L’émergence rapide de l’Ebola en 2014 n’aurait pas dû nous prendre par surprise. Des infections comme le VIH et le SRAS nous ont enseigné que les pandémies mondiales sont une réalité de la vie au 21e siècle, parce que nous sommes tellement interconnectés. Dans le cas de l’Ebola, l’épicentre du virus était un petit village de la Guinée; de là, le virus a poursuivi son chemin à travers le Libéria et la Sierra Leone, puis vers quelques autres pays de l’Afrique occidentale et éventuellement les États-Unis et l’Europe. Le virus se propageait rapidement et causait une véritable crise humanitaire.
Les pays touchés par l’Ebola ont appelé en renfort la communauté internationale; toutefois, la réponse mondiale à ce désastre en Afrique fut, dans l’ensemble, « inadéquate »1. Des organisations comme Médecins Sans Frontières se sont rapidement rendues sur le terrain et ont fait de leur mieux pour assurer la surveillance dans les communautés, sensibiliser la population et protéger les établissements et les travailleurs de la santé1. Elles étaient débordées et avaient besoin d’autres soutiens pour contenir la maladie. Dans un document d’information de Médecins Sans Frontières en 2014 sur la réponse à l’Ebola, on expliquait qu’au lieu de l’intervention bien coordonnée, exhaustive et dotée de personnel compétent que demandait l’organisation depuis 90 jours, les efforts réels ont été apathiques, inégaux et dangereusement inférieurs aux attentes1.
Même si le nombre de cas d’Ebola a diminué, il est resté des noyaux de résistance du virus en Sierra Leone et en Guinée jusqu’à la fin de 2015. Durant des crises comme celles du virus Ebola et d’autres épidémies émergentes, comme celle du virus Zika, les médecins de famille ont un rôle vital à jouer dans l’atténuation des flambées de la maladie, même sur le plan international. Parce que les médecins de famille voient la maladie selon une perspective holistique, je crois que nous pouvons exercer un rôle de leadership. Ils peuvent promouvoir l’amélioration des systèmes de soins primaires et des conditions en Afrique et ailleurs, et assumer un rôle d’éducation dans la démystification de l’Ebola et d’autres maladies. Les médecins de famille peuvent aussi aider les décideurs et d’autres publics à comprendre l’importante des déterminants communautaires, culturels et sociaux de la santé.
Facteurs contributifs
Les conditions qui permettent la propagation rapide des maladies dans les pays en développement, notamment des systèmes de santé inadéquats et une situation médiocre sur le plan des déterminants sociaux de la santé, requièrent toujours l’attention mondiale. Comme le disait le Dr Paul Farmer, anthropologue médical et spécialiste en maladies infectieuses, la réalité est que la faiblesse des systèmes de santé, plutôt que la virulence sans précédent ou un mode de transmission auparavant inconnu, est à blâmer pour la rapide transmission de l’Ebola. La faute revient aussi aux faibles systèmes de santé pour les taux élevés de mortalité2.
Les échecs mondiaux à améliorer de telles conditions ont été brutalement exposés lors de cette épidémie et des milliers de personnes en ont payé de leur vie. Le Dr Larry Brilliant, qui a contribué à éradiquer la variole il y a environ 40 ans, a déclaré que les flambées étaient inévitables, mais les épidémies, optionnelles3.
Nous savons que les patients peuvent survivre à des maladies dans des systèmes de santé bien développés où soins et prévention vont de pair. En Afrique occidentale, les mauvais systèmes de santé et le manque de traitements de soutien ont fait en sorte que la mortalité due à l’Ebola a été très élevée. Ce ne sont pas seulement des patients qui ont succombé à la maladie, mais aussi des travailleurs de première ligne, y compris des professionnels de la santé. La situation a entraîné un climat de terreur au point où le personnel local craignait de s’occuper de ces patients et où les membres des familles avaient peur de se rendre dans les centres de santé. Les personnes souffrant de maladies comme la tuberculose et le paludisme étaient laissées sans soins parce qu’elles ne pouvaient pas se rendre dans les cliniques médicales ou encore elles étaient négligées parce que les présentations de ces maladies ressemblent à celles de l’Ebola.
Nous oublions que les systèmes de santé sont aussi des institutions sociales. S’ils ne fonctionnent pas bien, les systèmes sociaux s’effondrent. Une compréhension de ces facteurs nous dicte qu’en tant que médecins de famille, nous devons exercer un rôle holistique.
