Les médecins connaissent universellement le contrat social stipulant qu’en premier lieu, ils ne doivent pas causer de préjudices. Les examens, les traitements et les interventions inutiles nuisent aux patients comme il est si éloquemment démontré dans l’article intitulé « Rational test ordering in family medicine » dans le numéro de juin 2015 du Médecin de famille canadien1.
L’Institute of Medicine des États-Unis signale que 30 % des dépenses en santé relèvent du gaspillage et n’ont pas d’une valeur ajoutée dans les soins aux patients2. Il n’existe actuellement pas de statistiques définitives à ce sujet au Canada, mais les données probantes circonstancielles abondent pour faire valoir que ce problème est considérable. Par exemple, une étude en Saskatchewan a démontré que près de 50 % des ordonnances pour traiter des infections respiratoires chez des enfants d’âge préscolaire étaient inappropriées3. Une étude réalisée dans 2 hôpitaux d’enseignement en Alberta et en Ontario a révélé que 28 % des études d’imagerie par résonance magnétique de la colonne lombaire n’étaient pas justifiées et qu’une autre part de 27 % étaient d’utilité douteuse; que 9 % des imageries par résonance magnétique de la tête pour des céphalées n’étaient pas nécessaires et qu’une proportion additionnelle de 8 % étaient questionnables4. Selon une récente étude portant sur des patients devant subir une intervention chirurgicale à faible risque en Ontario, 31 % d’entre eux avaient fait l’objet d’examens préopératoires probablement inutiles5.
La campagne
Choisir avec soin Canada est une campagne pour inciter les médecins et les patients à entamer des conversations sur les examens, les traitements et les interventions inutiles, et les aider à faire des choix intelligents et judicieux afin d’assurer des soins de grande qualité6. Sur le plan international, le mouvement Choisir avec soin regroupe 18 pays qui ont comme objectif commun de réduire les préjudices causés aux patients7. Lorsque des médecins, des administrateurs et des représentants des patients de 12 de ces pays se sont rencontrés en 2014, ils ont conclu que divers facteurs contribuaient à la culture de l’utilisation abusive des soins médicaux. Parmi ces facteurs figuraient les attentes des patients, les craintes des médecins que des diagnostics possibles passent inaperçus, les préoccupations entourant les poursuites et les incitatifs financiers. Par conséquent, les participants ont convenu que le changement de la culture des soins de santé faisait partie de leurs grands objectifs8.
En tant que médecins, nous commençons habituellement des traitements plutôt que de les cesser. Par ailleurs, nous nous rendons de plus en plus compte des bienfaits que tirent les patients lorsque nous diminuons ou arrêtons des interventions (p. ex. recours aux benzodiazépines chez les aînés)9. Parce que nous avons besoin d’un « coup de pouce » à cet égard, toutes les recommandations de Choisir avec soin Canada portent sur ce que nous ne devrions pas faire.
Il est logique de penser que la réduction des activités inutiles dans le domaine de la santé diminuera les coûts pour le système. Cependant, tant au Canada qu’aux États-Unis, Choisir avec soin insiste sur la qualité des soins et les risques potentiels de préjudices pour les patients plutôt que sur les coûts. La recherche démontre que les expressions soins appropriés et évitement des préjudices interpellent davantage les patients que des mots comme viabilité ou ressources limitées8.
Recommandations des sociétés médicales
La campagne Choisir avec soin Canada a été lancée en avril 2014. Jusqu’à présent, 30 sociétés nationales de spécialités médicales ont présenté plus de 150 recommandations qui mettent en évidence la nécessité de mettre un terme à certaines pratiques dans leur domaine. Le Collège des médecins de famille du Canada et le forum sur les enjeux de la pratique générale et familiale de l’Association médicale canadienne ont proposé 11 recommandations concernant la médecine familiale10. Les sociétés des spécialités médicales ont élaboré leurs listes « d’examens et traitements sur lesquels les médecins et les patients devraient s’interroger » en se conformant aux directives suivantes :
Les sociétés sont libres de déterminer le processus utilisé pour dresser leurs listes.
Chaque élément de la liste doit relever du champ de pratique de la spécialité.
Les examens, les traitements ou les interventions doivent répondre aux critères suivants :
-utilisés fréquemment,
-susceptibles d’exposer les patients à des risques,
-susceptibles de contribuer à créer du stress et des coûts évitables pour les patients,
-à l’origine de pressions accrues sur notre système de santé.
