L’hypercholestérolémie familiale (HF) est un trouble génétique autosomique dominant qui produit des élévations du cholestérol à lipoprotéines de basse densité (LDL)1. Des niveaux élevés de LDL dans la circulation sanguine entraînent le développement rapide de l’athérosclérose tôt dans la vie, ce qui résulte en un développement prématuré de maladies cardiovasculaires athérosclérotiques (MCVAS). Dans la pratique, les cliniciens ne reconnaissent souvent pas l’HF et ne font le diagnostic que lorsque les patients présentent un incident de MCVAS à un jeune âge1,2. Les patients souffrant d’HF ont besoin d’un traitement vigoureux, souvent au moyen de multiples agents pharmacologiques, pour réduire leurs taux de cholestérol à LDL dans la circulation pour freiner les risques de MCVAS. Dans la présente révision, nous tentons de faire la synthèse de la pathophysiologie, de l’épidémiologie, du dépistage, du diagnostic et du traitement de l’HF.
Qualité des données
Nous avons effectué une recension dans PubMed (depuis sa création jusqu’en juillet 2014), de même que des recherches manuelles dans les bibliographies des guides de pratique clinique, les énoncés de position et les révisions. Nous avons accordé la priorité aux recommandations des autorités canadiennes, lorsqu’elles étaient disponibles. Les recommandations ont reçu une cote allant du niveau I au niveau III : les données probantes de niveau I proviennent de 1 ou plusieurs études randomisées contrôlées (ERC) effectuées de manière appropriée ou de révisions systématiques d’ERC avec ou sans méta-analyse; les données probantes de niveau II sont tirées de 1 ou plusieurs études observationnelles contrôlées (cohortes, castémoin ou autres études épidémiologiques pertinentes); les données probantes de niveau III incluaient toutes les déclarations fondées sur des opinions sans preuves empiriques à l’appui.
Message principal
Pathophysiologie et épidémiologie
Des mutations génétiques sont à l’origine de l’HF3. Des défauts dans les gènes codants pour les récepteurs de LDL, l’apolipoprotéine B ou la proprotéine convertase subtilisinekexine de type 9 (PCSK9) entraînent en définitive une clairance déficiente du cholestérol à LDL dans le plasma. Les récepteurs de lipoprotéines de basse densité, qui se trouvent principalement dans les membranes des cellules hépatocytes, sont responsable de l’absorption des particules de LDL et d’éliminer ainsi le cholestérol du plasma. L’apolipoprotéine B est la protéine liée à des LDL qui s’attache au récepteur de LDL. Enfin, le PCSK9 est responsable de la dégradation des récepteurs de LDL; par conséquent, les défauts génétiques qui causent une élévation des niveaux de PCSK9 se traduiront par une diminution des récepteurs de LDL sur les hépatocytes, d’où une hyperlipidémie. Une seule copie du gène déficient (hétérozygote) entraîne une accumulation modérée de LDL plasmatique, tandis que 2 copies du même gène défectueux (homozygote) ou 2 mutations coexistantes (hétérozygote composé) causent une accumulation importante en raison d’une clairance minimale ou absente du cholestérol à LDL. Sur le plan clinique, la concentration plasmatique de LDL chez les patients qui ont une HF de type hétérozygote (HFHe) se situe habituellement entre 5 à 13 mmol/l, tandis que chez les patients ayant une HF de type homozygote (HFHo), elle sera bien supérieure à 13 mmol/l4.
Environ 1 Canadien sur 500 a une HFHe. La prévalence de l’HF varie selon les antécédents ethniques et les taux les plus élevés se retrouvent chez les Canadiens-français du Québec (1 sur 270), les Libanais (1 sur 85), les Afrikaners (1 sur 72) et les Juifs ashkénazes (1 sur 67)5. L’HF de type homozygote, la forme la plus sévère, touche environ 1 personne sur 1 million5.
Complications et pronostic
À défaut d’un traitement hâtif et vigoureux, l’HF se manifeste par des incidents de MCVAS précoces qui affectent souvent les artères coronariennes. Les patients dont l’HFHe n’est pas traitée ont tendance à avoir leur premier incident coronarien plus de 20 ans plus tôt que dans l’ensemble de la population (âge moyen de 42 ans par rapport à 64)6. Par conséquent, leur risque cumulatif d’incident coronarien à l’âge de 50 ans est supérieur de 44 % chez les hommes et de 20 % chez les femmes6,7. Ce risque cardiovasculaire est bien plus élevé que ce qui est prévisible à l’aide de calculateurs des risques cardiovasculaires (p. ex. score des risques de Framingham) et c’est pourquoi on ne devrait pas les utiliser pour des patients atteints d’HF8. L’omission de traiter l’HFHo est associée à un pronostic encore plus néfaste, notamment de nombreux patients qui subissent leurs premiers incidents coronariens durant l’enfance ou l’adolescence9,10.
