Les médecins de soins primaires réfèrent des patients à des spécialistes lorsqu’ils ont besoin de conseils sur un diagnostic ou sur la prise en charge d’un problème particulier, lorsqu’une procédure technique, une chirurgie ou une intervention spécialisée en psychiatrie est requise ou encore lorsqu’une expertise supplémentaire est nécessaire pour traiter une maladie chronique complexe1,2. En 2007, 3 millions de Canadiens ont déclaré avoir consulté un spécialiste qui n’était pas médecin de famille au cours de la dernière année3.
Pour que le processus entre la référence et la consultation soit ininterrompu, il est nécessaire que les professionnels s’échangent des renseignements complets et pertinents. Un transfert d’information erroné, incomplet ou tardif peut se traduire par un retard dans l’accès aux soins, le dédoublement de tests, la polypharmacie, une utilisation inappropriée de médicaments, la perte de confiance envers le système de santé et l’augmentation des coûts4,5. Les médecins traitants et les consultants souhaitent que les listes de médicaments et les plans de prise en charge soient inclus dans les communications entre eux et, pourtant, il persiste des écarts entre les attentes et la réalité6. Les risques d’interaction médicamenteuse, de redondances, d’utilisation de médicaments qui se sont avérés inefficaces ou n’ont pas été tolérés sont considérables lorsqu’il y a des lacunes dans la communication. Il arrive qu’on retarde l’amorce d’une médication efficace lorsqu’il y a des incertitudes entourant la responsabilité de la mise en œuvre et du suivi des nouveaux traitements. Il est possible d’instaurer des modèles innovateurs qui impliqueraient les pharmaciens dans le processus de la référence et de la consultation.
Évaluation des lacunes
Selon une révision systématique effectuée par Berta et ses collaborateurs, une demande de consultation idéale ne contient pas seulement une liste des médicaments actuels, mais aussi des médicaments pertinents essayés au préalable et discontinués7. Les rapports de consultation devraient inclure l’information concernant tous les traitements proposés ou entamés, notamment tous les médicaments et leur durée prévue8. Ces recommandations ont été incluses dans l’énoncé de position conjoint du Collège des médecins de famille du Canada et du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada6.
D’octobre à décembre 2013, nous avons effectué une vérification rétrospective des dossiers (n = 70) d’une clinique d’endocrinologie tertiaire où s’effectuent plus de 10 000 visites médicales par année, afin d’évaluer l’exactitude et la clarté de l’information sur les médicaments dans les demandes et les rapports de consultation. Nous avons obtenu l’approbation du Conseil de l’éthique de la recherche du Réseau des sciences de la santé d’Ottawa. Les listes de médicaments étaient considérées complètes si le nom du médicament, la dose et la fréquence étaient inclus. Nous avons évalué la clarté de la communication par les spécialistes concernant les changements à la médication : un médecin de soins primaires et un spécialiste ont attribué à chaque cas où il était question d’un changement de médication dans le rapport de consultation la mention « changement de médication mis en œuvre par un spécialiste », « changement de médication recommandé par un spécialiste » ou « incertain ». Tous les cas au sujet desquels le premier et le deuxième lecteurs n’étaient pas d’accord étaient considérés incertains. Nous avons constaté que 44 % (31 sur 70) des documents de référence contenaient des listes de médicaments et que 71 % (22 sur 31) d’entre eux étaient complets. Parmi les 96 % (67 sur 70) de rapports de consultation qui contenaient une liste de médicaments, 48 % (32 sur 67) des listes étaient complètes. Si l’on considère les 46 % (32 sur 70) de rapports de consultation qui comportaient un changement de médication, il n’était pas évident de savoir 38 % du temps (12 sur 32) si le changement avait été mis en œuvre ou s’il s’agissait seulement d’une recommandation. Le délai médian entre la demande et la consultation était de 105 jours. La longue période d’attente entre la référence et la visite chez le spécialiste peut faire en sorte que l’information transmise sur la médication ne soit plus exacte et fait valoir la nécessité potentielle d’une mise à jour des profils de médication avant le rendez-vous.
