En tant que prescripteurs, nous aspirons à choisir les meilleurs médicaments pour chacun de nos patients. Par ailleurs, nos habitudes d’ordonnance ont une incidence sur le plan national et pourraient contribuer à augmenter les coûts des soins de santé.
Au Canada, les dépenses en santé constituent l’un des plus grands secteurs de dépenses publiques et privées, et représentaient en 2014 environ 214 milliards $ et plus de 11 % du produit intérieur brut du pays1. Parmi les dépenses en santé, les médicaments d’ordonnance, qui coûtent annuellement 29,3 milliards $ selon les estimations, arrivent au troisième rang1. En dépit des nombreux médicaments communs dont le brevet est venu à expiration au cours des dernières années, les dépenses annuelles demeurent élevées.
Les dépenses en produits pharmaceutiques ont des répercussions considérables sur les personnes au chapitre des impôts et des dépenses à même leur portefeuille. Les Canadiens ont dépensé 7 milliards $ de leur poche en produits pharmaceutiques d’ordonnance en 20131. Ces coûts créent des obstacles majeurs dans les soins aux patients, 5 % des Canadiens ne se conformant pas aux ordonnances en raison des coûts2. Deux tiers de ces patients ne signalent pas que le coût sera un facteur limitatif au moment de la prescription et plus du tiers des patients ne discutent jamais de ce problème avec leur médecin, même plus tard3. Les coûts des médicaments d’ordonnance sont non seulement un obstacle dans les soins aux patients, mais ils posent aussi des risques à la viabilité de notre système de santé4.
Il existe de nombreux guides sur la rationalisation des prescriptions5,6. L’approche présentée ici est un recoupement des grands principes de nombreuses méthodes de prescription. Le cadre de la prescription fondée sur l’efficacité, la toxicité, le coût et la commodité n’est pas nouveau et a fait l’objet de discussions dans diverses publications scientifiques7–9. L’Encadré 1 présente ce modèle rationnel de prescription. Il ne faudrait pas accorder la même importance à ces 4 principes. Si un médicament n’est pas efficace, les 3 autres principes auront probablement peu d’importance. Habituellement, si les médicaments sont efficaces, comme le démontrent des paramètres cliniquement pertinents (réductions dans la mortalité avant la morbidité et réductions dans la morbidité avant le soulagement des symptômes, de même que l’ampleur des effets, les données probantes de plus grande qualité et le délai avant les bienfaits), la toxicité peut alors être ensuite contrebalancée par une analyse avantagesrisques. L’analyse de la toxicité devrait aussi examiner les résultats pertinents, l’ampleur des effets, la qualité des données probantes et le délai avant la nocivité. Enfin, le coût et la commodité devraient être pris en compte pour améliorer la conformité et minimiser les coûts globaux.
Modèle rationnel de prescription
Un modèle rationnel de prescription tient compte de l’efficacité, de la toxicité, du coût et de la commodité dans le choix du médicament approprié.
Efficacité. Il est primordial de prioriser par ordre d’importance les résultats sur le plan de l’efficacité : la mortalité, puis la morbidité et ensuite les marqueurs de substitution (qui doivent être évalués en fonction de leur pertinence clinique), puis le soulagement des symptômes. L’ampleur absolue de l’effet et la qualité des données probantes étayant ces affirmations doivent également être prises en compte, au même titre.
Toxicité. Il importe de prioriser par ordre d’importance les risques de toxicité : la mortalité, puis la morbidité et ensuite les symptômes désagréables. Les paramètres temporels revêtent de l’importance à cet égard, puisque les principales données sur la sécurité sont recueillies durant les études de surveillance ultérieures à la mise en marché (phase IV) plutôt que pendant les essais précliniques.
Coût. Le financement des soins de santé se fait à même les impôts prélevés ou les primes d’assurance, quel que soit le payeur final. Des coûts plus élevés peuvent entraîner des gaspillages de ressources ou, pire encore, la non-conformité au traitement par le patient.
Commodité. Les différences à cet égard peuvent inclure le mode d’administration, la fréquence et la chronologie des doses. Les exigences en matière de surveillance du médicament, le potentiel d’interactions médicamenteuses et le milieu où le médicament doit être administré jouent aussi des rôles importants dans la conformité du patient aux schémas posologiques prescrits.