Dépistage lipidique
Le Tableau 1 présente un résumé des recommandations sur le dépistage de l’HF. Les lignes directrices sur la dyslipidémie et l’énoncé de position sur l’HF de la Société canadienne de cardiologie (SCC) recommandent le dépistage universel des lipides plasmatiques chez tous les hommes de 40 ans ou plus et toutes les femmes de 50 ans ou plus ou après leur ménopause1,8. De plus, ils recommandent un dépistage chez les personnes souffrant de problèmes qui augmentent leur risque de maladies cardiovasculaires (p. ex. hypertension, diabète, néphropathie chronique ou tabagisme actuel), quel que soit l’âge.
Résumé des recommandations
En ce qui a trait au dépistage chez les enfants, les lignes directrices publiées par le National Heart Lung and Blood Institute préconisent la mesure universelle systématique des lipides plasmatiques à 11 ans, ou aussi rapidement qu’à 12 mois, chez les enfants dont un parent au premier degré a des antécédents de MCVAS ou d’HF11. Parce que l’athérosclérose se développe tôt dans la vie des personnes souffrant d’HF (surtout d’HFHo), le dépistage durant l’enfance a pour but de faciliter l’identification et un traitement sans délai. En dépit des bienfaits théoriques du programme de dépistage du National Heart Lung and Blood Institute, sa mise en œuvre comporte des problèmes logistiques complexes et les données sont limitées quant au moment optimal pour commencer un traitement, ce qui a suscité de la controverse12.
Lorsqu’un proband (ou cas de référence) a été identifié, l’énoncé de position de la SCC recommande de procéder à un dépistage « en cascade »1, selon lequel les parents au premier degré des personnes chez qui on a confirmé une HF font l’objet d’un dépistage pour cerner les cas non diagnostiqués. S’il est découvert qu’une de ces personnes a une HF, ses parents doivent à leur tour faire l’objet d’un dépistage et ainsi de suite. Cette stratégie se fonde sur le procédé de transmission génétique autosomique dominante de l’HF. Il y aura une probabilité que les parents des premier, deuxième et troisième degrés d’une personne atteinte d’HFHe souffrent aussi d’HF dans une proportion de 50, 25 et 12,5 % respectivement. Le dépistage en cascade permet d’identifier en moyenne 8 nouveaux cas d’HF par proband13. Un certain nombre de pays ont instauré différentes variations de dépistage en cascade qui se sont révélées favorables sur le plan de la rentabilité14. Les patients peuvent être inscrits dans le registre HF du Canada à la suite d’une demande présentée par un clinicien ou un centre participant. Plus de renseignements se trouvent dans le site web de l’HF du Canada (http://www.fhcanada.net/fh-canada-registry/?lang=fr).
Diagnostic
Dans la pratique, les cliniciens ne reconnaissent souvent pas l’HF. Parmi le nombre estimé de 83 500 personnes atteintes d’HF au Canada, seulement 5 % environ ont reçu un diagnostic approprié1,2. Les cliniciens devraient soupçonner une HF chez les patients qui subissent prématurément un incident cardiovasculaire, ont des stigmates physiques d’hypercholestérolémie (p. ex. arcs cornéens, xanthélasmas ou xanthomes tendineux) ou des niveaux de LDL plasmatique de 5 mmol/l ou plus15.
Une fois l’hypercholestérolémie détectée, les médecins devraient exclure d’autres causes secondaires, comme des problèmes médicaux (p. ex. hypothyroïdie, diabète, syndrome néphrotique, maladie obstructive du foie), des médicaments (p. ex. corticostéroïdes, diurétiques), une consommation abusive d’alcool, une très mauvaise alimentation et un mode de vie sédentaire (Tableau 1).
