Par le passé, d’utiles outils de consignation des soins préventifs ont été publiés1–4, mais ils ne sont pas tous mis à jour régulièrement. Il n’y a pas assez de guides complets récents pour faciliter la prestation et la consignation des soins primaires appropriés fondés sur des données probantes. Les recommandations de dépistage émanent de diverses organisations et changent constamment, rendant ainsi la promotion de la santé et la prévention des maladies un défi de taille. À l’heure actuelle, naviguer dans l’océan incommensurable d’information disponible en quête de lignes directrices sur la prévention paraît insurmontable. Il faut des mises à jour périodiques au moyen de recherches documentaires systématiques. Le regroupement de toutes ces lignes directrices en un seul tableau de synthèse pratique à utiliser dans un milieu clinique débordé facilite l’accès aux renseignements et permet aux médecins d’offrir des soins préventifs de manière efficace et fondée sur des données probantes.
La prise en charge des maladies chroniques représente un fardeau économique pour le système de santé5. Divers acteurs ont exploré les économies à réaliser grâce à la prévention, en insistant sur la qualité de vie et la longévité accrue6,7. Le mouvement Choisir avec soin met en évidence les désavantages des tests non fondés sur des données probantes plus nuisibles qu’autrement8. En facilitant les possibilités de prévention au moyen de pratiques exemplaires faciles d’accès, il pourrait être possible de réduire l’incidence des maladies chroniques et, par le fait même, améliorer les soins centrés sur le patient et générer des économies pour le système de santé.
Nous avons effectué une recherche documentaire et produit un tableau concis qui résume les constatations, ainsi que des outils de consignation pour faciliter la documentation. Après avoir lu cet article, les professionnels seront en mesure de dresser la liste des recommandations fondées sur des données probantes entourant les interventions préventives chez les adultes en santé, selon leur âge et leur sexe.
Qualité des données
Nous avons effectué, avec l’assistance de bibliothécaires de la Bibliothèque nationale de médecine familiale, une recherche des ouvrages scientifiques publiés en français ou en anglais entre 2009 et 2014 et fichés selon une combinaison des ensembles suivants de rubriques médicales : preventive health services, primary prevention, secondary prevention, osteoporosis, prostatic neoplasms, breast neoplasms, colonic neoplasms, hyperlipidemias, mass screening ou screening, et practice guidelines comme étant un topic ou un publication type ou une guideline, ou encore des mots-detexte semblables ou des textes associés. Nous avons aussi fait une recension dans les principales bases de données contenant les lignes directrices nationales suivantes, à l’aide de combinaisons des 2 premiers ensembles d’expressions mentionnées plus haut : Infobanque AMC, US National Guideline Clearinghouse et UK National Institute for Health and Care Excellence. La recherche initiale a cerné 289 articles desquels ont été exclus ceux qui n’étaient pas pertinents aux Canadiens, aux soins primaires préventifs en clinique et ceux portant sur les soins préventifs aux enfants. Une révision complète de 69 articles a été complétée à l’aide des méthodes expliquées ci-après. La sélection finale comptait 40 articles.
Les lignes directrices publiées sur les soins préventifs aux adultes provenant de nombreuses sources différentes sont élaborées selon diverses méthodes. La qualité des données probantes à l’appui des recommandations a été évaluée en fonction des méthodes utilisées par Rourke et ses collègues4 dans l’élaboration du Relevé postnatal Rourke et de l’approche utilisée par les auteurs de Soins préventifs - Fiche de contrôle2,3 dans l’élaboration du plus récent outil d’aide à l’examen médical périodique endossé par le Collège des médecins de famille du Canada au moment de la rédaction3.
Ces 2 groupes se sont initialement servis de l’ancienne méthode de classement des recommandations du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP) selon laquelle les recommandations appuyées par les données probantes de la plus grande qualité recevaient un A et celles étayées par des données acceptables étaient classées B. Actuellement, l’US Preventive Services Task Force (USPSTF) utilise aussi cette méthode9. Le nouveau GECSSP a adopté la méthode GRADE (cotation de la détermination, de l’élaboration et de l’évaluation des recommandations) en 201010, ce qui complique la présentation de toutes les recommandations en fonction d’un même système de classification. La méthode GRADE11 utilise la qualité des données probantes pour évaluer la force d’une recommandation et tient aussi compte des facteurs conformes aux principes de la médecine familiale : l’équilibre entre les effets souhaitables et indésirables, les valeurs et les préférences du patient et l’attribution des ressources. En vertu du système GRADE, les recommandations sont fortes ou faibles.
