J‘ai travaillé pendant 43 ans comme médecin rural à Pincher Creek en Alberta (3685 habitants). Durant cette période, il m’est apparu évident que le mode de vie influençait grandement la santé et le bien-être de mes patients. Même si l’obésité a de nombreuses causes, il valait la peine d’essayer de renseigner les gens et de leur proposer des changements.
Parmi les modifications qui ont eu le plus d’effets figurent la réduction de l’apport en hydrates de carbone, surtout sous forme liquide, une alimentation plus faible en gras et plus riche en légumes colorés, en fruits et en noix, de même que l’activité physique régulière. Il est facile d’offrir ces conseils à la clinique, mais ils seront probablement vite oubliés. J’ai produit une petite fiche qui expliquait en langage simple les conseils que je jugeais les plus importants. Je reconnaissais que les problèmes liés au mode de vie ne se limitent pas à l’obésité et j’ai donc aussi inclus des conseils sur la cessation du tabagisme et l’amélioration du sommeil.
Examen des données
Après une année environ d’insistance sur ces conseils, je me suis rendu compte que certains de mes patients perdaient du poids et se sentaient plus énergiques. J’avais la chance de pouvoir compter sur un spécialiste de la technologie de l’information, ce qui m’a permis d’examiner mes données objectivement. Parmi ceux qui avaient maigri, certains avaient perdu jusqu’à 30 kg, mais nous savions que notre analyse n’aurait pas résisté à un examen scientifique rigoureux.
C’est alors que notre clinique a été invitée à devenir un centre sentinelle pour le Réseau canadien de surveillance sentinelle en soins primaires (RCSSSP). Le Réseau de recherche en soins primaires du Sud de l’Alberta et les équipes du RCSSSP nous ont demandé si nous avions des sujets de recherche à proposer. J’ai expliqué ma démarche et suggéré que nous regardions mes données de manière plus scientifique.
Difficultés posées par les données
Des difficultés ont immédiatement surgi. Nous avions besoin de groupes témoins. Il nous fallait des données d’avant et après l’exposition. Nous avons utilisé comme témoins les patients vus par mes collègues et nous avons examiné les données recueillies avant mon utilisation de la fiche sur le mode de vie. Ce faisant, nous avons rencontré des problèmes. L’obésité n’avait pas été aussi bien consignée comme un problème de santé dans les dossiers électroniques au début de la période examinée qu’elle l’était à la fin. Les données n’étaient pas aussi « épurées » que nous l’avions pensé. Par exemple, le poids était parfois indiqué en livres et en onces et, d’autres fois, en kilogrammes. La taille était parfois inscrite en pouces et, d’autres fois, en centimètres. Nous avions beaucoup moins de participants admissibles que si nous avions planifié le projet de recherche dès le début. Il y avait aussi des facteurs confusionnels : mes fiches avaient été empruntées par au moins un de mes collègues et des conseils sur l’arrêt du tabagisme avaient été offerts aux patients alors qu’il est démontré que les personnes prennent initialement du poids lorsqu’ils cessent de fumer.
L’analyse a pris beaucoup de temps, avant même que nous décidions de prolonger la durée de l’observation. Même s’il ne fait pas ressortir les résultats que j’aurais escomptés, l’article publié a ses mérites, parce qu’il démontre que le travail en pratique générale peut faire l’objet d’études rigoureuses1. Une recherche de cette nature encourage les omnipraticiens et leurs patients à aspirer à la réussite thérapeutique et incite les médecins à examiner leurs données avec impartialité.
Avantages
Notre collaboration avec le RCSSSP et notre acceptation de faire examiner objectivement nos données ont procuré des avantages considérables à notre clinique. Nous avons pu corriger des erreurs dans nos dossiers. L’exercice nous a incités à recueillir plus de données et nous a rappelé les défis que comporte la recherche : poser des questions pertinentes et ne pas entreprendre de projets de trop grande envergure ou de portée trop large. Grâce à ces améliorations, nous serons mieux équipés pour faire plus de recherche. La pratique médicale de la vraie vie représente une mine de précieuse information quand on la compare à la recherche plus simulée effectuée dans les centres universitaires. L’équipe du RCSSSP ayant fait l’analyse et la rédaction, je n’ai pas eu à y consacrer beaucoup de mon temps. Est-ce que je le referais? Certainement!
Notes
L’œil de la sentinelle est coordonné par le RCSSSP, en partenariat avec le CMFC, dans le but de mettre en évidence les initiatives de surveillance et de recherche entourant la prévalence et la prise en charge des maladies chroniques au Canada. Veuillez faire parvenir vos questions ou commentaires au Dr Richard Birtwhistle, président du RCSSSP à richard.birtwhistle{at}dfm.queensu.ca.
Footnotes
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