Les examens pelviens sont souvent effectués dans le cadre des bilans médicaux annuels afin de dépister les cancers, maladies inflammatoires pelviennes ou autres affections gynécologiques chez les femmes asymptomatiques1. L’examen pelvien consiste en l’inspection des organes génitaux externes; l’évaluation au spéculum du vagin et du col de l’utérus; la palpation bimanuelle de l’annexe, de l’utérus, des ovaires et de la vessie; et parfois un toucher rectal ou recto-vaginal2. L’examen pelvien se distingue du test de Papanicolaou, lequel permet de dépister les lésions précancéreuses ou cancéreuses sur le col3. Des lignes directrices sur le dépistage du cancer du col ont été formulées par le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP) et se trouvent à l’adresse www.canadiantaskforce.ca4.
Le GECSSP a reconnu le dépistage pelvien systématiques comme un sujet prioritaire dans le cadre du processus annuel de priorisation des sujets, où nous sollicitons l’avis des généralistes et d’autres intervenants (p. ex. médecins de famille, organismes de santé, chercheurs et membres du grand public). On reconnaît de plus en plus que l’adoption et l’adaptation de lignes directrices de grande qualité est une approche efficiente d’élaboration des lignes directrices; elle permet en effet d’économiser des ressources et d’éliminer les dédoublements d’efforts. Des méthodes telles qu’ADAPTE5 ont été mises au point pour faciliter ce processus de manière systématique et transparente.
En 2014, l’American College of Physicians (ACP) a publié des lignes directrices en matière d’examens pelviens pour dépister le cancer (autre que du col), les maladies inflammatoires pelviennes ou autres affections gynécologiques bénignes6. L’ACP s’est prononcé « contre les examens pelviens de dépistage chez les femmes asymptomatiques et non enceintes », en fonction des données probantes selon lesquelles les examens de dépistage nuisent plus qu’ils ne profitent aux femmes. Le GECSSP a eu recours à la méthode SNAP-IT (Smooth National Adaptation and Presentation of Guidelines to Improve Thrombosis Treatment7) pour déterminer si les lignes directrices de l’ACP étaient conformes aux normes du GECSSP et pouvaient être adaptées ou adoptées.
MÉTHODOLOGIE
La méthode SNAP-IT a été conçue par le groupe MAGIC (Making GRADE the Irresistible Choice), une initiative internationale qui cherche à améliorer l’élaboration et l’adoption des lignes directrices en fonction du système GRADE (classement des recommandations, appréciation, rédaction et évaluation)8. La méthode SNAP-IT incorpore les principales caractéristiques du processus ADAPTE; elle consiste en un processus en 5 étapes qui adapte les lignes directrices à l’aide du système GRADE. Les 5 étapes sont les suivantes : planification, appréciation initiale des recommandations, modifications, publication et évaluation7,9. La méthode SNAP-IT est conçue pour étudier 1 recommandation ou plus aux fins d’inclusion potentielle dans un énoncé de recommandations. Pour les besoins du présent document, le GECSSP n’a évalué qu’une seule recommandation portant sur l’examen pelvien de dépistage.
Aux fins des lignes directrices de l’ACP, l’examen pelvien était défini comme un examen bimanuel ou au spéculum, à l’exclusion du test Pap, pour le dépistage du cancer du col de l’utérus. Les lignes directrices se sont arrêtées aux femmes adultes non enceintes, asymptomatiques et présentant un risque moyen. L’ACP a eu recours à un système GRADE modifié (qui excluait la catégorie des données probantes de très faible qualité et comportait une catégorie de données probantes insuffisantes) pour classer la qualité des données probantes et la robustesse de l’énoncé de recommandation10.
Durant une étape préliminaire, 4 scientifiques de l’Agence de la santé publique du Canada ont évalué les lignes directrices à l’aide de la grille AGREE II (Grille d’évaluation de la qualité des recommandations pour la pratique clinique)11 afin de déterminer si la qualité des lignes directrices était suffisante pour poursuivre l’étude. Le GECSSP juge que les lignes directrices sont de grande qualité et admissibles à une étude plus poussée si elles obtiennent au moins 60 % aux domaines suivants de la grille AGREE II : portée et objectif, rigueur d’élaboration et indépendance éditoriale12. Les lignes directrices de l’ACP ont obtenu respectivement 97 %, 91 % et 88 % dans ces domaines.
