L’érosion lente et constante des services ruraux de maternité et de chirurgie au cours des 2 dernières décennies a suscité une réaction d’opposition déterminée à ce phénomène de la part des soignants, des administrateurs et des populations rurales, mise en évidence par des efforts visant à créer une base de données probantes pour éclairer les politiques et la planification1. Plus particulièrement, la disparition des programmes ruraux de soins de maternité a préoccupé considérablement les intéressés et a fait l’objet d’un important ensemble d’initiatives de recherche et de stratégies. Quoiqu’il en soit, outre le fait d’avoir stimulé un intérêt significatif et mieux fait comprendre les problèmes entourant les soins de maternité, ces efforts de recherche et de politiques publiques ne semblent pas avoir renversé ou même freiné l’abolition des services. La récente déclaration de principe conjointe sur la prestation des services obstétricaux interventionnels et chirurgicaux en milieu rural2 reflète certaines des réflexions initiales sur ces enjeux, fondées sur une appréciation de la dépendance réciproque entre les programmes de chirurgie et de maternité en milieu rural. Les médecins intervenants offrent à la fois une fenêtre permettant de mieux comprendre l’infrastructure rurale des soins de santé et une possibilité de réinitialisation, c’est-à-dire une possibilité de réorienter à l’avenir les questions relatives à la recherche et aux politiques publiques vers les médecins de famille ayant des compétences avancées en chirurgie (MFCAC).
Consensus sur la proximité des soins
Les soins obstétricaux en milieu rural ont été le catalyseur d’un consensus interprofessionnel, comme en témoignent une série d’exposés de position conjoints, de rencontres, de symposiums et de programmes de recherche nationaux produisant des données probantes qui mettent en évidence l’importance des politiques et d’une planification sur le plan rural. Des documents stratégiques ont été produits en réponse à ces données probantes sur la sécurité des soins de maternité en milieu rural et la nécessité afférente qu’ils soient dispensés le moins loin possible3,4.
Le consensus sur l’impératif des soins de proximité a été entériné et appuyé par 3 communautés, chacune d’une importance stratégique dans les politiques et les programmes émergents. D’abord, les facultés de médecine ont répondu par des activités de formation médicale continue en application des connaissances, des programmes d’enseignement des habiletés en césarienne et des programmes de soins infirmiers en obstétrique rurale. Deuxièmement, divers ministères de la Santé ont réagi en donnant leur aval aux soins de proximité comme objectif stratégique. Enfin, la communauté de la recherche, soutenue initialement par les Instituts de recherche en santé du Canada (subventions de fonctionnement de 2010 à 2011 et de 2011 à 2012), s’est penchée sur la sécurité, les résultats, la viabilité et les coûts des soins de maternité, sans compter la satisfaction à leur endroit.
Impasse sur la sécurité
Durant les années 1990, parallèlement aux efforts de collaboration entourant les soins de maternité, les chirurgiens généraux et les MFCAC ruraux voyaient d’un même œil l’existence d’une crise dans les soins chirurgicaux en milieu rural. Toutefois, on ne s’entendait vraiment pas sur la pertinence de programmes ruraux de chirurgie à petit volume5. La justification de tels programmes et de la formation connexe des MFCAC a été présentée dans des ouvrages scientifiques, aux forums stratégiques et aux facultés de médecine. Des représentations pour restreindre la pratique chirurgicale aux chirurgiens spécialistes dans les grands centres étaient faites dans les mêmes forums6–9.
Des 2 côtés, des efforts substantiels ont été déployés pour concilier ces convictions divergentes7,10. L’ensemble des données probantes sur les caractéristiques démographiques des MFCAC, leurs effectifs et la sécurité de ces programmes a été publié dans des revues révisées par des pairs. Malgré tout, l’impasse semblait irréconciliable, ancrée qu’elle était dans les grands principes philosophiques de la chirurgie selon lesquels les compétences en chirurgie sont indivisibles (c.-à-d. que les techniques individuelles ne peuvent pas être apprises isolément); les défis et les complications de la chirurgie sont imprévisibles, d’où une assurance insuffisante de la sécurité par des non-spécialistes; et ces questions de sécurité ont préséance sur tout bienfait anticipé de programmes locaux de chirurgie.
