Les soins du cancer du sein se métamorphosent au Canada et avec eux, le rôle des médecins de famille dans les soins aux personnes touchées. Environ 1 Canadienne sur 107 vit avec un diagnostic de cancer du sein ayant été posé dans les 10 dernières années1. Quelque 93 % reçoivent un diagnostic de cancer de stade I à III2 et font l’objet d’un traitement curatif, le plus souvent par la séquence intervention chirurgicale, chimiothérapie postopératoire, radiothérapie et thérapie antiœstrogénique par voie orale. De plus en plus de femmes survivent au cancer du sein, le taux de survie à 5 ans étant de 88 % et à 10 ans, de 82 % relativement à leurs paires1. Cette tendance s’accompagne d’un transfert massif des soins de suivi aux médecins de première ligne, justifié par des données de niveau I sur l’efficacité du suivi par les médecins de famille3–5, la volonté des médecins de famille de jouer ce rôle6,7 et le besoin qu’ont les centres de cancérologie de concentrer leurs ressources spécialisées limitées aux patientes nouvellement diagnostiquées, à celles qui présentent des toxicités complexes aux traitements ou à celles dont l’atteinte est métastatique. Dans un sondage récent, les 2 tiers des survivantes du cancer du sein en début de suivi ont nommé un médecin de famille ou une infirmière praticienne comme fournisseur principal de soins de suivi, et le plus souvent, le médecin agissait comme seul fournisseur de soins médicaux de suivi8.
Le suivi du cancer s’insère bien dans les soins primaires. De plus en plus, le cancer est perçu comme une affection comptant une phase aiguë et chronique. Les soins en phase chronique aux survivantes du cancer ont beaucoup en commun avec la prise en charge d’autres problèmes chroniques. Le traitement classique axé sur la surveillance des récidives du cancer s’est élargi pour se préoccuper maintenant de bien-être et de rétablissement, et inclut la prise en charge des effets psychosociaux et physiques, la promotion de modes de vie sains et la coordination des soins entre les divers professionnels de la santé qui participent aux soins.
Les médecins de famille se heurtent à des défis dans ce travail et ne peuvent normalement mettre en œuvre que la moitié des recommandations en matière de soins aux survivantes du cancer du sein dans leur pratique9. Toutefois, l’excès ou l’insuffisance de tests soulève des préoccupations. Seul le tiers environ des survivantes du cancer du sein reçoivent la mammographie de surveillance recommandée dans une année donnée de suivi, alors que la moitié semble se soumettre dans une année donnée de suivi à un examen d’imagerie systématique à la recherche de métastases qui, lui, n’est pas recommandé10. Les médecins de famille s’appuient fortement sur les lignes directrices pour guider les soins aux survivantes du cancer6. Le présent article offre aux médecins de famille un résumé pertinent des recommandations fondées sur les données probantes en matière de soins aux survivantes ayant reçu un traitement curatif du cancer du sein.
Qualité des données
Une recherche documentaire a été effectuée dans MEDLINE entre 2000 et 2016 à l’aide des mots-clés anglais suivants : breast cancer, survivorship, follow-up care, aftercare, guidelines et survivorship care plans. Les lignes directrices publiées récemment par les organismes nationaux de cancérologie ont aussi été examinées. Une autre recherche dans les références d’articles choisis et références des lignes directrices a aussi été effectuée. Les articles étaient évalués en fonction d’une hiérarchie des données probantes : les études et recommandations étayées par au moins 1 essai randomisé contrôlé ou les revues systématiques ou méta-analyses d’essais randomisés contrôlés étaient de niveau I; les études d’observation et d’intervention bien conçues sans randomisation étaient de niveau II; et les données de niveau III comptaient les recommandations basées sur l’opinion des experts ou les études et rapports marquants.
Message principal
Les soins aux survivantes ont été divisés en 4 grandes tâches11 et des outils de pratique ont récemment été publiés pour fournir un cadre utile12,13. Comme toujours, les médecins de famille doivent individualiser les lignes directrices pour qu’elles répondent aux besoins et caractéristiques uniques à chaque survivante, à ses antécédents thérapeutiques et à la complexité des soins exigés par ses autres problèmes chroniques.