Le processus d’élaboration doit être rigoureusement documenté et accessible au public sur demande.
Relation médecin-patient
Choisir avec soin Canada nous met au défi d’entamer des conversations potentiellement difficiles, de nous engager dans la complexité de la prise de décision partagée et de participer à des relations médecin-patient empreintes de maturité et de respect.
Des études ont démontré que nous avons parfois de la difficulté à refuser des examens inutiles sur le plan médical par comparaison à des traitements11. Dans une approche clinique centrée sur le patient, il est essentiel de découvrir réciproquement nos intentions et de trouver des terrains d’entente. La théorie relationnelle nous enseigne qu’une confiance sous-jacente est nécessaire pour être capables d’être en désaccord et de maintenir quand même la relation. En tant que médecins de famille, notre relation avec nos patients est bâtie sur la confiance et nous sommes donc très bien placés pour aborder l’usage abusif.
Responsabilité sociale
En plus de réduire les risques pour chaque patient individuel, bon nombre des recommandations de Choisir avec soin Canada visent à diminuer les préjudices pour la société. Les attentes envers les médecins sur le plan de la responsabilité sociale sont bien résumées dans le Code de déontologie de l’Association médicale canadienne12.
Huit des recommandations de Choisir avec soin Canada concernent la réduction du recours aux antibiotiques (recommandations 2 et 5 en médecine d’urgence, recommandation 2 en médecine familiale, recommandation 1 en gériatrie, recommandation 2 en médecine d’hôpital, recommandation 5 en pathologie, recommandation 5 en médecine du rachis et recommandation 4 en urologie). Mises en œuvre, ces recommandations apporteront de considérables bienfaits sociétaux en réduisant le développement de micro-organismes résistants. Un raccourcissement de la durée d’utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons (recommandation 1 en gastroentérologie) pourrait contribuer à réduire la possibilité de propagation du Clostridium difficile dans les établissements de santé. Quatre recommandations insistent sur l’arrêt ou l’évitement de prescrire des sédatifs hypnotiques aux personnes âgées pour réduire le risque d’accidents de la route (recommandation 2 en gériatrie, recommandation 3 en médecine d’hôpital et recommandations 9 et 13 en psychiatrie). Ne pas procéder à une transfusion chez des patients en se fondant sur des valeurs d’hémoglobine arbitraires apparaît 5 fois dans les recommandations (recommandation 5 en hématologie, recommandation 3 en médecine interne, recommandation 5 en soins palliatifs et recommandations 1 et 2 en médecine transfusionnelle). On assure ainsi la disponibilité de produits sanguins pour les personnes qui en ont un urgent besoin. Les caractéristiques démographiques et les attentes de la société canadienne dictent manifestement qu’il faut normaliser les conversations entourant la planification des soins en fin de vie. Trois recommandations de Choisir avec soin Canada portent sur cet urgent besoin sociétal (recommandation 5 en oncologie, et recommandations 1 et 2 en soins palliatifs)13.
Enfin, à la rencontre internationale en 2014 de Choisir avec soin, il a été conclu que la diminution des activités médicales inutiles diminuera également notre empreinte carbone et bénéficiera ainsi potentiellement à l’environnement sur le plan des changements climatiques14.
Conclusion
Ce numéro du Médecin de famille canadien présente le premier article d’une série sur Choisir avec soin Canada (page 233)15. Cette série portera sur chacune des 11 recommandations en médecine familiale, et l’un des articles traitera aussi des recommandations proposées par la Fédération des étudiants et des étudiantes en médecine du Canada.
La mise en œuvre de Choisir avec soin Canada en médecine familiale se fonde sur la prémisse voulant que les cliniciens compétents aspirent à fournir des soins sécuritaires, efficaces et éclairés par des données probantes, et que les potentiels effets importants et généralisés de cette campagne se feront sentir dans la confiance tranquille de la relation médecin-patient.
Le moment est venu d’intégrer ces recommandations dans le Centre de médecine de famille16.
Footnotes
This article is also in English on page 199.
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
Intérêts concurrents
Tous les auteurs sont membres de l’équipe pivot de Choisir avec soin Canada. Les auteurs n’ont aucun autre conflit à divulguer.
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