La seule référence que nous ayons trouvée d’un jumelage de ces 2 méthodes est la mise à jour en 2014 du Relevé postnatal Rourke12, dans laquelle les auteurs ont suivi en grande partie la façon de faire décrite plus bas, que nous avons adoptée.
Une recommandation est classée suffisante (en caractère gras) si, selon l’ancienne méthode du GECSSP, il y a assez de bonnes données probantes pour recommander l’acte de prévention clinique ou, si selon la cotation GRADE, la recommandation est forte.
Une recommandation est classée acceptable (en italique) si, selon l’ancienne méthode du GECSSP, des données acceptables permettent de recommander l’acte de prévention clinique ou si, selon la cotation GRADE, la recommandation est faible.
Une recommandation est classée non concluante ou consensuelle (en caractères réguliers) si, selon l’ancienne méthode du GECSSP, les données probantes existantes sont conflictuelles et ne permettent pas de faire une recommandation en faveur ou contre l’acte de prévention clinique (quoique d’autres facteurs puissent influencer la prise de décision) ou si la recommandation se fonde uniquement sur un consensus.
Lorsque les organisations mentionnaient avoir utilisé l’ancienne méthode du GECSSP ou la cotation GRADE, les méthodes utilisées étaient examinées pour déterminer si le processus a été modifié ou adapté.
Certaines sources n’ont utilisé aucune de ces méthodes. Dans de tels cas, les approches utilisées ont été évaluées et les recommandations ont été comparées avec les lignes directrices d’organisations d’autres pays visant principalement les médecins de soins primaires comme l’USPSTF ou les lignes directrices du National Institute for Health and Care Excellence13 du Royaume-Uni. De plus, certaines de ces lignes directrices ont été évaluées par le GECSSP.
Message principal
En nous fondant sur la recherche documentaire, nous avons créé des outils à utiliser lors des visites périodiques en soins primaires pour appuyer la prestation de soins préventifs fondés sur des données probantes à la population adulte. Les outils peuvent servir de listes résumant les soins préventifs éventuellement appropriés ainsi que d’outils de consignation à intégrer dans les dossiers médicaux sous forme électronique ou imprimée à inclure dans les dossiers papier.
Le Tableau 1, intitulé Lignes directrices sur le dépistage préventif Primrose de 2015, est un résumé de 2 pages de toutes les recommandations fondées sur des données probantes concernant la prévention chez les adultes selon l’âge et le sexe14–43. Ce tableau sert de référence rapide. Les recommandations sont structurées en fonction de trois groupes d’âge pour les patients asymptomatiques sans facteur de risque. Les différences entre hommes et femmes dans les interventions sont indiquées dans la portion inférieure du tableau sous les rubriques « Femmes » et « Hommes ». Dans la rangée « Examen physique », nous indiquons seulement les éléments fondés sur des données probantes trouvés dans la révision pour un patient en santé sans facteur de risque. Les préoccupations des patients et d’autres facteurs à considérer pourraient influencer le genre d’examen physique effectué. Six outils de consignation ont été créés pour permettre une documentation succincte adaptable à des systèmes de dossiers papier ou électroniques. La Figure 1 donne un exemple de l’un de ces outils de consignation; les autres sont accessibles dans CFPlus*.
Modèle d’outil de consignation des interventions en soins primaires selon l’âge pour les femmes de 21 à 49 ans* : Les recommandations appuyées par des données suffisantes sont présentées en caractères gras, celles étayées par des données acceptables sont en italique et les recommandations consensuelles apparaissent en caractères réguliers. Ces recommandations s’appliquent à la prévention et au dépistage en soins primaires. D’autres tests ou examens physiques pour des problèmes préexistants pourraient être nécessaires au besoin.
dcaT—anatoxine tétanique, anatoxine diphtérique réduite et acellulaire contre la coqueluche; dT—tétanos et diphtérie; FINDRISC—score de risque au Finnish Diabetes Risk Score; HbA1c—hémoglobine A1c; HT—hauteur; IMC—indice de masse corporelle; ITS—infection transmise sexuellement; LRMV—Laboratoire de recherche sur les maladies vénériennes; PA—pression artérielle; Pds—poids; RRO—rougeole, rubéole, oreillons; TT—tour de taille; VHB—virus de l’hépatite B; VPH—virus du papillome humain. *D’autres modèles selon l’âge et le sexe sont accessibles dans CFPlus.
Les lignes directrices sur le dépistage préventif Primrose de 2015 : Les recommandations appuyées par des données suffisantes sont présentées en caractères gras, celles étayées par des données acceptables sont en italique et les recommandations consensuelles apparaissent en caractères réguliers. Ces recommandations s’appliquent à la prévention et au dépistage en soins primaires. D’autres tests ou examens physiques pour des problèmes préexistants pourraient être nécessaires au besoin.