Un groupe de travail du GECSSP a alors été formé. Les membres, dont 3 membres actuels du GECSSP, ont alors examiné les lignes directrices et la documentation à l’appui au moyen de la méthode SNAP-IT afin de déterminer si la recommandation pouvait être considérée aux fins d’adoption comme lignes directrices du GECSSP en matière de dépistage pelvien ou s’il fallait l’adapter au contexte local. Cela signifie que les membres du groupe de travail devaient déterminer s’ils jugeaient que les lignes directrices et les données probantes à l’appui étaient conformes aux normes du GECSSP.
Chaque membre du groupe travail a indépendamment rempli une grille standard d’évaluation de la recommandation de l’ACP afin d’évaluer si elle était conforme aux normes du GECSSP et, dans l’affirmative, si elle devait être adoptée ou adaptée. Les membres jugeaient si la recommandation pouvait être mise en pratique sans modifications (adoption) ou s’il fallait la modifier et si oui, de quelle façon et pour quelle raison (adaptation). L’adaptation pouvait prendre la forme de modifications visant à refléter le contexte local (en raison de populations, d’interventions, de comparateurs ou de résultats nouvellement cernés). En cas de désaccord avec une recommandation, la méthode SNAP-IT exige la documentation explicite des éléments de la recommandation et les données probantes étayant le désaccord. En plus d’exclure la recommandation de l’étude, les réviseurs peuvent proposer une recommandation de rechange. Les détails du processus d’adaptation figurent dans l’Encadré 17.
Étapes du processus SNAP-IT
1re étape : Planification (1 mois)
Former le comité éditorial : le groupe de travail du GECSSP a été formé conformément au processus en vigueur au GECSSP
Définir le processus de consensus et de leadership : les processus en vigueur au GECSSP ont été suivis
Sélectionner les sujets généraux aux fins d’adaptation : le processus de priorisation des sujets du GECSSP a placé l’examen pelvien systématique au 8e rang sur la liste de 10 priorités en 2014, et au 4e rang sur la liste de 10 priorités du Collège des médecins de famille du Canada
Rechercher et relever les lignes directrices principales actuelles et fiables : une recherche de lignes directrices sur l’examen pelvien de dépistage a été effectuée sur les sites suivants : Guidelines International Network, NICE, National Guideline Clearinghouse, US Preventive Services Task Force et Infobanque de l’AMC. Cinq lignes directrices ont été relevées; cependant, seules les lignes directrices de l’ACP traitaient du rôle de l’examen pelvien, le sujet qui nous intéressait
Présélectionner les lignes directrices de l’ACP : les lignes directrices de l’ACP ont été présélectionnées en fonction des critères du GECSSP (les lignes directrices doivent reposer sur une révision systématique des données probantes, et la revue doit être facilement accessible, utiliser un système de notation des données probantes (préférablement GRADE), compter au moins 1 médecin de famille dans la liste des auteurs, se concentrer sur un auditoire en soins primaires et être élaborée par un groupe non spécialisé*
Évaluer l’admissibilité à une étude plus poussée : les lignes directrices de l’ACP ont été évaluées à l’aide de la grille AGREE II par 4 réviseurs afin de veiller à ce qu’elles répondent aux critères de grande qualité*
Conclure un contrat de licence avec les personnes ayant élaboré les lignes directrices aux fins d’adoption ou d’adaptation.
2e étape : Évaluation initiale des recommandations (3 mois)
Enregistrer les conflits d’intérêts financiers et intellectuels conformément aux processus en vigueur au GECSSP : la liste complète des divulgations se trouve à www.canadiantaskforce.ca/about-us/competing-interests
Évaluer les recommandations : les membres du groupe de travail évaluent les recommandations aux fins de modification, d’exclusion ou d’élaboration de recommandations de novo conformément à la méthode SNAP-IT; 2 membres du groupe de travail sur 5 ont souligné qu’il faudrait peut-être changer la qualité des données (de modérée à faible). Après discussion, le groupe a convenu que la donnée jugée modérée était appropriée. Le groupe de travail a décidé d’adopter les lignes directrices sans les modifier.
