous-type12. Parmi les autres indices d’un pronostic défavorable figurent la variante ophiasis et la coexistence de changements aux ongles25. Par rapport aux adultes, une apparition précoce de la pelade par plaques durant l’enfance se traduit souvent à la fois par une plus grande ampleur et par une progression plus rapide de la pelade23,26. Des antécédents d’atopie et la concomitance d’autres maladies auto-immunes confèrent aussi de mauvais résultats25.
Facteurs pronostiques associés avec de mauvais résultats chez les personnes atteintes de la pelade par plaques
Les facteurs suivants sont associés à de moins bons résultats :
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Données tirées de Tosti et coll.23, Tan et coll.24, De Waard-van der Spek et coll.25, Yang et coll.26, Goh et coll.27 et Barahmani et coll.28.
Pathogenèse
La cause exacte de la pelade par plaques est encore inconnue. Les données probantes actuelles pointent vers une origine auto-immune et une forte contribution génétique, de même que d’autres influences environnementales inconnues29.
Contribution génétique : De multiples facteurs génétiques contribuent au développement de la pelade par plaques. Des antécédents familiaux positifs sont évidents dans environ 10 à 25 % des cas6,30,31. D’autres données étayant une contribution génétique proviennent d’une étude jumelle concordante par Rodriguez et ses collaborateurs dans laquelle le pourcentage de monozygotes (42 %) qui avaient tous 2 la pelade par plaques était bien plus élevé que celui des dizygotes (10 %)29.
Génétique moléculaire : Des travaux exhaustifs ont été entrepris pour déterminer la base moléculaire de la pelade par plaques, considérée comme une maladie auto-immune médiée par les lymphocytes T19,32. Il importe de comprendre que le follicule pileux est fondamentalement considéré comme un site de privilège immunitaire selon lequel un certain nombre de mécanismes contrôlent étroitement l’accès immunologique et le protègent contre des attaques auto-immunes dans des circonstances normales. On croit que le développement de la pelade par plaques est le résultat d’une défaillance de ce site privilégié sur le plan immunitaire33.
Une étude pivot réalisée en 2010 a permis de mieux faire comprendre la base génétique de la pelade par plaques. En comparant 1054 cas de patients et 3278 sujets témoins, Petukhova et ses collègues ont découvert 139 polymorphismes mononucléotidiques reliés au développement de la pelade par plaques34. À la suite d’une investigation plus poussée, ils ont localisé 8 gènes hautement corrélés avec le risque de cette maladie. Fait intéressant, on croit que plusieurs de ces « loci de susceptibilité » jouent un rôle dans d’autres processus auto-immuns comme le diabète de type 1 et l’arthrite rhumatoïde, ce qui renforce une fois de plus l’hypothèse de l’origine auto-immune de la pelade par plaques34.
Évaluation et diagnostic différentiel
De nombreux troubles de perte de cheveux peuvent ressembler à la pelade par plaques. Durant l’examen, il y a lieu d’envisager des possibilités comme la trichotillomanie, le pityriasis, l’alopécie cicatricielle et l’effluvium télagène7. Par ailleurs, le diagnostic de la pelade par plaques peut habituellement être posé cliniquement en raison de l’apparence caractéristique des zones sans cheveux7.
Les cheveux des personnes qui ont une trichotillomanie sont brisés à différentes longueurs et, si on les questionne, ces patients peuvent ou non admettre se tirer les cheveux. Plusieurs d’entre eux ont aussi des problèmes psychiatriques concomitants35. Le pityriasis est une infection fongique du cuir chevelu. L’examen révèle typiquement une perte de cheveux associée à des squames. On peut poser un diagnostic définitif en faisant un prélèvement du cuir chevelu dans la région affectée et en demandant une culture36. L’alopécie cicatricielle, un problème plus particulièrement connu sous le nom de pseudopelade, peut ressembler de près à la pelade par plaques. Toutefois, les zones dénudées sont permanentes et, dans cette affection, les orifices des follicules pileux ne sont pas visibles à l’examen clinique. En cas de doute, on peut effectuer une biopsie du cuir chevelu pour déceler les caractéristiques qu’on vient d’expliquer pour faire la distinction entre les 2 problèmes37.
Troubles connexes
Un examen du registre national américain de la pelade par plaques a révélé qu’environ 16 % des patients atteints de l’affection ont d’autres problèmes auto-immuns coexistants28. Plus précisément, on croit que les taux de maladies de la thyroïde chez ces patients varient d’environ 8 à 28 % et ceux du vitiligo, de 2,5 à 4,1 %24,27,38,39. Dans une révision par Goh et ses collaborateurs auprès de 513 patients, ils ont relevé la présence de diabète de type 1 (0,6 %) et de lupus érythémateux (0,6 %)27. L’atopie est également corrélée étroitement avec la pelade par plaques, notamment des taux de comorbidité allant jusqu’à 40 %, par rapport au taux habituel de 20 % dans la population en général28,40.
Évaluation en laboratoire
Dans la plupart des cas de pelade par plaques, il n’est pas nécessaire de procéder à une biopsie. Les formes inhabituelles de la pelade par plaques, dont la pelade diffuse, peuvent ressembler étroitement à d’autres troubles, ce qui rend la biopsie utile dans ces circonstances précises. Même si on procède systématiquement à une formule sanguine complète et à une analyse des taux de ferritine, de thyréostimuline et de 25-hydroxyvitamine D dans les cas de pelade par plaques, il n’existe pas de lignes directrices fondées sur des données probantes pour orienter les investigations ni d’études mettant en évidence la rentabilité de dépister des troubles concomitants. De petites études préliminaires font valoir un risque accru possible de carence en 25-hydroxyvitamine D dans les cas de pelade par plaques; toutefois, il faudrait faire une recherche plus approfondie à cet égard41,42. Par conséquent, nous recommandons un examen complet et global des systèmes pour guider toute autre investigation pouvant être nécessaire.
Revue du cas
Cet homme de 25 ans présentait la forme classique de la pelade par plaques au stade des plaques multiples. Une évaluation plus approfondie a révélé des antécédents d’atopie et un examen a permis de constater des ongles de couturière. Les résultats d’une formule sanguine normale n’ont pas fait ressortir d’autres troubles concomitants. L’homme est troublé par cette perte de cheveux et veut comprendre ses options de traitement.
Conclusion
En soins primaires, on rencontre souvent des cas de perte de cheveux et ce problème peut susciter beaucoup de détresse chez les patients. Les médecins de famille sont bien placés pour dépister la pelade par plaques, conseiller les patients et amorcer un traitement. Les options thérapeutiques sont présentées dans la deuxième partie de cette révision (page e406)43.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
La pelade par plaques est une forme auto-immune de perte de pilosité dont la prévalence durant une vie est d’environ 2 %. La plupart des cas se reconnaissent par des plaques dénudées bien définies et des cheveux en « point d’exclamation » en périphérie.
Habituellement, une biopsie du cuir chevelu n’est pas nécessaire pour poser le diagnostic; toutefois, les résultats d’une biopsie, le cas échéant, révèlent souvent un infiltrat lymphocytaire autour du bulbe des follicules pileux.
Il existe une prédisposition génétique à la pelade par plaques et une association entre elle et d’autres troubles auto-immuns.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2015 issue on page 751.
Collaborateurs
Les 2 auteurs ont contribué à la recherche, à l’analyse et à l’interprétation des documents, de même qu’à la préparation du manuscrit aux fins de présentation.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré.
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