La recherche documentaire a permis de trouver des mises à jour de diverses interventions préventives courantes depuis la dernière qui a eu lieu en 20123. Les principales recommandations qui ont récemment fait l’objet de changements ou de débats sont mises en évidence ci-après.
Dépistage du cancer du col
Les lignes directrices ont changé en Amérique du Nord au cours des dernières années44. À l’heure actuelle, il existe des divergences entre les recommandations du GECSSP sur le dépistage du cancer du col45 et celles des provinces à ce sujet. Le GECSSP recommande de commencer à 25 ans ou 3 ans après les premières relations sexuelles, tandis que la plupart des provinces préconisent de commencer à 21 ans. Ces lignes directrices sont semblables en ce qui a trait à retarder le début du dépistage et d’accroître l’intervalle entre les tests de Papanicolaou.
Dépistage du cancer de la prostate
Le dépistage du cancer de la prostate fait l’objet de débats animés depuis la mise au point du test de l’antigène spécifique de la prostate (ASP)46. La recommandation du GECSSP en 2014 indiquait que les données probantes disponibles ne permettaient pas de conclure que le dépistage de l’ASP réduisait la mortalité due au cancer de la prostate, mais qu’elles faisaient valoir clairement un risque accru de préjudice47. Le groupe d’étude recommande de ne pas utiliser la mesure de l’ASP pour dépister le cancer de la prostate48. Des outils utiles pour discuter de la question avec les patients se trouvent dans le site web du GECSSP49–50. L’USPSTF déconseille le dépistage au moyen du test de l’ASP51. Les 2 groupes de travail ont passé en revue les données probantes tirées de 2 études randomisées contrôlées qui ont procédé à un examen prospectif du dépistage au moyen de l’ASP52,53. Les auteurs de la révision ont fait l’objet de critiques de la part de l’Association canadienne d’urologie et de l’American Urological Association54,55. La vidéo d’Evans sur le dépistage par test de l’ASP56 présente une discussion intéressante des données probantes. Dans un commentaire sur la ligne directrice du GECSSP publié dans le JAMC, Krahn laisse entendre que le GECSSP n’a peut-être pas tenu compte des préférences du patient, des valeurs sociales et des coûts pour le système de santé, mais il conclut quand même qu’il n’y a pas assez de données probantes pour recommander un dépistage universel au moyen de la mesure de l’ASP57.
Dépistage du cancer du sein
Le dépistage par mammographie fait l’objet de controverse dans le groupe des femmes de 40 à 49 ans. Le GECSSP et l’USPSTF déconseillent le dépistage dans ce groupe d’âge58,59. L’Association canadienne des radiologistes60 et l’American College of Obstetricians and Gynecologists le recommandent61. Nous avons choisi de suivre les organisations ayant comme perspective les soins primaires58,59. Des outils se trouvent dans le site web du GECSSP pour aider à expliquer cette décision aux patientes62.
Le GECSSP recommande aussi aux médecins de ne pas procéder à un dépistage par examen physique et de ne pas promouvoir l’autoexamen chez les femmes asymptomatiques58. Le site web du GECSSP offre des renseignements utiles pour rassurer les patientes62,63, soulignant qu’il n’y a pas de preuve de bienfaits, mais qu’il y a des préjudices potentiels incluant, sans s’y limiter, l’ablation de tissus mammaires sains.
Dépistage du cancer du côlon
Au moment de notre révision, les dernières lignes directrices publiées par le GECSSP remontaient à 2001. Les recommandations mises à jour sont tirées de celles de l’USPSTF64 de 2008 et de celles de 2011 du Scottish Intercollegiate Guidelines Network65. À l’heure actuelle, les lignes directrices sur le dépistage du cancer ayant trait à l’âge, aux tests et à l’intervalle entre les dépistages varient selon la région au Canada34; toutefois, la plupart des recommandations préconisent la recherche de sang occulte dans les selles ou le test immunochimique fécal aux 2 ans pour les adultes de 50 à 75 ans34. L’exposé de position de 2010 publié par l’Association canadienne de gastroentérologie sur le dépistage du cancer du côlon fournit un examen des données probantes66. Il recommande un test immunochimique fécal ou une recherche de sang occulte dans les selles aux 2 ans ou encore une sigmoïdoscopie flexible aux 10 ans. La colonoscopie n’est pas recommandée en raison du manque de données probantes en sa faveur et des préjudices possibles, sans compter le manque de ressources au Canada66. On s’attend à ce que les lignes directrices sur le dépistage du cancer du côlon incluront des recommandations concernant l’alimentation et le mode de vie dans le guide établissant le profil de risque.