La terrible pauvreté dans les pays affectés par l’Ebola a joué un rôle considérable dans la propagation rapide du virus et le taux de mortalité élevé. En raison de la malnutrition et du manque d’hygiène, les personnes défavorisées avaient des systèmes immunitaires faibles et étaient vulnérables. Les pratiques culturelles entourant le traitement des cadavres ont exacerbé la transmission de la maladie parce que, par exemple, les familles lavent et préparent les corps.
Les taux élevés de mortalité associés à l’Ebola inspiraient la crainte chez bien des gens; la stigmatisation ne touchait pas seulement les patients atteints de l’Ebola et les travailleurs de la santé, mais aussi des pays entiers où se trouvaient des cas de la maladie. La situation a entraîné l’évitement et a empêché des soins appropriés et des modèles coopératifs de soins. Les maladies porteuses de stigmatisation ont des conséquences à long terme sur le rétablissement et la situation socioéconomique; une fois la maladie contenue, les pays sont laissés avec de nombreux patients en attente, qui souffrent d’autres maladies infectieuses. Malheureusement, l’hystérie et la peur ont historiquement été la réponse des humains aux pandémies. Même au cours des siècles passés, les maladies amenaient la stigmatisation, comme l’explique Cantor dans son livre au sujet de la peste4.
Encore une fois, les médecins de famille au Canada sont bien placés, d’un point de vue holistique, pour aider à éliminer la stigmatisation de la maladie en fournissant des renseignements exacts aux médias, aux patients et à la population en général.
Soins de santé équitables
La bioéthique entourant le choix entre ceux qui reçoivent un traitement et ceux qui n’en reçoivent pas est préoccupante. Lorsqu’il est question de financer la recherche sur des maladies qui prévalent dans les pays en développement, les compagnies pharmaceutiques hésitent à investir dans le développement d’un vaccin. L’écart de 10 pour 90 dans le financement de la recherche, selon lequel une part de 10 % de la recherche mondiale en santé est consacrée à des problèmes qui représentent 90 % du fardeau de la maladie dans le monde5, démontre la nécessité de réorienter les fonds en fonction des données probantes disponibles sur les maladies des pauvres dans le monde. Dans un monde interconnecté, ce problème nous affecte tous et nous pouvons prendre part à sa solution. Les médecins de famille jouent aussi un rôle de promoteurs de la santé à ce chapitre. Ceux qui font de la recherche doivent se questionner à propos des effets, de l’accès et de l’équité.
Cette réalité nous incite à travailler ensemble pour préconiser des soins de santé équitables partout dans le monde car, autrement, des pandémies plus nombreuses pourraient ravager des populations. Les compétences en promotion de la santé seront essentielles. Les médecins de famille ont de telles compétences, et nous avons la responsabilité de travailler en partenariats pour l’éducation en matière de sensibilisation et de promotion de la santé. Selon la Dre Carol Herbert, la promotion de la santé compte parmi les principaux rôles des médecins de famille6. Nous savons qu’en tant que médecins de famille, nous devons être politiquement engagés, surtout lorsque des maladies comme l’Ebola peuvent traverser l’océan. Je crois que ce fait nous a permis d’avoir des conversations plus significatives, et l’interconnexion du monde fait en sorte que nous comprenons mieux les épidémies mondiales de maladies. Comme le disait Herbert, les médecins de famille de l’avenir devront être plus politiques que ceux du passé6.
Les médecins de famille sont bien placés pour mobiliser nos décideurs afin qu’ils prennent des mesures à court terme pour fournir les soins cliniques et le matériel aux personnes sur le terrain et pour soutenir des investissements à long terme visant à renforcer les systèmes de santé publique.
Les dimensions sociales de la maladie
Le fait que nous ayons de solides partenaires locaux dans les pays touchés est l’un des facteurs dont nous devons tenir compte dans l’atténuation des flambées. Les institutions dans les pays plus pauvres et les pays en développement ont besoin d’une coopération et d’un soutien soutenus plutôt que d’une curiosité sporadique de la part des pays développés; il existe un besoin et des possibilités de développer les capacités en recherche. Les chercheurs et les gouvernements en Afrique, par exemple, sont en quête de mesures de prévention qui fonctionnent bien sur leur continent. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) de l’Afrique, dont la mise sur pied a été accélérée en raison de l’épidémie d’Ebola, devraient commencer leurs activités cette année. Les CDC africains seront imputables envers les Africains. Ils coordonneront la recherche dans toute l’Afrique et transigeront avec les menaces sérieuses à la santé publique7. Ils serviront aussi de guichet unique pour recueillir les données dans le but de renforcer la capacité des pays de prévenir les épidémies. Le fondateur de Microsoft Bill Gates, mécène de la santé mondiale, a qualifié l’organisation d’instigatrice du changement7. Les Canadiens pourront désormais travailler avec les CDC africains pour contribuer à atténuer les épidémies en Afrique.