1re tâche : surveillance et dépistage (Tableau 114–18)
Surveillance et dépistage chez les survivantes du cancer du sein asymptomatiques
La récidive est ce que les survivantes du cancer craignent le plus19. Le médecin de famille doit réagir à cette crainte en documentant et en examinant soigneusement les signes et symptômes d’une récidive locale ou à distance. Il faut par ailleurs noter qu’aucune étude bien conçue n’a comparé les bienfaits des visites plus fréquentes aux visites moins fréquentes à la clinique et qu’environ 60 % des récidives locorégionales (dans le sein traité et les ganglions axillaires et supraclaviculaires ipsilatéraux) sont symptomatiques et se présentent entre les visites de suivi prévues20. Le test de suivi du cancer du sein est simple : mammographie bilatérale annuelle (après lumpectomie) ou du sein controlatéral qui reste (après mastectomie) est le seul test recommandé, et cette recommandation n’est même pas appuyée par des données de niveau I étayant son bienfait. L’imagerie par résonance magnétique n’est pas recommandée (donnée de niveau I)14,16,17. Des données de niveau III appuient l’examen régulier des seins en clinique14 et l’autoexamen des seins mensuel chez les survivantes asymptomatiques du cancer du sein14. Une revue de Cochrane21 a montré que la poursuite énergique des métastases asymptomatiques à coups d’analyses sanguines et d’examens d’imagerie n’améliore aucunement la survie de la patiente, puisqu’il n’existe pour l’heure aucune autre option curative pour celles qui présentent des métastases. Discuter de cette approche minimaliste du suivi est souvent une conversation ardue avec les patientes atteintes du cancer du sein. Beaucoup recherchent l’impression de sécurité et la réassurance des tests réguliers qui prouvent qu’elles ont vaincu le cancer ou qui entretiennent l’espoir d’un autre traitement curatif si le cancer est réapparu. Malheureusement, la reprise du traitement curatif dans ce scénario n’est habituellement possible que dans le cas d’une autre intervention chirurgicale pour une récidive dans le sein.
Le dépistage d’autres tumeurs malignes chez la plupart des survivantes du cancer du sein doit suivre le même protocole que dans la population à risque moyen. Fait surprenant, malgré leur expérience du cancer et les nombreuses visites chez le médecin, une étude rétrospective canadienne, basée sur la population, a montré qu’en 4 ans de suivi, 65 % des survivantes du cancer du sein admissibles n’avaient jamais subi de test de dépistage du cancer colorectal, et 40 % n’avaient jamais reçu de test de dépistage du cancer du col de l’utérus22. Cette lacune importante des soins demande toute l’attention des fournisseurs de soins primaires.
2e tâche : évaluation et prise en charge des effets à long terme (Tableau 215,18,23–27)
Évaluation et prise en charge des effets à long terme du cancer du sein et de ses traitements
Beaucoup de survivantes du cancer du sein ressentent les effets physiques et psychosociaux à long terme du cancer et de son traitement, notamment : douleur, fatigue, lymphœdème et détresse psychologique28,29. Les facteurs de risque d’une plus grande détresse sont des antécédents de dépression ou d’anxiété, un soutien social insuffisant et le jeune âge30–32. Les médecins de famille devraient évaluer de manière plus rigoureuse celles qui présentent un risque élevé. Certaines données étayent de meilleurs résultats lorsque la détresse est diagnostiquée plus tôt par l’entremise d’un dépistage standardisé33 et les lignes directrices publiées récemment sont pour les médecins de famille une excellente ressource pour l’évaluation et la prise en charge des effets psychosociaux du cancer et de son traitement23.
Les traitements contre le cancer, tels que les anthracyclines (doxorubicine, épirubicine), la radiothérapie du côté gauche et les agents ciblés comme le trastuzumab sont liés à l’insuffisance cardiaque, à l’ischémie myocardique, à l’arythmie, à l’hypertension et à la thromboembolie34–40. En outre, les facteurs de risque cardiaque avérés tels que l’hypertension, le diabète, la dyslipidémie, l’obésité et la sédentarité sont plus fréquents chez les survivantes du cancer que dans la population générale41. Malgré l’absence de lignes directrices définitives, et étant donné que la plupart des survivantes du cancer du sein sont plus à risque de mourir d’une cardiopathie que du cancer42–44, il est recommandé que les médecins de famille procèdent au dépistage et à la prise en charge active des facteurs de risque cardiaques40,45.