3e étape : Modifications (1 mois)
Effectuer une recherche systématique des nouvelles publications scientifiques : la recherche a relevé 52 citations uniques; aucune ne répondait aux critères d’inclusion établis pour les lignes directrices ni ne fournissait des données additionnelles sur l’efficacité du dépistage par examen pelvien ou sur ses propriétés diagnostiques liées aux résultats qui nous intéressaient
Rédiger des recommandations préliminaires
Revoir et obtenir l’approbation par le GECSSP
Soumettre la version finale aux fins de revue par les pairs
4e étape : Publication
5e étape : Évaluation et planification pour l’avenir
En plus d’avoir utilisé la méthode SNAP-IT pour évaluer si les lignes directrices de l’ACP étaient compatibles avec les normes du GECSSP, nous avons actualisé les recherches effectuées par l’ACP dans les banques de données aux fins de la revue systématique ayant servi à élaborer les lignes directrices. Cela a été fait dans le but de déterminer si de nouvelles données probantes justifiant un nouvel examen de la recommandation avaient été publiées depuis l’élaboration des lignes directrices de l’ACP. La recherche a été actualisée avec la même stratégie de recherche que celle utilisée dans la révision originale2 à compter de la dernière recherche de l’ACP du 1er janvier 2014 jusqu’au 15 mai 2015.
RECOMMANDATIONS
Tous les membres du groupe de travail, et subséquemment le GECSSP, ont adopté à l’unanimité la recommandation sans y apporter de modifications et le classement des données probantes par l’ACP était conforme avec celui qu’utilise le GECSSP pour ses lignes directrices.
Ainsi, le GECSSP a adopté la recommandation de l’ACP6 s’inscrivant contre l’examen pelvien de dépistage chez les femmes adultes asymptomatiques non enceintes (Encadré 2).
Résumé de la recommandation
Les recommandations sont présentées pour l’examen pelvien de dépistage (examen bimanuel ou au spéculum) chez les femmes asymptomatiques. Les femmes enceintes sont exclues de cette recommandation.
Le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs recommande de ne pas effectuer d’examen pelvien de dépistage pour les cancers non cervicaux, les maladies inflammatoires pelviennes ou les affections gynécologiques.
Il s’agit d’une forte recommandation reposant sur des données probantes de qualité modérée.
Résumé des données
Les lignes directrices de l’ACP reposaient sur une revue des données probantes effectuée par le Department of Veteran Affairs2, laquelle avait examiné les publications sur l’exactitude, les bienfaits et les effets néfastes des examens pelviens de dépistage. Les bienfaits potentiels évalués du dépistage comprenaient une baisse de la mortalité et de la morbidité. Les effets néfastes évalués étaient notamment le surdiagnostic, le surtraitement ou d’autres effets néfastes liés aux interventions diagnostiques. Les données sont résumées dans l’Encadré 32,6,13–32.
Résumé des données probantes
Comme l’énoncé de recommandations de l’ACP6 l’indique, des données probantes de grande qualité tirées de 3 études de cohorte prospectives13–15 (plus de détails sur la notation GRADE des données probantes se trouvent à www.gradeworkinggroup.org) ont révélé que la précision diagnostique de l’examen pelvien de dépistage était faible pour dépister le cancer des ovaires (valeur prédictive positive < 4 %) chez les femmes asymptomatiques. L’essai Prostate Lung Colorectal and Ovarian Cancer Trial a inclus le dépistage pelvien pendant les 5 premières années de l’essai, mais lorsque cette intervention n’a dépisté aucun cancer, l’essai a abandonné le dépistage pelvien16. La recherche n’a relevé aucune étude s’étant penchée sur les propriétés diagnostiques pour dépister d’autres types de cancers, des maladies inflammatoires pelviennes ou d’autres affections bénignes2,17 chez les femmes asymptomatiques
La recherche n’a relevé aucune étude s’étant penchée sur les bienfaits du dépistage pelvien sur la mortalité ou la morbidité pour réduire le risque de cancer des ovaires, d’autres cancers, de maladies inflammatoires pelviennes ou d’autres affections gynécologiques bénignes2,17.