Dans une comparaison des médicaments d’une même classe, l’efficacité, la toxicité et la commodité sont souvent équivalents. Les médecins doivent se fier à des coûts comparatifs lorsqu’ils prennent une décision rationnelle de prescription, un domaine dans lequel ils ont très peu de formation et peu de ressources accessibles. Un sondage en 2004 a révélé que peu de médecins étaient capables d’estimer les coûts des médicaments courants10, qu’ils tendaient à surestimer les coûts des médicaments abordables et à sous-estimer ceux des médicaments plus chers11. Même si la plupart des médecins croient qu’il est important de tenir compte des coûts quand ils prescrivent des médicaments, peu d’entre eux ont les connaissances ou un accès aux ressources nécessaires pour ce faire12. Quand on leur donne des renseignements appropriés, les médecins utilisent efficacement le facteur coût dans leurs ordonnances et choisissent de prescrire les médicaments moins coûteux quand ils sont disponibles13.
Le présent article a pour but de démontrer les économies d’argent potentielles si les prescriptions se fondaient sur les coûts lorsque l’efficacité, la toxicité et la commodité sont équivalentes.
MÉTHODES
Sélection des classes
Les classes de médicaments incluses dans cette étude ont été choisies à partir des 10 classes à l’origine des dépenses nationales les plus élevées selon l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS)1. Les classes étaient exclues si elles ne comptaient qu’un seul médicament disponible, si les médicaments intraclasses avaient des indications différentes ou si l’hétérogénéité de la fréquence des doses empêchait la comparaison.
Évaluation de l’équivalence dans une même classe
À la suite du choix des classes, une recherche documentaire a été effectuée au moyen de PubMed et de Google Scholar pour trouver des révisions systématiques ou des méta-analyses qui comparaient les résultats cliniques de tous les médicaments dans la classe. Lorsque seules des données sur un marqueur de substitution étaient trouvées, elles étaient prises en note mais n’ont pas servi à déterminer la supériorité. De plus, nous avons obtenu les guides canadiens de pratique clinique pour trouver les indications thérapeutiques des classes de médicaments étudiées afin de déterminer s’il y avait dans ces guides une équivalence implicite dans la classe. Une équivalence implicite existait s’il y avait un tableau d’équivalence des doses ou si la classe de médicaments était mentionnée simplement en tant qu’unité plutôt qu’individuellement, par médicament.
Collecte des données sur les prescriptions
Pour chaque médicament inclus dans l’étude, les données sur les dépenses annuelles ont été obtenues du Système national d’information sur l’utilisation des médicaments prescrits (SNIUMP), une base de données publique sur les ordonnances maintenue par l’ICIS. Ces données étaient limitées aux réclamations faites aux programmes publics de médicaments en Alberta, en Colombie-Britannique, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, en Ontario, à l’Île-du-Prince-Édouard et en Saskatchewan. Pour estimer les données combinées sur les prescriptions de sources privées et publiques, un ratio approprié entre les 2 a été établi en se fondant sur les renseignements dans Rx Atlas, une publication du Centre for Health Services and Policy Research de l’Université de la Colombie-Britannique14. L’information contenue dans Rx Atlas est dérivée d’une combinaison de données provenant de l’ICIS, de Statistique Canada et d’IMS Brogan14.
Analyse des économies de coûts
Les dépenses annuelles totales actuelles ont été calculées comme étant la somme des données du SNIUMP de 2013 pour les classes étudiées, représentant le montant total des dépenses pour les programmes publics de médicaments. Une extrapolation a ensuite été faite à partir du résultat des programmes publics pour obtenir un total combiné à l’échelle nationale.
Les dépenses annuelles selon le modèle rationnel ont été calculées en se fondant sur les données concernant l’efficacité et la tolérabilité tirées de la recherche documentaire sur les classes étudiées. Une constante de « non-changement » a été déterminée pour chaque classe et définie comme étant le pourcentage de personnes qui toléreraient probablement le médicament le moins cher et en obtiendraient des effets cliniques. Les parts du marché ont été calculées en allant du médicament le moins cher à celui le plus coûteux à l’aide de la constante de non-changement. Le médicament le moins cher recevait une part du marché de x % (où le x désigne la constante de non-changement), le prochain médicament le moins coûteux recevait x % du reste du marché et ainsi de suite. Lorsque la constante était suffisamment basse, des réclamations additionnelles étaient ajoutées au médicament le plus cher. Même si nous ne nous attendrions pas, dans le monde réel, qu’une cascade complète de bas en haut se fasse dans une classe donnée, nous avons procédé ainsi dans cette étude pour obtenir une estimation conservatrice des économies potentielles.
