La Dre Leclaire, enseignante, et le Dr William, résident, terminent une période de supervision au cours du stage en médecine de famille. Chacun repart avec ses pensées :
La Dre Leclaire : « J’ai l’impression qu’on s’est bien occupé des patients, mais je ne suis pas sûre d’avoir fait progresser ce résident. »
Le Dr William : « Je pense que j’ai bien performé, mais je ne suis pas sûr que notre discussion va m’a aider à devenir un bon médecin de famille. »
De telles réactions vous semblent-elles familières? Les rares minutes de supervision disponibles dans le contexte chargé du travail clinique sont trop souvent employées de façon sous-optimale. Dans le contexte du cursus Triple C, il importe de revisiter nos pratiques de supervision-rétroaction, pour maximiser leur portée.
La recension des écrits confirme ce que l’expérience nous fait pressentir à propos des stratégies d’apprentissage les plus utiles pour le développement des compétences.
L’apprenant doit être actif. Cela implique l’autogestion de ses apprentissages, l’auto-évaluation puis le dévoilement de ses besoins et la recherche active de rétroaction1,2. Or, la tradition de formation médicale valorise plutôt un mode « défensif », où l’étudiant doit avant tout montrer ses forces3.
Le superviseur est le premier responsable d’établir un climat propice à l’apprentissage. Comme « coach », il lui appartient d’encourager le résident à approfondir son raisonnement, de lui donner régulièrement une rétroaction constructive, d’adapter son encadrement pour qu’il lui soit utile en fonction de chaque situation et de l’accompagner dans sa progression4,5.
Ensemble, ils doivent adopter un mode de collaboration où chacun reconnaît ses responsabilités dans l’interaction6,7.
Agir ainsi implique un changement de paradigme par rapport à la culture traditionnelle des interactions superviseurs-apprenants pendant la formation médicale. Nous décrivons ici le concept de position d’apprentissage (PA) et de position d’évaluation (PÉ) comme un incontournable pour modifier profondément ces interactions. Nous présentons également une stratégie employée avec succès dans 2 universités pour inciter conjointement superviseurs et résidents à favoriser une position d’apprentissage.
La distinction entre la position d’évaluation et la position d’apprentissage
La notion de PA-PÉ a été décrite par Giroux et Girard au terme d’une démarche de recherche-action s’étant déroulée sur 15 ans à l’Université de Sherbrooke8. Les PA et PÉ représentent un ensemble de pensées, d’émotions, de comportements et d’attitudes que l’étudiant adopte dans sa relation avec le superviseur, en fonction de ses besoins et motivations. Ce concept différencie un étudiant centré sur l’objectif de « devenir un bon médecin de famille » d’un étudiant dont les comportements sont guidés par les activités d’évaluation. Par exemple, un étudiant souhaitant profiter des situations cliniques comme opportunités d’apprentissage expose ouvertement ses difficultés et cherche des réponses. Par contraste, un étudiant centré sur l’obtention d’une bonne évaluation veut « bien paraître » et évite les situations exposant ses lacunes. De son côté, le superviseur joue un rôle crucial pour favoriser la PA chez l’apprenant, par son attitude, ses interventions et ses stratégies de supervision. Il doit recevoir sans jugement les difficultés de l’étudiant, sinon celui-ci risque de les taire2.
L’évaluation est une réalité incontournable de la formation médicale, qui coexiste avec la réalité de l’apprentissage. Les PA et PÉ s’inscrivent ainsi dans un continuum (Figure 1). L’étudiant se déplace quotidiennement le long de ce continuum dans ses interactions avec son superviseur, en fonction de différents facteurs liés à la situation d’apprentissage, à l’étudiant même (p. ex., émotions suscitées, expériences antérieures), à l’attitude de son interlocuteur et à la culture d’enseignement environnante. Étant donné l’autorité inhérente au rôle d’évaluateur, l’enseignant doit faire le premier pas pour établir un climat de confiance et encourager l’apprenant à adopter régulièrement une PA.
Le continuum d’une position d’évaluation vers une position d’apprentissage
Plusieurs superviseurs à travers le pays cherchent intuitivement à inciter leurs apprenants à adopter une position d’apprentissage, mais le message passe souvent mal. Giroux et Girard rapportent plusieurs stratégies applicables au quotidien qui peuvent aider l’étudiant et l’enseignant à favoriser la PA plutôt que la PÉ (Tableau 1)8.
Stratégies de supervision favorisant l’adoption d’une position d’apprentissage: Outil issu de travaux internes du Programme de médecine de famille, Université de Sherbrooke, 2003.
Atelier clé en main pour mobiliser vers la PA
Dans les années 1990, le programme de l’Université de Sherbrooke a implanté un atelier intitulé « Position d’apprentissage » afin d’inciter les résidents à adopter une attitude et des stratégies leur permettant de profiter davantage de leur résidence. Mais, sans garantie raisonnable que leurs enseignants endossaient aussi cette vision, les étudiants hésitaient à dévoiler leurs défis personnels, craignant les mauvaises évaluations. Une deuxième version de l’atelier, intégrant les superviseurs, a donc été diffusée dans différents milieux de stage8.