Nous savons très bien que des médecins de famille canadiens s’impliquent dans la santé mondiale. Un document de travail publié en 2005 par le Collège des médecins de famille du Canada démontrait que les médecins de famille veulent exercer un rôle de leadership durant les périodes de pandémies8. La formation additionnelle de 6 mois que suivent certains médecins de famille les munit des compétences requises pour participer à des programmes de santé mondiale. Les médecins de famille sont réceptifs à l’idée de contribuer à la santé mondiale, qu’il s’agisse de travailler dans des pays en développement ou de s’occuper des réfugiés syriens nouvellement arrivés au Canada. Nous devons aussi féliciter pour leur héroïsme les médecins et le personnel militaire canadiens qui ont été déployés durant la crise humanitaire de l’Ebola. Selon mon expérience passée à travailler avec des médecins en médecine d’urgence en tant qu’immigrant au Canada et à apprendre le rôle que jouent des médecins canadiens lors de problèmes émergents en Afrique, je suis fortement convaincu que les médecins canadiens sont très intéressés à enseigner la santé mondiale, sont ouverts à apprendre à ce sujet et à y contribuer. Le Canada a accueilli de nombreux médecins provenant de pays en développement et cet accueil a permis de tisser des liens entre médecins et d’accroître la sensibilité culturelle grâce à des discussions sur des sujets comme les pratiques culturelles, la vaccination et d’autres problèmes de santé publique.
Il nous faut parfois faire preuve d’imagination en temps de crise et tourner le dos à la peur. Comme l’expliquait Herbert, nous devons étudier la prise de décision complexe, la prise de décision éthique, et établir de nouveaux partenariats pour la prestation des soins de santé6. Il faut comprendre la dimension sociale des maladies et la diplomatie de la santé. Il ne nous suffit pas de connaître seulement nos domaines techniques. Dans le contexte international de la santé, nous devons reconnaître les dimensions politiques, socioéconomiques, historiques et culturelles des interventions.
Autres lectures
Pour informer les professionnels des stratégies de prise en charge en Afrique subsaharienne, la Fédération africaine de la médecine d’urgence a publié un guide en 20139. Pour mieux connaître des façons de réduire la pauvreté dans les pays en développement, une publication par Soman et ses collègues en 201410 se révèle une excellente ressource tout comme des sites web comme www.afrigadget.com et www.appropedia.org.
Dans un livre publié en 2013 et intitulé No Time To Lose. A Life in Pursuit of Deadly Viruses, le Dr Peter Pilot, l’un des découvreurs du VIH en 1976 et leader dans la lutte contre ce virus, a documenté des leçons retenues des pandémies11. Lorsqu’il était aux prises avec le VIH, il avait un double slogan : faire en sorte que le VIH-sida soit considéré comme un problème mondial plutôt que limité à l’Afrique pauvre, et synchroniser sur le terrain la science, la politique et les programmes11. Pilot a démontré comment la mobilisation communautaire, la science et la promotion de la santé peuvent s’intégrer ensemble.
Conclusion
En raison de notre formation et des liens que nous établissons entre les facteurs socioéconomiques et culturels et les soins dispensés aux patients, nous, les médecins de famille, sommes bien placés pour contribuer notre leadership et bien comprendre les épidémies d’Ebola et d’autres maladies. Il est essentiel que nous nous mobilisions. Nous devons défendre plus efficacement les systèmes de santé dans les pays en développement. Il est nécessaire d’avoir un intérêt personnel éclairé dans ce monde interconnecté. Nous savons très bien que, dans des conditions d’iniquité endémique, tous les autres objectifs souhaitables sont difficiles à atteindre. C’est pourquoi l’équité sur le plan de la santé importe tant, de même que l’implication des médecins de famille. Si les soins de santé demeurent si grotesquement inéquitables, nous perdons aussi le sens de la fraternité. Agir ensemble mondialement dans un même but est source d’une énorme satisfaction; nous voyons maintenant qu’il y a moins de décès et de peur à cause de l’Ebola parce que les risques de sa propagation ont été contenus. Nous pouvons aussi contribuer à résoudre les problèmes éthiques en écoutant ceux qui sont les plus affectés. Les flambées d’Ebola et d’autres virus donnent aux Canadiens l’occasion de s’impliquer avec des collègues dans les pays touchés. De telles crises donnent la possibilité aux médecins de famille de réfléchir à l’interconnectivité du monde et de mieux définir le rôle du médecin de famille au 21e siècle.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2016 issue on page 203.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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