L’énoncé de position de la SCC sur l’HF recommande de poser le diagnostic à l’aide de l’un de 2 ensembles de critères diagnostiques fondés sur des scores : le registre de Simon Broome ou les critères du Dutch Lipid Network (Tableau 2)1,16. Les 2 ensembles de critères diagnostiques ont un rendement raisonnablement bon sans étalon critère précis17. Le diagnostic d’HF n’exige pas de test génétique, puisqu’environ 1 patient sur 5 ayant un diagnostic clinique d’HFHe obtiendra des résultats négatifs au dépistage de toutes les mutations génétiques connues à l’heure actuelle.
Critères diagnostiques de l’HF
Traitement
En dépit du risque élevé de MCVAS associé avec l’HF, une proportion aussi élevée que 50 % des patients qui ont reçu un diagnostic approprié ne reçoivent pas de traitement adéquatement vigoureux, possiblement en raison d’une sous-estimation de l’ampleur du risque18,19. Le traitement de l’HF a pour but principal de réduire la mortalité et les incidents des MCVAS en réduisant les niveaux de LDL plasmatiques1,20,21.
Même si aucune donnée probante ne justifie de viser un seuil précis de LDL, les lignes directrices recommandent généralement une réduction de 50 % ou plus des valeurs par rapport au point de départ1,20,21, à l’instar des recommandations pour la population en général8. Il est important de modifier l’alimentation pour faire baisser les taux de LDL; toutefois, il n’est pas possible pour la plupart des patients atteints d’HF d’atteindre les valeurs cibles de lipides sans d’autres interventions additionnelles22. La prise en charge des facteurs de risque traditionnels de MCVAS, comme la cessation du tabagisme et le traitement de l’hypertension et du diabète, est essentielle pour les patients souffrant d’HF en raison de leur risque élevé de MCVAS au départ23.
Sur le plan de la prise en charge pharmacothérapeutique de l’HFHe, les statines à forte dose sont le traitement de première intention. Dans une ERC portant sur les patients souffrant d’HFHe, un traitement au moyen de 80 mg d’atorvastatine par jour a réduit les taux de LDL d’en moyenne 50 % par rapport au point de repère24, ce qui est comparable aux résultats obtenus dans la population sans HF25. Exception faite de la réduction des LDL, une diminution dans les paramètres de résultats d’une pertinence clinique obtenus par une thérapie aux statines (ou d’autres traitements hypolipidémiants) dans les cas d’HFHe n’est appuyée que par des données principalement observationnelles. Une étude de cohortes a fait valoir qu’une thérapie à dose modérée de statines (p. ex. 40 mg d’atorvastatine par jour) avait réduit de 60 à 10 % le risque de coronaropathie à 10 ans (risque relatif rajusté de 0,18, IC à 95 % de 0,13 à 0,25)19. En outre, les patients atteints d’HFHe qui prenaient des statines avaient un risque de MCVAS seulement un peu plus élevé que celui dans un échantillon jumelé selon l’âge de la population en général (6,7 c. 4,1 incidents par 1000 années-patients). D’autres études démontrent des améliorations semblables dans le pronostic procurées par un traitement aux statines26,27.
Chez un patient qui ne réussit pas à atteindre une réduction de 50 % ou plus des taux de LDL au moyen de la thérapie aux statines la plus forte qu’il peut tolérer, l’énoncé de position de la SCC sur l’HF recommande l’ajout d’autres agents qui diminuent les LDL1. L’ézétimibe réduit les niveaux de LDL de 15 à 20 % de plus et cause généralement peu d’effets secondaires lorsqu’il est combiné à des statines28,29. L’étude sur l’ézétimibe et la simvastatine dans les cas d’hypercholestérolémie pour améliorer la régression de l’athérosclérose (connue sous le nom d’étude ENHANCE), qui portait sur des patients atteints d’HFHe, n’avait pas la puissance suffisante pour détecter des changements dans les paramètres cliniquement pertinents28. L’ERC de plus grande envergure sur l’ézétimibe IMPROVE-IT (Improved Reduction of Outcomes : Vytorin Efficacy International Trial) évaluait le recours à l’ézétimibe ajouté à 40 mg de simvastatine par jour chez 18 44 patients après un syndrome coronarien aigu qui avaient des taux de LDL de 1,3 à 3,2 mmol/l29. Dans cette étude sur la prévention secondaire dans une population sans HF, l’ajout d’ézétimibe à une thérapie aux statines a permis de réduire le risque absolu d’incidents cardiovasculaires, principalement des infarctus du myocarde non mortels ou des AVC, dans une proportion de 2 % sur une période de 7 ans, sans risque accru d’événements indésirables. Le fort rôle pathologique qu’exercent les taux de LDL dans le développement des MCVAS chez les patients ayant une HF permettrait de prédire des bienfaits relatifs semblables dans cette population.