Dépistage de la dyslipidémie
Le GECSSP n’a pas révisé récemment ses lignes directrices sur le dépistage de la dyslipidémie. Le projet C-CHANGE (initiative d’harmonisation des lignes directrices nationales cardiovasculaires au Canada)67 est d’une grande utilité pour les médecins de soins primaires, parce qu’il fait concorder les recommandations de 8 organisations spécialisées. La plupart des lignes directrices harmonisées reposent sur GRADE ou une version modifiée de cette approche. Le projet C-CHANGE a récemment mis à jour ses lignes directrices harmonisées pour le dépistage des maladies cardiovasculaires et leurs facteurs de risque connexes19. C-CHANGE et la Société canadienne de cardiologie recommandent l’amorce du dépistage du profil lipidique à 40 ans chez les hommes et à 50 ans chez les femmes ou à leur ménopause19,32. Un dépistage plus tôt est recommandé chez les groupes à risque élevé comme les patients autochtones ou de l’Asie du Sud-Est. Un dépistage plus précoce est aussi préconisé pour les personnes présentant les facteurs de risque mentionnés au Tableau 114–43.
Contrôle du poids
En 2015, le GECSSP a publié ses premières lignes directrices concernant la prévention du gain de poids et la prise en charge des patients obèses ou ayant un surpoids27,68. Les recommandations portent sur la mesure de l’indice de masse corporelle (IMC) et l’offre d’interventions comportementales structurées ou de demandes de consultation en la matière pour les personnes dont l’IMC est supérieur à 25 kg/m2. La recommandation la plus forte touche les personnes dont l’IMC se situe entre 30 et 40 kg/m2 qui sont à risque élevé de diabète. Il est recommandé que les interventions durent plus de 12 mois, soient centrées sur la personne et comportent un régime alimentaire, de l’exercice et des modifications au mode de vie.
Conclusion
La recherche documentaire nous a permis de mettre à jour les recommandations publiées. La synthèse des recommandations au Tableau 1 permet un accès plus facile et efficace aux recommandations fondées sur des données probantes14–43. Une influence positive importante pourrait se produire sur la santé populationnelle en saisissant les possibilités de dépistage et de promotion de la santé autrement ratées, en évitant les test diagnostiques inutiles et en diminuant les appréhensions chez les patients exposés à l’incertitude et aux préjudices potentiels que peuvent causer des tests additionnels. Il est possible de réduire le fardeau des maladies chroniques pour les patients, de même que les dollars dépensés pour les soins de santé6.
Nous anticipons qu’en facilitant l’accès aux recommandations actuelles, la prestation d’interventions de prévention sera améliorée. Les sites web de l’USPSTF et du GECSSP portent sur l’information ici présentée, mais nous l’avons complétée en ajoutant des sources de données probantes pertinentes et utiles aux médecins de soins primaires canadiens. D’autres études de recherche sont nécessaires pour évaluer l’utilité et l’efficacité des outils de consignation des soins préventifs. Il faudra du soutien aux infrastructures pour développer et maintenir cet outil, parce qu’il faut des ressources considérables pour gérer les recherches documentaires, l’analyse des données probantes et la réalisation d’un consensus d’experts sur les conclusions finales.
Remerciements
Nous remercions la Dre Sharon Johnston de ses commentaires sur des versions antérieures de cet article.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
La consultation des nombreuses lignes directrices et recommandations différentes concernant les soins préventifs peut représenter un défi de taille pour les médecins de soins primaires. Les auteurs de la présente révision ont effectué une évaluation des meilleures données probantes sur la prévention et le dépistage chez les adultes canadiens et les ont résumées à l’intention des professionnels de première ligne.
Les éléments de l’anamnèse, du counseling, des investigations et des tests de dépistage sont résumés dans un tableau concis et présentés selon l’âge et le sexe. On y trouve les plus récentes recommandations pour le cancer du col, de la prostate et du côlon, de même que pour le dépistage de la dyslipidémie et le contrôle pondéral.
Des outils de consignation ont aussi été produits pour aider les médecins à documenter les visites consacrées à la prévention et celles où sont saisies des occasions de dépistage.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2016 issue on page 131.
↵* Les 6 outils de consignation sont accessibles à www.cfp.ca. Allez au texte intégral de l’article en ligne et cliquez sur CFPlus dans le menu du coin supérieur droit de la page.
Collaboratrices
Toutes les auteures ont contribué à la recherche et à l’analyse des documents, de même qu’à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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