Accouchements interventionnels
Les efforts en matière de politiques publiques axés sur les soins obstétriques au cours des 2 dernières décennies tiennent entièrement compte de l’importance des services locaux de césarienne. Lorsque des services ruraux de chirurgie ont fermé leur porte, ces fermetures ont habituellement été accompagnées d’efforts pour maintenir des services autonomes de césarienne. Ils ont presque tous échoué. Il ne semble pas réaliste de maintenir l’intérêt et la disponibilité du personnel en soins infirmiers, en anesthésie et en chirurgie lorsque les seules interventions exécutées sont des césariennes occasionnelles. À moins que les accouchements interventionnels et, par association, les programmes ruraux de soins obstétriques soient intégrés dans un robuste programme local de chirurgie, ils se sont révélés insoutenables1. Cette reconnaissance des liens entre les accouchements interventionnels et les programmes ruraux de chirurgie, fondée sur l’observation des résultats de l’expérience naturelle de la disparition des services dans les milieux ruraux canadiens, a été un point tournant dans le rapprochement entre les MFCAC et leurs collègues spécialistes.
D’autres facteurs importants ont contribué à ce nouveau consensus sur la pertinence et les bienfaits de programmes ruraux de chirurgie à petit volume. D’abord, l’octroi d’un caractère formel aux programmes de formation, accompagné d’un engagement à l’endroit du cursus, de l’évaluation, des titres de compétence et de l’agrément, par le Collège des médecins de famille du Canada a transformé la formation en compétences chirurgicales avancées qui est passée d’un modèle ponctuel par soutien mutuel en un programme comparable aux autres programmes d’éducation11. Deuxièmement, dans leur évolution, les programmes de formation en chirurgie générale au Canada n’ont pas inclus les césariennes. À l’heure actuelle, les MFCAC offrent une part importante de ces services d’accouchements interventionnels, même dans les plus grands programmes ruraux dotés d’un effectif complet en personnel spécialisé. Les possibilités occasionnelles de soutien collégial dans les milieux ruraux ont alimenté une confiance et un respect interprofessionnels. Pareillement, le recours accru à des spécialistes urbains en chirurgie pour offrir des services itinérants aux programmes ruraux de moindre envergure a stimulé l’intégration d’au moins certains programmes urbains et ruraux. Troisièmement, le freinage par le généralisme à l’encontre de la tendance à une surpécialisation accrue12 a créé de nouvelles alliances fondées sur une expérience commune entre 2 des disciplines types de la médecine généraliste, notamment les chirurgiens généraux et les MFCAC. Quatrièmement, on se rend de plus en plus compte des bienfaits qu’apportent les programmes ruraux à petit volume; un accès équitable, notamment des premiers répondants locaux formés en chirurgie; un degré élevé de compétences médicales sur place; et une capacité accrue de recruter et maintenir un effectif de professionnels de la santé. Enfin, l’attrition de nombreux petits programmes de chirurgie, souvent situés près des centres régionaux, a éliminé beaucoup, si ce n’est la majorité, des irritants particuliers perçus à l’origine par les chirurgiens spécialistes.
Leçons retenues
Les 2 dernières décennies ont été révélatrices et ont permis de dégager certains des thèmes les plus importants. L’interdépendance de l’anesthésie, des soins de maternité et de la chirurgie est plus forte et plus complexe qu’on l’avait initialement cru. Plus particulièrement, quoique la plupart des acteurs aient reconnu que des soins de maternité locaux viables dépendent de la disponibilité de services de césarienne sur place, on ne comprenait pas l’importance que de tels services soient intégrés au sein d’un robuste programme local de chirurgie.
Étant donné la visibilité des exposés de position initiaux, bon nombre des programmes parrainés par les ministères provinciaux de la Santé étaient axés sur les soins obstétricaux ruraux. Par contre, tant autrefois que de nos jours, les initiatives ministérielles centrées sur les programmes ruraux de chirurgie sont presque inexistantes. En raison de l’interdépendance entre les 2, de nombreux efforts orientés sur les soins obstétricaux n’ont eu que des répercussions marginales.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la recherche et des données probantes qu’elle procure pour éclairer ces débats. Les bases de données cumulatives documentent successivement le bien-fondé, la sécurité et la pertinence de certains soins chirurgicaux et obstétricaux de proximité et ont bien ancré les efforts déployés pendant 2 décennies pour culminer en cette déclaration de principe commune2. En outre, il ne semble faire nul doute que la collaboration avec la communauté internationale, notamment avec l’Australie, a produit des synergies et a offert un bassin élargi dans lequel tant la méthodologie que les résultats pouvaient être vérifiés.