La thérapie antiœstrogénique, comme les inhibiteurs de l’aromatase et le tamoxifène, est recommandée pour les 80 % des survivantes du cancer du sein dont la tumeur exprime les récepteurs d’œstrogène. Jusqu’à 50 % des femmes manifestent des symptômes vasomoteurs et musculosquelettiques comme de la douleur et de la raideur articulaires découlant de ces médicaments46–49, ce qui entraîne souvent une mauvaise observance et l’abandon du traitement50,51. Comme l’hormonothérapie prolonge de manière statistiquement significative la survie sans maladie et réduit le risque de récidive52,53, les médecins de famille doivent en priorité évaluer l’observance et prendre en charge les effets indésirables liés au traitement. L’acétaminophène et les anti-inflammatoires non stéroïdiens se sont montrés efficaces pour soulager la douleur musculosquelettique54. Des données émergentes laissent croire que le yoga soulage aussi la douleur articulaire55.
3e tâche : promotion de la santé (Tableau 315)
Promotion de la santé chez les survivantes du cancer du sein
La participation des médecins de famille est essentielle à la prestation optimale des soins aux survivantes56,57. Des études montrent invariablement que les survivantes qui consultent leur médecin de première ligne en plus de leur oncologue reçoivent plus probablement les soins de prévention recommandés58–60, de même que des soins de meilleure qualité pour leurs comorbidités57. En matière de promotion de la santé et de prévention de la maladie, les médecins de famille doivent approcher la survivante du cancer comme une patiente ayant récemment reçu un diagnostic de syndrome coronarien aigu, soit une personne qui profitera pleinement du counseling en modification du mode de vie et y sera réceptive pour améliorer sa santé. Les médecins de famille et les survivantes du cancer du sein ont beaucoup de raisons d’adopter cette approche active à la réadaptation, surtout en ce qui a trait à l’objectif de faire 150 minutes d’activité physique modérée ou 75 minutes d’activité physique vigoureuse par semaine. Une récente méta-analyse d’études d’observation (niveau II) a donné lieu à un spectaculaire risque relatif de 0,52 de décès toutes causes confondues chez les survivantes du cancer du sein qui étaient physiquement actives61. Il existe aussi de nombreuses données de niveau I étayant de nombreux autres bienfaits de l’activité physique chez les survivantes du cancer du sein, dont l’atténuation de la fatigue, de la douleur et de la dépression, et l’amélioration de la qualité de vie62. L’exercice est sans danger durant et après le traitement contre le cancer63 et les femmes doivent être informées des bienfaits de l’exercice tôt dans leur trajectoire de soins.
Le contrôle du poids est aussi un objectif important pour les survivantes du cancer du sein, et l’intensification de l’activité contribue à cet objectif. Les survivantes du cancer du sein qui sont obèses présentent un risque accru de récidive du cancer, de deuxièmes cancers et d’autres complications métaboliques, et même la perte pondérale modeste a été liée à une baisse des symptômes et à l’amélioration de la qualité de vie64,65. Les données étayant un bienfait découlant des choix alimentaires en soi sont moins convaincantes. Malgré tout, vu qu’elles présentent un risque accru de maladie cardiovasculaire par rapport à la population générale, les survivantes du cancer du sein devraient adopter les pratiques alimentaires saines systématiquement recommandées : une alimentation riche en fruits, légumes et grains entiers, et pauvre en viande rouge. Il serait également important de suggérer une consommation d’alcool modérée (pas plus de 1 verre par jour selon les lignes directrices sur les soins aux survivantes du cancer du sein de l’American Cancer Society et l’American Society of Clinical Oncology15, ou 2 verres standard par jour ou 10 verres par semaine pour les femmes en général, selon les lignes directrices canadiennes sur la consommation d’alcool à faible risque66), puisque des données de niveau II et III indiquent un taux supérieur de récidive du cancer chez les survivantes du cancer du sein qui consomment beaucoup d’alcool67.