Le Comité d’éthique de la recherche de Soins continus Bruyère à Ottawa, en Ontario, a donné son approbation à cette étude.
RÉSULTATS
Sélection des classes
La liste des 10 principales classes de médicaments sur le plan des dépenses publiques totales en 2012 se trouve au Tableau 1, de même que les critères d’exclusion dans chaque classe, le cas échéant1. Selon ces critères, les classes incluses dans cette étude sont les suivantes : les inhibiteurs de la 3-hydroxy-3-méthylglutaryl-coenzyme A réductase (statines), les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) et les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS).
Processus de sélection des classes
Évaluation de l’équivalence dans une même classe
Statines
La recherche documentaire a permis de trouver de nombreuses comparaisons directes des statines, comparant des marqueurs de substitution comme les valeurs de lipoprotéines à haute densité, la protéinurie et les événements indésirables15–17. Toutefois, en dépit des différences dans les marqueurs substitutifs, les données probantes demeurent insuffisantes pour établir la supériorité d’une statine sur le plan des résultats cardiovasculaires, incluant la mortalité, les infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux18. Les événements indésirables et la tolérabilité sont équivalents d’une statine à l’autre et dépendent des doses. La posologie recommandée pour toutes les statines est d’une dose par jour par voie orale et toutes s’équivalent donc sur le plan de la commodité. Selon les conclusions d’une révision de la classe des statines auxquelles en est venu le projet d’examen de l’efficacité des médicaments de l’Oregon Health & Science University, les statines sont équivalentes lorsque des doses équipotentes sont utilisées19. Le plus récent guide canadien de pratique clinique de 2014 portant sur les statines, C-CHANGE (Canadian Cardiovascular Harmonization of National Guidelines Endeavour), ne fait aucune distinction entre les statines et présente simplement une recommandation portant sur l’ensemble de la classe20. Par conséquent, les données probantes disponibles étayent une équivalence au sein de la classe des statines sur les plans de l’efficacité, de la toxicité et de la commodité.
Inhibiteurs de la pompe à protons
La recherche documentaire n’a produit que quelques révisions comparatives. Selon une méta-analyse, l’ésoméprazole et d’autres IPP ont eu une efficacité semblable pour éradiquer l’Helicobacter pylori21. Pour le traitement de l’œsophagite érosive, une comparaison des antagonistes de l’histamine-2 (H2) et des IPP a fait valoir la supériorité des IPP par rapport aux antagonistes de l’H2, mais une équivalence parmi la classe des IPP22. De plus, de nombreuses comparaisons directes des IPP dans des études individuelles ont été effectuées, mais toutes ont des conclusions contradictoires23–26. En général, les IPP sont très bien tolérés et le taux de discontinuation pour changer d’une classe à l’autre se situe à environ 1 %27. La posologie est généralement d’une seule dose par jour par voie orale, quoiqu’une dose de 2 fois par jour soit possible dans cette même classe. Une foire aux questions cliniques par PubMed sur les IPP conclut qu’ils sont équivalents28. Deux guides canadiens de pratique clinique portant sur le reflux œsophagien et l’éradication de l’H Pylori ont été identifiés. Dans le guide sur le reflux œsophagien, tous les IPP étaient mentionnés comme options thérapeutiques et aucune distinction n’était faite entre eux29. Dans les lignes directrices sur l’H Pylori, il n’y avait pas de distinction entre les IPP et la recommandation portait sur l’ensemble de la classe30. Par conséquent, les données probantes disponibles étayent une équivalence au sein de la classe des IPP sur les plans de l’efficacité, de la toxicité et de la commodité.