Selon nos observations, le processus de la recherche en lui-même pourrait avoir exercé un rôle dynamique qui va au-delà des conclusions qui en ont été tirées. La présence d’équipes de recherche en interaction avec les professionnels concernés, les décideurs et les populations visées, qui posaient des questions et attiraient l’attention sur les grands enjeux, pourrait avoir élargi les règles du jeu. Il nous semble évident que les soins ruraux de maternité, en particulier, ont grandement bénéficié de cette dynamique.
Enfin, là où des éléments de consensus se sont dégagés de cet exercice, il y avait une déconnexion importante concernant les ententes conclues entre les dirigeants des disciplines et leurs membres, surtout dans les hôpitaux communautaires. Il reste des leçons à apprendre en matière d’application des connaissances.
Possibilités actuelles
Les terrains mouvants où se vivent les expériences contemporaines entourant les services de santé peuvent ou bien brouiller la vision ou encore entrouvrir des fenêtres par lesquelles voir des façons de répondre aux besoins des populations rurales en matière de soins de maternité et de chirurgie. Cette dernière possibilité, qui s’est présentée en raison de la crise imminente dans de nombreuses petites communautés au Canada, a eu préséance et a mené à une même vision partagée par les professions représentées dans cette déclaration de principe commune sur les soins obstétricaux et chirurgicaux en milieu rural2. En plus de l’engagement collaboratif sans précédent des médecins impliqués, il y a actuellement un alignement politique de tous les partenaires nécessaires à des changements au système de santé : décideurs, administrateurs locaux, professionnels de la santé, universitaires et communautés3. Ces partenaires permettent la mise en œuvre de politiques réceptives et le maintien de structures de responsabilisation dans toutes les compétences nécessaires sur les plans local, régional, provincial et national. Pour que ces alignements et ces relations se maintiennent, il est fondamental que les résultats se traduisent par des soins optimaux aux patients et par leur satisfaction, et ce, dans un cadre rentable.
Par ailleurs, la structure organisationnelle des partenaires fournit seulement un cadre pour la prestation des soins de première ligne et ce sont ces relations auxquelles il faut porter attention à mesure que nous allons de l’avant avec de nouveaux modèles de collaboration. À cette fin, coïncidant avec la publication de la déclaration de principe commune, on a annoncé une étude financée conjointement (Société de la médecine rurale du Canada, Association médicale de la Saskatchewan, Plan d’action sur la médecine rurale de l’Alberta et Centre de coordination rurale de la C.-B.) qui portera sur les points de vue des obstétriciens-gynécologues et des chirurgiens généraux spécialistes sur les MFCAC. Une documentation rigoureuse de ces opinions orientera mieux la recherche de moyens de raffermir la voie vers l’innovation rurale en collaboration.
Ce mécanisme organisationnel s’est révélé efficace dans d’autres pays. Il s’agit d’un modèle en réseau selon lequel il existe des gabarits formels d’aiguillage bien ancrés entre le « moyeu » et les « rayons »13, créant ainsi un sentiment d’appartenance régional à l’égard des résultats un intérêt consécutif à l’égard des programmes de formation, de la surveillance et de l’amélioration de la qualité14,15. Il sera ainsi possible de bâtir et de maintenir la capacité professionnelle, la confiance et la compétence dans les milieux ruraux.
Même si l’aval donné à la façon interprofessionnelle de procéder exprimé dans la présente déclaration procure l’assise du changement, l’utilité de l’exposé conjoint dépendra du réseau plus large de relations entre les professionnels ruraux-consultants, les généralistes-spécialistes, du soutien mutuel, ainsi que de la façon dont les idées se traduisent dans la pratique au niveau local. Même s’il est certain que ces relations varieront selon les professionnels et les régions, le pivot d’une stratégie nationale donne lieu à plus d’optimisme que ce que nous avons connu par le passé.
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2016 issue on page 21.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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