Nos conclusions correspondent aux études antérieures sur l’exhaustivité des listes de médicaments dans les demandes de consultation9,10 et dans les rapports de consultation9,11 qui démontrent des taux similaires à ceux de notre étude, soit respectivement 33 à 38 % et 75 à 80 %. Lors d’une vérification de 125 cas dans 10 spécialités médicales différentes pour lesquels le traitement était l’enjeu principal, 66 % des dossiers recommandaient des changements dans la médication, mais dans seulement 55 % des cas, les raisons du changement étaient indiquiées12. Une étude australienne portant sur 300 demandes de consultation dont la provenance allait des soins primaires aux soins ambulatoires tertiaires pour des patients souffrant de diabète de type 2 indiquait que 80 % des demandes de consultation contenaient des anomalies concernant la médication. L’inexactitude la plus fréquente était l’omission de la médication actuelle. Selon cette étude, le délai médian entre la référence et la visite chez le spécialiste était de seulement 4 semaines13.
Possibilités d’améliorations
Le bilan comparatif des médicaments est un examen systématique des médicaments en vue d’assurer une communication adéquate à des points de transition, notamment le transfert à un autre service ou professionnel, et il représente une norme canadienne d’agrément des hôpitaux canadiens14. Il n’existe actuellement pas de programme ou d’exigence précise pour examiner l’exactitude et l’intégralité des renseignements sur les médicaments lors des transitions entre les soins primaires et spécialisés.
Les pharmaciens occupent une place privilégiée pour assurer la continuité des renseignements pharmacologiques dans le milieu des soins ambulatoires. Lors d’une étude, un consultant a amorcé à lui seul l’envoi de copies des résumés de congé à des pharmaciens de cliniques et a démontré qu’il était plus probable que les patients reçoivent le traitement recommandé au moment de leur congé (83 % c. 51 % des patients) après l’implantation de cette démarche. L’étude a aussi relevé un degré élevé de satisfaction chez les médecins de soins primaires et les pharmaciens15. L’intégration de pharmaciens dans les cliniques offrant des soins primaires à des patients ayant un besoin identifié d’optimisation de leur médication s’est révélée fructueuse pour améliorer la non-observance (86 % c. 40 %), les indications non traitées (73 % c. 11 %), les choix sous-optimaux de médicaments (60 % c. 6 %) et les pharmacothérapies non rentables (72 % c. 7 %) pour des patients dans 2 cliniques communautaires de médecine interne en soins primaires aux États-Unis16.
Nous croyons qu’il est possible d’inclure les pharmaciens dans les canaux de communication entre les médecins de soins primaires et les autres spécialistes. Les modèles actuels de soins comportent l’intégration de pharmaciens dans les équipes cliniques (on compte présentement 111 équipes de santé familiale en Ontario dotées d’un pharmacien), ainsi que des services cliniques améliorés et remboursables offerts par les pharmaciens communautaires17,18.
Dans le modèle proposé, tant les pharmaciens communautaires que ceux qui travaillent au sein de cliniques de médecins de famille pourraient intervenir jusqu’à 3 fois dans le processus de consultation (Figure 1). Une rencontre initiale aurait lieu avant que la demande de consultation soit envoyée au consultant. Cette rencontre entre le patient et le pharmacien a pour but une collaboration afin de produire un bilan exact de la médication, y compris les médicaments essayés antérieurement, leur efficacité et leur tolérabilité, avant le rendez-vous avec le spécialiste. Ce bilan fournirait au spécialiste un profil plus complet afin de mieux orienter une thérapie optimale. Ce rendez-vous aurait comme résultat secondaire d’aider le médecin traitant à déterminer la médication à essayer dans l’intervalle, surtout s’il prévoit un long délai d’attente. Au Canada, le délai d’attente médian entre la demande de consultation par le médecin de soins primaires et le rendez-vous avec le spécialiste était de 8,6 semaines en 201319. S’il y a un délai important avant de voir le spécialiste, une deuxième rencontre est prévue de 1 à 2 semaines avant la date du rendez-vous. Cette rencontre vise à concilier les médicaments du patient afin de fournir le bilan pharmacologique et la liste de médicaments les plus à jour possible. La nécessité de cette deuxième rencontre serait établie en fonction de l’état clinique du patient et de la durée de temps écoulé entre la conciliation initiale des médicaments et la consultation spécialisée. La troisième rencontre se déroulerait immédiatement après le rendez-vous avec le spécialiste. Elle aurait pour objectif de concilier tout nouveau médicament ajouté ou discontinué, de cerner les recommandations concernant la médication qui n’ont pas été mises en œuvre, et d’offrir la formation appropriée, de même qu’un plan de surveillance pour les changements apportés. Le pharmacien communiquerait le plan thérapeutique le plus à jour au médecin traitant et au spécialiste après chaque visite.