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine
La recherche documentaire a fait ressortir de nombreuses révisions systématiques et méta-analyses, chacune examinant des utilisations dans des cas spécifiques. Toutefois, la majorité des études concluaient qu’il y avait une équivalence au sein de la classe dans le traitement à la suite d’un infarctus du myocarde31 et de l’insuffisance cardiaque congestive32. Les événements indésirables importants et les taux de cessation sont semblables pour tous les IECA33. En général, les IECA sont prescrits en posologie d’une seule dose par jour par voie orale; cependant, le captopril exige 3 doses par jour en raison de sa courte demi-vie. Dans une foire aux questions cliniques par PubMed, on n’a trouvé aucune donnée probante à l’appui de différences intraclasses34. Les plus récents guides canadiens de pratique clinique, notamment les lignes directrices de 2014 du Programme éducatif canadien sur l’hypertension, les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie pour les cardiopathies ischémiques stables (2014) et l’insuffisance cardiaque (2012) et le guide de pratique clinique de 2008 de la Société canadienne de néphrologie pour la néphropathie chronique, ne font pas de distinction entre les IECA, quelle qu’en soit l’utilisation, et mentionnent la classe dans son ensemble35–38. Par conséquent, les données probantes disponibles étayent une équivalence au sein de la classe des IECA sur les plans de l’efficacité, de la toxicité et de la commodité, sauf pour le captopril en raison de sa moins grande commodité.
Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine
La recherche documentaire a cerné un petit nombre de révisions systématiques de la classe, de même que de nombreuses méta-analyses comparant l’escitalopram à d’autres ISRS. La recherche disponible soutient l’existence d’un léger bienfait procuré par l’escitalopram dans les marqueurs de substitution, y compris des différences de pertinence clinique minimale dans les scores sur l’échelle de dépression39. Toutefois, nous n’avons pas pu identifier de recherche à l’appui de différences dans la mortalité, les hospitalisations, les pertes d’emploi ou les taux de suicides ou de tentatives. Les différences dans les effets indésirables potentiels accusent des écarts de seulement quelques points de pourcentage, qui n’ont pas beaucoup de signification dans le monde réel et ne présentent pas beaucoup de motifs pour en choisir un plutôt qu’un autre. Une révision systématique et une méta-analyse sur les ISRS ont révélé une efficacité semblable dans le traitement des troubles majeurs de dépression, mais n’ont pas été en mesure de tirer des conclusions concernant les autres troubles de l’humeur ou de l’anxiété, faute de recherche disponible40. Nous avons identifié des guides canadiens de pratique clinique pour la dépression et les troubles de l’anxiété. Les lignes directrices sur la dépression considéraient tous les ISRS comme thérapie de première intention41. Le guide sur l’anxiété recommandait différents ISRS selon le trouble spécifique en cause. Par ailleurs, la majorité des différences mentionnées entre les thérapies de première, deuxième et troisième intentions se fondaient, et de loin, sur les médicaments qui avaient été précisément étudiés pour l’indication et non pas sur une supériorité éprouvée42. Chaque ISRS comporte bel et bien des différences sur le plan de la spécificité du récepteur et du profil pharmacocinétique, ce qui pourrait influencer les taux de tolérabilité de chaque personne. Par contre, les moyennes de la tolérabilité dans la population n’ont pas beaucoup de différences pertinentes sur le plan clinique. Généralement, les ISRS sont prescrits selon une posologie d’une seule dose par jour, ce qui élimine toute différence sur le plan de la commodité. Par conséquent, bien que les propriétés pharmacocinétiques des ISRS pourraient entraîner des profils d’événements indésirables différents, les données probantes disponibles étayent une équivalence au sein de la classe des ISRS sur les plans de l’efficacité, de la toxicité et de la commodité.
Données sur les prescriptions et les dépenses
Pour chaque médicament dans les 4 classes incluses dans cette étude, nous avons obtenu les quantités de prescriptions et les statistiques sur les dépenses des programmes publics de médicaments par l’intermédiaire du SNIUMP. Les Tableaux 2, 3, 4 et 5 donnent un résumé des statistiques sur les prescriptions totales et les dépenses en 2013, respectivement pour les statines, les IPP, les IECA et les ISRS.
Données sur les dépenses actuelles en statines
Données sur les dépenses actuelles en inhibiteurs de la pompe à protons
Données sur les dépenses actuelles en inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine
Données sur les dépenses actuelles en inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine
Les Figures 1, 2, 3 et 4 montrent le coût moyen par prescription de statines, d’IPP, d’IECA et d’ISRS respectivement. Même si les prix varient légèrement d’une province à l’autre, le prix moyen par réclamation au Canada a démontré que les médicaments les moins chers dans chaque classe sont, respectivement, la rosuvastatine, le rabéprazole, le ramipril et le citalopram.
Prix moyen par réclamation pour les statines en $
Prix moyen par réclamation pour les inhibiteurs de la pompe à protons en $
Prix moyen par réclamation pour les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine
Prix moyen par réclamation pour les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine
Analyse des économies de coûts
Les dépenses totales actuelles pour les 4 classes à l’étude dans les programmes publics de médicaments s’élevaient à 856 millions $. Pour estimer les dépenses totales à l’échelle du Canada, de sources tant publiques que privées, les totaux dans chaque classe ont été corrigés en fonction des données publiées pour la portion publique par rapport à celle du privé. En ce qui a trait aux statines, aux IPP, aux IECA et aux ISRS, les portions totales financées par le secteur public se situaient respectivement à 47, 43, 50 et 35 %14. Le calcul qui s’est ensuivi a produit des dépenses annuelles totales combinées de 1,97 milliard $.
Le calcul des dépenses annuelles selon un modèle rationnel exigeait de déterminer la proportion de patients qui, une fois qu’on leur eût prescrit leur premier médicament, n’étaient pas susceptibles de changer pour un autre médicament de la même classe. Il a été présumé que les patients changeraient principalement de médicament intraclasse en fonction de la tolérabilité, pour les statines et les IECA, et en raison de l’efficacité, pour les ISRS et les IPP. Le Tableau 6 résume les données sur la tolérabilité et l’efficacité trouvées pour chaque classe, ainsi que sur le médicament le moins cher dans sa classe33,43–47. Des constantes conservatrices de non-changement ont été choisies et établies, respectivement à 94, 80, 92 et 60 %, pour les statines, les IPP, les IECA et les ISRS. Les parts de marché estimées ont été calculées à l’aide de ces constantes et ont été comparées aux habitudes actuelles de prescription dans les Tableaux 7, 8, 9 et 10.
Détermination de la constante de « non-changement » : La constante de non-changement était la proportion de patients qui, après la prescription de leur premier médicament, n’étaient pas susceptibles de changer pour un autre médicament de la même classe.
Volume de prescriptions et parts de marché pour les statines
Volume de prescriptions et parts de marché pour les inhibiteurs de la pompe à protons
Volume de prescriptions et parts de marché pour les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine
Volume de prescriptions et parts de marché pour les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine
En se fondant sur ces valeurs, les dépenses annuelles selon un modèle rationnel ont été calculées et établies à 634 millions $ en dépenses publiques et à 1,45 milliard $ en dépenses combinées. Le modèle rationnel représenterait des économies annuelles de coûts potentielles de 222 millions $ et de 521 millions $ en dépenses combinées. Ces constatations sont résumées dans les Tableaux 11 et 12.
Dépenses totales par le régime public
Dépenses totales combinées
DISCUSSION
Cette étude a fait valoir que même si seulement 4 classes de médicaments étaient examinées, les économies annuelles estimées se situaient à 521 millions $. Les calculs étaient limités par la nécessité d’estimer la part exacte entre le public et le privé et une part de marché future raisonnable en fonction des données sur l’efficacité et la tolérabilité, mais il est improbable que les 521 millions $ d’économies soient une surestimation. De fait, il pourrait s’agir d’une importante sous-estimation. Les dépenses annuelles pour les médicaments les plus coûteux, souvent ceux encore protégés par un brevet, pourraient être grandement sous-représentées dans la base de données du SNIUMP parce qu’ils ne sont pas couverts dans certains formulaires provinciaux.
En réalité, la plupart des économies potentielles cernées dans cette étude peuvent être attribuées à l’arrêt de prescrire ces nouveaux médicaments coûteux. Des 521 millions $ en économies annuelles, 403 millions $, ou 78 % des économies totales, sont le résultat direct de moins grandes quantités d’ordonnances d’escitalopram, d’ésoméprazole et de périndopril. De plus, selon une publication de Rx Atlas en 2013, les dépenses publiques et privées pour ces 3 médicaments excèdent largement les données combinées estimées dans cette étude. Alors que dans cette étude, on estime que les dépenses annuelles totales pour ces médicaments se situent à 403 millions $, elles pourraient être aussi élevées que 850 millions $, plus du double de notre estimation14. Ces données pourraient démontrer que les programmes publics de médicaments représentent une sous-estimation de l’utilisation de ces médicaments, en particulier l’ésoméprazole. L’ésoméprazole ne représentait que 12 millions $ dans les dépenses des programmes publics de médicaments en 2013, alors que les données de Rx Atlas indiquent un coût annuel combiné de 370 millions $14. En ciblant uniquement ces 3 médicaments coûteux et à faibles bienfaits, on pourrait générer une grande proportion des 521 millions $ d’économies établies dans cette étude et réaliser près de 1 milliard $ en économies, lorsque d’autres données sur les dépenses sont prises en compte.
Limitations
L’utilisation des données accessibles dans les bases de données administratives comporte des limites. Des données n’étaient pas disponibles pour l’ensemble des provinces et des territoires et nous avons dû nous fonder sur diverses hypothèses pour en arriver aux économies estimées expliquées dans cet article. Nous n’avons inclus que 4 classes de médicaments. Par ailleurs, il est plus probable que nos constatations représentent une sous-estimation plutôt qu’une surestimation des économies possibles.
Cette étude ne s’est pas penchée sur la possibilité de prescrire des médicaments d’une autre classe (p. ex. des antagonistes d’H2 au lieu des IPP, des inhibiteurs de la sérotonine ou de la norépinéphrine au lieu des ISRS ou encore des antagonistes du récepteur de l’angiotensine 2 au lieu des IECA), mais il s’agirait d’une orientation intéressante pour la recherche à venir.
Conclusion
Lorsqu’il est question des médicaments intraclasses, les médicaments les plus nouveaux ne sont pas nécessairement les meilleurs. Toutefois, ils sont inévitablement les plus coûteux, du moins pendant qu’ils sont protégés par un brevet. Les principes de la prescription rationnelle, des ordonnances fondées sur l’efficacité, la toxicité, le coût et la commodité, peuvent avoir des répercussions d’envergure sur les dépenses en santé sans compromettre les soins aux patients ou leur sécurité. Les millions de dollars d’économies potentielles pourraient être réattribués à d’autres initiatives en santé de grande priorité.
Les prescriptions selon un modèle rationnel ne devraient pas se limiter à ces 4 classes de médicaments. Les prescripteurs doivent tenir compte des coûts des médicaments et les utiliser comme facteur de décision dans le choix de médicaments autrement équivalents. À tout le moins, les coûts devraient être pris en compte après une évaluation de l’efficacité et de la toxicité. Nous revendiquons un comparateur national des coûts des médicaments pour aider à faciliter les choix des prescripteurs. Toutefois, en son absence, le seul fait d’éviter les plus récents médicaments qui n’apportent pas d’améliorations évidentes par rapport aux thérapies existantes selon les critères standards, ceux dont les données accumulées sur la sécurité sont moins nombreuses et ceux qui font toujours l’objet d’un brevet, pourrait entraîner des économies considérables en soins de santé.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
En 2013 au Canada, 29,3 milliards $ ont été dépensés en produits pharmaceutiques d’ordonnance. Une modèle rationnel de prescription comparant l’efficacité, la toxicité, la commodité et le coût pourrait entraîner des économies considérables. Cette étude visait à quantifier les économies potentielles que la mise en œuvre d’un tel modèle pourrait engendrer.
Parmi les 10 classes de médicaments communément prescrits, il a été déterminé que 4 avaient une équivalence intraclasse sur le plan de l’efficacité, de la toxicité et de la commodité. Les auteurs estiment que la pratique d’éviter de prescrire le plus récent médicament de la même classe pourrait épargner plus d’un demi-milliard de dollars par année, dont 222 smillions $ en dépenses publiques. De moins grandes quantités de prescriptions pour seulement 3 médicaments (escitalopram, ésoméprazole et périndopril) représenteraient 78 % de l’ensemble des économies.
Les prescripteurs doivent reconnaître le coût des médicaments et en tenir compte dans leur décision de prescrire parmi des médicaments autrement équivalents. La statine, l’inhibiteur de la pompe à protons, l’inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et l’inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine les moins chers sont respectivement la rosuvastatine, le rabéprazole, le ramipril et le citalopram.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2016 issue on page 235.
Collaborateurs
Les 2 auteurs ont participé à l’élaboration du concept, à l’interprétation des données, à la rédaction et à la révision du manuscrit, de même qu’à l’approbation de la version finale.
Intérêts concurrents
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