
En cette ère difficile, partout, nous… devons choisir et choisirons la voie de la justice sociale, la voie de la conviction, la voie de l’espoir et la voie de l’amour envers autrui.
Franklin D. Roosevelt (traduction libre)
Récemment, j’ai eu la chance de visiter une magnifique exposition au Musée des beaux-arts de Boston1. Intitulée « Class Distinctions—Dutch Painting in the Age of Rembrandt and Vermeer », l’exposition se déroule dans des salles distinctes où sont représentées 3 classes sociales : les riches, la classe moyenne et les pauvres. Dans une quatrième salle se trouvent des œuvres dépeignant la société dans toutes ses classes.
Les Pays-Bas au début du 17e siècle ressemblaient de bien des façons à notre société contemporaine : le « 1 % » formé des riches marchands et des princes de la Maison d’Orange, et la grande sous-classe des pauvres « indigents » (en raison d’un handicap) et des « indignes » (en raison de leurs défaillances morales). Dans la première salle se trouvent des tableaux peints par certains des meilleurs artistes de tous les temps, comme Vermeer, Rembrandt et Hals. Dans cette partie de la collection figurent des portraits grandeur nature de certaines des personnes les plus riches de l’époque. Comme il fallait s’y attendre, comme les démunis ne pouvaient retenir les services des plus grands peintres de l’époque, la troisième salle contient un plus petit nombre de tableaux, peints par des artistes moins connus. Plusieurs des peintures illustrent des hospices, et les portraits des Hollandais plus défavorisés ne sont pas flatteurs.
Où étaient les médecins de la Hollande du 17e siècle? Dans quelle salle et parmi quelles classes sociales les trouve-t-on? Dans la salle de la classe moyenne se trouve un très beau tableau d’un chirurgien barbier peint par Isaak Koedijk aux environs de 1650. Il montre le chirurgien agenouillé, pansant une blessure à la jambe d’un patient de la classe moyenne.
Où se situent de nos jours les médecins, en particulier les médecins de famille? Même si sur le plan socioéconomique, nous occupons les classes moyennes et supérieures, les vies inégales et inéquitables de nos patients et les effets indésirables sur la santé des désavantages sociaux font partie de la réalité de notre travail au quotidien. Même si certains demeurent sceptiques2, des données convaincantes confirment les effets indésirables de la pauvreté sur la santé et, réciproquement, les bienfaits économiques et pour la santé d’une plus grande équité dans la société3. Comment, en tant que médecins de famille, répondons-nous à ces déplorables inégalités? Où pouvons-nous trouver une orientation éthique?
Furler et Palmer, de l’Unité de recherche en soins primaires de l’Université de Melbourne, en Australie, se sont intéressés à ces questions dans un ouvrage publié en 20104. Ils préconisent un engagement actif dans les soins primaires contre les inégalités sociales. Ils affirment ceci:
les théories normatives de l’éthique communément évoquées, comme l’utilitarisme et la déontologie, de même que les 4 principes bioéthiques, soit le respect de la justice, la bienfaisance, la non-malfaisance et l’autonomie, ne font pas disparaître les iniquités sociales sur le plan de la santé, qui demeurent comme un éléphant dans la pièce4.
Ils soutiennent plutôt que les 3 formes de la solidarité décrites par le sociologue Zygmunt Bauman, être-à côté, être-avec et être-pour, peuvent nous aider à comprendre les iniquités en matière de santé et à y trouver une réponse, surtout si nous développons la relation éthique idéale de l’être-pour nos patients dans un contexte plus large4. Furler et Palmer font valoir ce qui suit :
Il n’est pas nécessaire que la relation d’être-pour... soit incommensurable pour les cliniciens aux prises avec une salle d’attente bondée de patients et avec la responsabilité et l’apparente impossibilité d’agir à l’endroit des forces sociales et sociétales que chacun incarne… Être-pour ne fait pas fi des échanges essentiels qui doivent se produire à mesure que les soins se déroulent au quotidien et procure plutôt une façon d’être ensemble propice à une telle relation. De la part du médecin, il faut une prise de conscience réfléchie de la façon dont il peut contribuer à façonner la rencontre, une sensibilité aux questions qui pourraient créer un mur, une limite dans les réponses et la création de silences. Les patients doivent aussi reconnaître le médecin dans son unicité et son altérité4.
Selon un dicton, les données prouvent, mais les récits convainquent. La page couverture de janvier du Médecin de famille canadien et le récit avec photos à l’intérieur (page e44) sont les premiers d’une série de portraits de communautés au Canada aux prises avec des défis et des inégalités omniprésents dans la société, qu’il s’agisse de pauvreté, d’isolement social et de privations ou de l’impossibilité d’accoucher dans sa propre collectivité rurale ou éloignée, ou encore de mourir chez soi. Dans chaque récit, un médecin de famille est le point de départ, mais c’est la réaction conjointe du médecin de famille et de l’ensemble de la communauté qui en est le cœur, et ce, sous la plume primée de l’écrivain et poète Sarah de Leeuw, agrémentée de photographies. Nous espérons qu’avec le temps, ce recueil de couvertures et de récits nous aidera à être-pour nos patients.
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