Ce modèle est-il applicable?
Comme c’est le cas de tous les nouveaux projets d’amélioration de la qualité ou de changements dans la prestation des soins de santé, notre modèle devrait faire l’objet d’une étude de validation du concept pour en déterminer la faisabilité. Ce modèle de services comporte certaines limitations, parce qu’il n’est pas conçu pour les demandes de consultation urgentes. Dans le contexte de l’étude de validation, il serait important de déterminer si les patients accepteraient un nombre accru de visites, s’il est possible de clarifier la communication entre les professionnels afin de prévenir des erreurs ou des malentendus et si les modes de remboursement des services sont satisfaisants pour les pharmaciens. Une révision systématique des services cliniques de pharmaciens effectuée par Houle et ses collègues18 a permis de cerner plusieurs obstacles à de nouveaux services, y compris la rentabilité, les contraintes de temps, le manque d’adhésion par les patients et les médecins, les processus encombrants de facturation et le manque de protection des renseignements personnels. Par conséquent, il faudrait que le modèle que nous avons proposé soit approuvé et mis à l’essai par les pharmaciens communautaires, ceux qui travaillent au sein d’équipes de soins primaires, les médecins de soins primaires et les spécialistes pour évaluer sa faisabilité, et déterminer les structures et les processus qui favoriseraient la réussite de sa mise en œuvre. Au cours des dernières années, un certain nombre de changements se sont produits dans le monde de la pratique de la pharmacie communautaire qui faciliteraient la prestation de ce type de services cliniques. Il s’agit de la règlementation des techniciens de pharmacie, de l’élargissement du champ de pratique des pharmaciens et des nouveaux modes de remboursement. Ces derniers prévoient le remboursement des pharmaciens pour le temps passé avec des patients à revoir et fournir des listes de médicaments à jour et à faire des recommandations aux prescripteurs si des problèmes reliés aux médicaments sont identifiés. Toutes les provinces au Canada remboursent les pharmaciens communautaires pour certaines formes de révision ou d’évaluation complète de la médication20. En plus des révisions annuelles des médicaments, dans certaines provinces comme l’Ontario et l’Alberta, les pharmaciens peuvent être remboursés pour des évaluations de suivi de cette révision de la médication si le patient est référé par un autre professionnel de la santé (p. ex. un médecin)20. Ces modifications pourraient contribuer à la viabilité de ce modèle. Par ailleurs, puisque les modes de remboursement et les exigences diffèrent d’une province à l’autre, nous incitons les cliniciens à consulter les lignes directrices sur le remboursement des services cliniques des pharmaciens dans leur province respective.
Conclusion
Des renseignements sur les médicaments sont indiqués moins de la moitié du temps dans les documents de consultation. Lorsqu’il y a des listes de médicaments dans les demandes et les rapports de consultation, l’information est souvent incomplète. Compte tenu du délai entre les demandes et les consultations, de même que du manque de clarté concernant les changements dans la médication, on s’inquiète considérablement pour la sécurité des patients. Les médecins pourraient ne pas être les mieux placés pour fournir des bilans et des conciliations détaillés de médicaments durant ce processus. Les pharmaciens n’ont habituellement pas été impliqués dans le processus des demandes de consultation par les médecins de soins primaires aux médecins spécialistes dans le milieu des cliniques externes. Si l’on intègre systématiquement les pharmaciens (qui travaillent dans les équipes de soins primaires ou dans une pharmacie communautaire) dans le processus des consultations, ils assureront que les prescripteurs travaillent avec des renseignements à jour et exacts pour faciliter la meilleure prise de décision possible. Il sera aussi plus facile de savoir si les patients ont des problèmes ou des améliorations avec les changements de médicaments effectués par les consultants.
Remerciements
M. Tsang a effectué la vérification des dossiers et a contribué à la préparation de l’article alors qu’il était en stage d’enseignement coopératif à l’Institut de recherche Élizabeth-Bruyère de l’Université d’Ottawa, en Ontario.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2016 issue on page 111.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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