La première partie de cet atelier présente les notions de PA-PÉ et permet de réfléchir aux différentes stratégies envisageables, d’abord individuellement puis en groupe. Suit un théâtre participatif portant sur une situation de supervision usuelle où les spectateurs-participants proposent des moyens concrets pour améliorer la PA. Les 2 acteurs rejouent ensuite la scène en intégrant les éléments suggérés, ce qui constitue une démonstration très éloquente et convaincante.
Le programme de l’Université Laval a expérimenté cet atelier dès 2010, dans un contexte de recherche d’outils favorisant l’apprentissage par compétences. Les impacts positifs notés ont rendu naturelle la décision d’implanter largement les concepts et le matériel développés à Sherbrooke. Depuis 2013, dans tous les sites d’enseignement, un atelier de 2 heures est offert au début de chaque année, réunissant résidents I et II, médecins et professionnels enseignants.
Pour chaque atelier, 2 animateurs sont présents, dont 1 extérieur au milieu. Ce dernier favorise la verbalisation des résidents en assurant la confidentialité de leurs propos, parfois chargés d’émotivité. Afin d’assurer une bonne uniformité entre les sites, un guide d’animation a été développé et des rencontres annuelles entre animateurs ont été instaurées.
Résidents et superviseurs apprécient beaucoup l’atelier et rapportent des impacts positifs persistants. La supervision devient plus centrée sur les besoins de l’apprenant. Une résidente l’a exprimé ainsi : « C’est le cours qui a le plus changé ma façon de me comporter en supervision. J’ai réalisé que mes superviseurs étaient là pour m’aider à progresser, contrairement à ce que j’ai souvent vécu à l’externat, où il valait mieux cacher certaines choses ». Par ailleurs, les résidents rapportent que la répétition de l’atelier au début de la deuxième année de résidence a une valeur ajoutée importante.
Conseils pour l’enseignement
La PA implique une responsabilité partagée, réciproque et explicite entre apprenants et superviseurs, qui participent tous 2 à créer les conditions gagnantes pour profiter au maximum des opportunités d’apprendre. Par exemple, ils conviennent ensemble d’appliquer une stratégie de discussion de cas qui répondra spécifiquement aux « vrais » besoins d’apprentissage exprimés par l’apprenant. Bref, il faut se parler!
Chacun gagne à se situer honnêtement sur le continuum PA-PÉ. Le superviseur est aussi invité à adopter une position d’apprentissage dans son rôle d’enseignant. L’attitude proactive, la démarche autoréflexive, le mode collaboratif, le dialogue ouvert et l’intégration de boucles de rétroaction font tous partie d’une saine démarche d’apprenant à vie9. Cet engagement du superviseur envers l’amélioration continue de la qualité de son enseignement peut constituer un modèle de rôle inspirant pour l’apprenant.
Pour livrer son plein potentiel, la PA gagne à être endossée dans l’ensemble du programme. Il incombe aux personnes en autorité de s’assurer que le climat relationnel soit favorable à la PA dans les différents milieux de stage et que les apprenants puissent faire confiance au fait qu’il y aura plus de bénéfices que de risques à exprimer leurs défis personnels. Cette façon de faire fait généralement boule de neige, favorisant un climat de travail et d’apprentissage plus sain et constructif pour tous.
Outils et ressources
Les ateliers clés en main8 peuvent faciliter l’application de ces concepts au quotidien et transformer positivement la culture des milieux. Issue de l’expérience sur le terrain de résidents et de médecins enseignants, la banque de stratégies de supervision aide à rendre la PA plus concrète en supervision clinique (Tableau 1)8. Intégrer la PA dans le vocabulaire de supervision peut s’avérer particulièrement utile dans les interactions avec des résidents en difficulté.
La PA et les stratégies proactives en supervision permettent d’utiliser le précieux temps en clinique de façon plus efficiente. Alors que la charge clinique croît et que le nombre de résidents augmente, les outils proposés peuvent aider à optimiser l’utilisation de la ressource « temps de supervision ».
Conclusion
Favoriser la PA s’avère un investissement utile et pratique pour l’enseignement efficient du cursus Triple C. Nous invitons enseignants et résidents à explorer ce concept en utilisant les outils proposés. Nous estimons que l’intégration de ce concept contribue au développement des compétences, et qu’il aurait sa place tout au long du continuum de la formation médicale
Notes
CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT
Un étudiant souhaitant profiter des situations cliniques comme opportunités d’apprentissage expose ouvertement ses difficultés et cherche des réponses. Par contraste, un étudiant centré sur l’obtention d’une bonne évaluation veut « bien paraître » et évite les situations exposant ses lacunes.
Dans les années 1990, le programme de l’Université de Sherbrooke a implanté un atelier intitulé « Position d’apprentissage » afin d’inciter les résidents à adopter une attitude et des stratégies leur permettant de profiter davantage de leur résidence. Depuis 2013, dans tous les sites d’enseignement du programme de l’Université Laval, un atelier de 2 heures est offert au début de chaque année, réunissant résidents I et II, médecins et professionnels enseignants.
Intégrer la position d’apprentissage dans le vocabulaire de supervision peut s’avérer particulièrement utile dans les interactions avec des résidents en difficulté.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Miriam Lacasse, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à Miriam.Lacasse{at}fmed.ulaval.ca.
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2016 issue on page e48.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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