Parmi les autres options figurent les chélateurs des acides biliaires (p. ex. cholestyramine, colésévélam), les fibrates ou la niacine20. Les agents séquestrants des acides biliaires et la niacine sont souvent mal tolérés en raison, respectivement, de leurs effets gastro-intestinaux indésirables et des rougeurs cutanées. Les cliniciens doivent être prudents lorsqu’ils combinent un fibrate ou de la niacine avec une thérapie aux statines à cause du risque accru de myopathies30,31. Enfin, les inhibiteurs de la PCSK9 comme l’évolocumab pourraient se révéler d’autres options pour réduire davantage les taux de LDL à l’avenir, sous réserve de leur homologation par Santé Canada. On trouve au Tableau 332–38 une synthèse des nouveaux agents hypolipidémiants pour le traitement de l’HFHo.
Synthèse des nouveaux agents hypolipidémiants pour le traitement de l’HFHo
Il existe peu de données sur le traitement de l’HFHe chez les enfants. Les études randomisées contrôlées sur les agents hypolipidémiants chez les patients pédiatriques ont jusqu’à présent démontré une réduction des LDL comparable à celle observée chez les adultes mais, étant donné le petit nombre de sujets et le suivi limité, les effets sur les paramètres cliniques n’ont pas été éprouvés39–41. En général, la prise en charge des patients pédiatriques est semblable aux traitements dispensés aux adultes.
La prise en charge de l’HFHo exige des soins spécialisés comportant un traitement pharmacologique hypolipidémiant énergique, de même qu’une aphérèse chez certains patients1. L’aphérèse des lipoprotéines est une intervention coûteuse qui exige le filtrage extracorporel des lipoprotéines du sang et se déroule généralement pendant quelques heures sur une base hebdomadaire ou bimensuelle. Comme dans le cas de l’HF, les statines et l’ézétimibe sont les thérapies de première et de deuxième intention, tandis que les chélateurs d’acides biliaires, les fibrates et la niacine sont utilisés moins fréquemment. Deux nouveaux agents, le lomitapide et le mipomersen (Tableau 3)32–38, sont prometteurs dans le traitement de l’HFHo. En 2014, Santé Canada a approuvé l’utilisation du lomitapide pour l’HFHo, tandis que le mipomersen n’est pas encore commercialement accessible au Canada. Les inhibiteurs de la PCSK9 pourraient avoir un rôle futur dans le traitement des patients atteints d’HFHo.
Conclusion
L’hypercholestérolémie familiale est une cause de maladies cardiovasculaires peu détectée et insuffisamment traitée. Les cliniciens devraient procéder à un dépistage de l’HF chez leurs patients et la diagnostiquer en fonction des recommandations de la SCC. Le traitement de base de l’HFHe repose sur une réduction vigoureuse des lipides au moyen d’une pharmacothérapie et d’une prise en charge des facteurs de risque de MCVAS. Les cliniciens devraient demander une consultation dans un centre spécialisé pour tous les patients atteints d’HFHo afin d’entreprendre une réduction énergique des lipides. De nouveaux agents pharmacologiques et d’autres à venir offrent des options hypolipidémiantes additionnelles.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
L’hypercholestérolémie familiale (HF) est un trouble génétique autosomique dominant qui produit des élévations du cholestérol à lipoprotéines de basse densité (LDL). C’est une cause insuffisamment détectée et traitée des maladies cardiovasculaires.
Le traitement de l’HF a pour but principal de réduire la mortalité et les incidents des maladies cardiovasculaires athérosclérotiques en réduisant les taux de LDL plasmatique. Même s’il n’y a pas de données probantes définissant une valeur cible de LDL dans cette population, les lignes directrices recommandent généralement une réduction de 50 % ou plus par rapport au taux initial. Il est important de modifier l’alimentation pour diminuer les taux de LDL; toutefois, des interventions additionnelles sont nécessaires pour atteindre les valeurs cibles de lipides.
Les patients atteints d’HF nécessitent un traitement vigoureux, souvent avec plusieurs agents pharmacologiques, de même qu’une prise en charge des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires athérosclérotiques (p. ex. tabagisme, hypertension).
Footnotes
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la recherche documentaire, à l’analyse et à l’interprétation de l’information, de même qu’à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2016 issue on page 32.
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