Bien que les données concernant l’abandon du tabac soient limitées, une étude d’observation d’envergure (données de niveau II) a montré que, comparativement aux femmes qui continuaient de fumer, les femmes qui écrasaient après le diagnostic présentaient une tendance statistique vers une baisse de la mortalité liée au cancer et toutes causes confondues68. La poursuite du tabagisme chez les survivantes du cancer accroît la mortalité de toutes causes, le risque de deuxièmes cancers et le risque d’infarctus du myocarde et d’insuffisance cardiaque congestive69. L’aide à l’abandon du tabac devrait être une priorité dans les soins aux survivantes du cancer.
4e tâche : coordination des soins
Bien que les médecins de famille soient de plus en plus souvent à la tête du suivi des survivantes du cancer du sein, les défis qui se dressent devant certaines patientes sont mieux abordés par une approche multidisciplinaire. Les médecins de famille doivent activement réfléchir à quels professionnels de la santé pourraient contribuer au rétablissement de leur patiente, et doivent faire la recommandation rapidement. Cela commence par entretenir une relation avec les oncologues locaux ou avec les médecins de famille ayant une pratique ciblée en oncologie, lesquels, dans certaines régions du Canada, supervisent le traitement du cancer et peuvent s’avérer d’excellentes ressources pour le médecin de famille offrant des soins complets70. Des questions sur la durée du traitement ou les changements des médicaments antiœstrogéniques sont des raisons courantes derrière ces consultations.
Des conseils sur les ressources concernant les soins de suivi sont aussi donnés dans le plan de soins aux survivantes du cancer, un document remis aux patientes et aux médecins de famille par certains centres canadiens de cancérologie à la fin du traitement ou au moment du transfert en première ligne71,72. Une autre source d’information efficace sur les ressources quant aux soins aux survivantes du cancer pour les médecins de famille est la clinique ou le centre local de cancérologie. Les programmes généraux destinés aux survivantes du cancer, le soutien par les pairs et les programmes spécialisés sur le brouillard de la chimio, la fatigue, les problèmes sexuels, le lymphœdème et les problèmes de santé mentale sont d’une grande utilité au besoin. Mais il ne faut pas oublier nos propres cliniques et réseaux de médecine familiale, lesquels seraient les endroits les plus commodes et acceptables aux yeux des survivantes du cancer du sein pour recevoir l’aide d’autres professionnels de la santé. De toute manière, on encourage les médecins de famille à engager les patientes dans la prise en charge de leur propre rétablissement et à appuyer activement les rôles cruciaux des membres de la famille et des amis dans les soins aux survivantes.
Conclusion
Les médecins de famille remplissent de plus en plus le rôle de « quart arrière » dans les soins aux femmes atteintes du cancer du sein après la fin de la phase de traitement aigu. Dans la phase chronique du cancer, les soins visent à appuyer les survivantes du cancer du sein alors qu’elles se rétablissent des effets considérables sur les plans physique, psychologique et social liés au cancer. Dans ce sens, le cancer du sein doit être considéré comme une affection médicale chronique, même chez les femmes qui sont en rémission. Les soins de suivi du cancer profiteront de la même approche en équipe, structurée et fondée sur les données probantes qui est utilisée pour les autres affections chroniques en soins de première ligne. Un modèle à 4 facettes, dont la surveillance et le dépistage, l’évaluation et la prise en charge des effets physiques et psychosociaux, la promotion de la santé et la coordination des soins fournit aux médecins de famille un cadre utile pour approcher ce travail important.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
De plus en plus de femmes survivent au cancer du sein, ce qui a entraîné le transfert massif du suivi aux soins de première ligne. Le présent article offre aux médecins de famille un résumé pertinent des recommandations fondées sur les données probantes en matière de soins aux survivantes pour les femmes ayant reçu des traitements curatifs du cancer du sein.
Dans la phase chronique du cancer, les soins visent à appuyer les survivantes du cancer du sein alors qu’elles se rétablissent des effets considérables sur les plans physique, psychologique et social liés au cancer. Les soins de suivi du cancer profiteront de la même approche en équipe, structurée et fondée sur les données probantes qui est utilisée pour les autres affections chroniques en soins de première ligne.
Un modèle à 4 facettes, dont la surveillance et le dépistage, l’évaluation et la prise en charge des effets physiques et psychosociaux, la promotion de la santé et la coordination des soins, fournit aux médecins de famille un cadre utile pour approcher ce travail important.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous sur www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2016 issue on page 805.
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la revue et à l’interprétation de la littérature médicale, et à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada