Jusqu’à 25 % des enfants et des adolescents en bonne santé, et jusqu’à 75 % des enfants atteints d’une affection psychiatrique ou neurodéveloppementale sont aux prises avec des troubles du sommeil1,2. Les études continuent de démontrer les conséquences négatives à court et à long terme des difficultés liées au sommeil chez les enfants, notamment : mauvaise concentration, hyperactivité, irritabilité, mauvaise mémoire, anxiété, dépression, problèmes liés à la sécurité au volant, difficultés d’apprentissage et mauvais rendement scolaire et diurne2,3.
Insomnie chez les enfants
La durée du sommeil varie de manière considérable chez les enfants4. Une étude longitudinale menée pendant 16 ans à Zurich, en Suisse, ayant suivi la durée du sommeil rapportée par les parents de près de 500 enfants, a servi de fondement aux courbes normalisées des percentiles, lesquelles guident les attentes des parents5.
L’insomnie pédiatrique se définit par la présence répétée de difficultés liées à l’initiation, à la durée, à la consolidation ou à la qualité du sommeil qui surviennent malgré une heure et une routine adaptées à l’âge de l’enfant pour aller au lit, ce qui entraîne une déficience fonctionnelle diurne chez l’enfant et la famille2. Plusieurs affections peuvent entraîner l’insomnie pédiatrique, mais les 2 affections les plus courantes sont le syndrome de retard de phase du sommeil et l’insomnie comportementale de l’enfance6,7.
Chez les nourrissons dont la croissance et le développement sont normaux, une cause organique d’insomnie est improbable, il faut donc évaluer les problèmes comportementaux ou liés à l’allaitement7. Dans certains cas, le reflux gastro-œsophagien serait la cause des interruptions et des retards du sommeil7.
Chez les bambins, les perturbations du sommeil sont le plus souvent liées à la peur, et les interventions comportementales, telles que l’extinction graduelle, l’éducation des parents et les routines appropriées pour aller au lit, ont toutes fait leurs preuves6,7.
Chez les adolescents, le syndrome de retard de phase du sommeil est la cause la plus fréquente d’insomnie7. L’enfant s’endort plus tard que prévu et a de la difficulté à se réveiller le matin suivant, car l’horloge biologique n’est plus synchronisée à l’heure de l’environnement de l’enfant. Une meilleure hygiène du sommeil jumelée à l’ajout de mélatonine pourrait être utile3.
Mélatonine
L’hygiène du sommeil est la clé de l’élimination des causes comportementales de l’insomnie. L’Encadré 1 présente les recommandations d’hygiène du sommeil pour les enfants2,6. La mélatonine est devenue un choix populaire de prise en charge chez les parents et les praticiens, malgré l’absence de lignes directrices pédiatriques précises2,8.
Recommandations de bonne hygiène du sommeil chez les enfants
Il faut éviter la sieste durant la journée
Le souper doit avoir lieu au moins 2 heures avant d’aller au lit
Il faut mettre fin au temps passé devant un écran (p. ex. regarder la télévision, jouer à des jeux vidéo ou sur ordinateur) au moins une heure avant d’aller au lit
Il faut maintenir une routine pour aller au lit, notamment à des heures de sommeil et de réveil habituelles
Les enfants doivent dormir dans leur propre lit
L’environnement propice au sommeil doit être sombre et silencieux; et la pièce ne doit pas être surchauffée
Il faut éviter la caféine, la nicotine et l’alcool
La mélatonine est une hormone synthétisée naturellement par l’épiphyse et sa sécrétion est régulée par le noyau suprachiasmatique de l’hypothalamus3,6. À compter de l’âge de 3 mois, la mélatonine est sécrétée à fortes concentrations le soir et à faibles concentrations durant la journée9. Le rythme circadien de sécrétion de mélatonine constitue le mécanisme essentiel du cycle sommeil-veille6,9. La mélatonine a un effet chronobiotique, ou effet de changement de phase du rythme circadien, et un effet hypnotique et favorisant le sommeil, moins bien établi6. Avec une demi-vie de 40 minutes et un métabolisme de premier passage étendu, la mélatonine atteint le pic de sa concentration dans l’heure suivant son administration6. Santé Canada considère la mélatonine comme un produit de santé naturel, et elle est présente dans de nombreux produits uniques au Canada10. Ni Santé Canada ni la Food and Drug Administration des États-Unis n’ont homologué la mélatonine pour le traitement des troubles du sommeil chez les enfants et les adolescents; son utilisation par les enfants n’est donc pas approuvée6,8.
Efficacité
La littérature compte des rapports contradictoires portant sur l’efficacité de la mélatonine sur le sommeil, et cela est attribuable à la diversité des sujets et aux différences quant à la posologie, au moment où les études ont eu lieu et aux méthodologies des études7. Dans un essai à double insu contrôlé par placebo comptant 40 enfants de 6 à 12 ans, Smits et collaborateurs ont confirmé l’assoupissement à l’aide d’un actigraphe. Les enfants ont reçu un placebo ou 5 mg de mélatonine à libération rapide à 18 h durant 4 semaines après avoir établi les valeurs initiales pendant 1 semaine. Les sujets du groupe sous traitement actif se sont endormis plus tôt (21 h 09 et 22 h 06 respectivement dans les groupes sous mélatonine et placebo; p = 0,005) avec prolongation du la durée totale du sommeil (9 heures 43 minutes et 9 heures 14 minutes respectivement, dans les groupes sous mélatonine et placebo; p = 0,026)11. Même si 11 de ces enfants prenaient du méthylphénidate pour un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, l’analyse de la covariance a conclu que la mélatonine était tout aussi efficace11.
En raison de ses propriétés immunomodulatrices, la mélatonine est contre-indiquée chez les personnes atteintes de troubles immunitaires ou lymphoprolifératifs, de même que chez celles qui suivent un traitement immunosuppresseur6,12. Certains experts et quelques études de petite envergure présentent des résultats contradictoires selon lesquels la mélatonine élève ou abaisse le seuil de crise convulsive6. Des données très limitées montrent qu’elle exerce un effet suppresseur sur l’axe hypothalamo-hypophysaire-gonadique puisque le taux endogène de mélatonine était élevé chez 7 patients de sexe masculin atteints d’une carence en gonadolibérine13.
Après un échec des modifications comportementales, et après avoir écarté les causes médicales d’insomnie, il semble approprié de faire l’essai d’une pharmacothérapie par la mélatonine. Il n’existe aucune ligne directrice claire quant à la posologie; les doses efficaces varient d’une étude à l’autre. La Société canadienne de pédiatrie recommande 1 mg de mélatonine chez les nourrissons, de 2,5 à 3 mg chez les enfants plus âgés et 5 mg chez les adolescents8. L’intervalle posologique parmi les enfants qui présentent des besoins spéciaux est de 0,5 à 10 mg7,14. La mélatonine doit être administrée de 30 à 60 minutes avant le coucher8.
Fait intéressant, l’arrêt du traitement par la mélatonine peut entraîner un changement de phase si aucune modification comportementale n’a été apportée3. Les praticiens doivent veiller à ce que les enfants bénéficient d’un suivi régulier afin de réévaluer l’insomnie et de déterminer s’il faut poursuivre le traitement par la mélatonine.
Profil d’innocuité
Des études randomisées portant sur les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de la mélatonine chez les enfants en bonne santé sont nécessaires puisque seules des études de petite envergure, la plupart s’étant concentrées sur les enfants atteints d’anomalies neurodéveloppementales, sont disponibles2,8. Parmi une cohorte de 101 enfants de 6 à 12 ans vivant aux Pays-Bas et atteints d’un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité et du syndrome de retard de phase du sommeil qui avaient pris de la mélatonine pendant 4 semaines (3 mg chez les enfants de 40 kg ou moins, et 6 mg chez les enfants de 40 kg et plus), 65 % prenaient toujours une dose quotidienne de mélatonine 3,7 ans plus tard, et leurs parents n’ont rapporté aucune inquiétude ni effet indésirable15.
Conclusion
Les experts s’entendent sur le fait qu’il est possible de prescrire la mélatonine avec un suivi régulier et une évaluation de l’insomnie pour les troubles du rythme circadien, particulièrement le syndrome de retard de phase du sommeil. Chez les enfants insomniaques dont les antécédents médicaux et l’examen physique ne révèlent rien de remarquable, et qui ont adopté une bonne hygiène du sommeil, il serait approprié de faire l’essai de la mélatonine; cependant, les protocoles disponibles n’entérinent pas clairement ce traitement. L’innocuité à long terme de la mélatonine chez les enfants en bonne santé n’est pas encore établie. Alors que la mélatonine semble être bien tolérée, il faut l’éviter chez les enfants atteints de troubles immunitaires ou chez ceux qui suivent un traitement immunomodulateur.
Notes
PRETx Pediatric Research in Emergency Therapeutics
Cette Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Dr Janjua est membre du programme PRETx et le Dr Goldman en est le directeur. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2016 issue on page 315.
Intérêts concurrents
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