Des données probantes de faible qualité sur les effets néfastes, fondées sur 14 sondages18–31 et 1 étude de cohorte32 portaient sur l’expérience des femmes avec l’examen pelvien. Environ le tiers des femmes (médiane 34 %) ont signalé la peur, la gêne ou l’anxiété liées à l’examen pelvien, et 35 % ont rapporté douleur et inconfort2,16. Celles qui ont ressenti de la douleur avaient moins tendance à se présenter pour une visite ultérieure2,17. Aucune étude n’a rapporté les effets néfastes liés au faux sentiment de sécurité, au surdiagnostic ou au surtraitement, ni les effets néfastes liés aux interventions diagnostiques. Toutefois, 1 étude de cohorte prospective de grande qualité15 a révélé qu’à la suite des interventions découlant de l’examen pelvien de dépistage, 1,5 % des femmes ont subi une chirurgie non nécessaire (ouverte ou par laparoscopie)2.
L’actualisation de la recherche de l’ACP dans les banques de données a relevé 52 citations uniques, y compris les lignes directrices de l’ACP et la révision systématique justificative. Aucune étude n’a fourni de renseignements additionnels sur l’efficacité de l’examen pelvien de dépistage sur les résultats qui nous intéressaient ou sur les propriétés diagnostiques.
L’ACP a émis une forte recommandation fondée sur son jugement selon lequel les effets néfastes probables des examens pelviens de routine l’emportent sur les bienfaits6. Vu l’absence de données probantes quant aux bienfaits et aux effets néfastes potentiels, le GECSSP convient que la recommandation devrait inclure une forte recommandation contre les examens pelviens de dépistage. Cela signifie que nous recommandons que les fournisseurs de soins n’offrent pas ce service aux femmes asymptomatiques. Comme l’a fait la recommandation de l’ACP, l’adoption de ces lignes directrices n’a pas tenu compte des préférences ni des valeurs des patientes, de même que des ressources utilisées.
Considérations cliniques
Quoique le dépistage chez les femmes asymptomatiques ne soit pas recommandé, l’examen pelvien est approprié dans d’autres situations cliniques, telles que le diagnostic d’affections gynécologiques lorsque les femmes manifestent des symptômes ou le suivi d’une affection diagnostiquée antérieurement.
Conclusion
Le GECSSP adopte la recommandation en matière d’examen pelvien de dépistage, comme publiée par l’ACP en 20146.
Remerciements
Nous tenons à remercier Amir Qaseem et l’American College of Physicians pour l’élaboration des lignes directrices originales, Annette Kristiansen (SNAP-IT) et Trevor Arnason (résident en santé publique, Agence de la santé publique du Canada).
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
On reconnaît de plus en plus que l’adoption ou l’adaptation de lignes directrices de grande qualité est une approche efficiente d’élaboration des lignes directrices; elle permet en effet d’économiser des ressources et d’éliminer les dédoublements d’efforts. Diverses méthodes ont été mises au point pour faciliter ce processus de manière systématique et transparente.
Suivant l’évaluation des lignes directrices de 2014 de l’American College of Physicians en matière d’examens pelviens de dépistage systématiques le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs a opté en faveur de l’adoption des recommandations émises par l’American College of Physicians.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
La liste complète des membres du groupe de travail se trouve à http://canadiantaskforce.ca/about-us/members/?lang=fr-CA.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2016 issue on page 211.
Indépendance éditoriale
Bien que le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs soit financé par l’Agence de la santé publique du Canada, le point de vue de l’organisme de financement n’a pas influencé le contenu des lignes directrices; les intérêts concurrents ont été notés et des mesures ont été prises à leur égard.
Intérêts concurrents
Aucun des membres du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs n’a de conflits d’intérêts pertinents à divulguer. Les divulgations complètes se trouvent à http://canadiantaskforce.ca/about-us/competing-interests/.
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