La sténose progressive de l’artère iliaque, connue sous le nom d’endofibrose de l’artère iliaque, est rarement reconnue par les médecins de soins primaires. Elle se produit principalement chez les hommes de moins de 40 ans qui font du cyclisme d’endurance1,2. Parce qu’on ne s’attend pas à une maladie vasculaire chez ces athlètes, le syndrome de l’insuffisance artérielle passe souvent inaperçu; on attribue plutôt la douleur au bas de la jambe et parfois à la fesse à des causes musculosquelettiques ou neurologiques. Le « nœud » fonctionnel non athéromateux, de même que la sténose ou endofibrose sont principalement responsables de la claudication3–7.
Au Canada, ce problème est presque assurément sous-diagnostiqué parce qu’il est mal connu et qu’il n’existe pas de stratégie précise uniforme pour l’évaluation et la prise en charge de tels patients. Les retards dans le diagnostic sont considérables et se situent en moyenne entre 12 et 41 mois, et ce, après de nombreux mois de physiothérapie infructueux1. L’omission de diagnostiquer et de traiter l’endofibrose de l’artère iliaque chez les jeunes athlètes a des conséquences professionnelles et sociales qui pourraient être grandement réduites si les médecins de famille étaient davantage sensibilisés à ce problème. Selon la recherche documentaire que nous avons complétée en février 2015, aucune donnée canadienne n’avait été publiée sur ce problème de performance.
Cas
Notre patient était un athlète professionnel du triathlon âgé de 25 ans qui participait depuis 12 ans à des compétitions nationales et internationales. Il s’est d’abord présenté à la clinique après avoir souffert pendant une année de sévères crampes abdominales qui semblaient reliées à l’intensité de l’exercice. Les crampes se produisaient constamment durant les quelques minutes de transition entre le vélo et la course. Il a fait l’objet d’investigations exhaustives pour détecter des causes possibles comme le reflux gastroœsophagien, des carences nutritionnelles, des problèmes de stress ou musculosquelettiques. Les résultats aux analyses sanguines, à l’échographie abdominale, à l’échocardiogramme, à l’épreuve d’effort sur tapis roulant et à l’endoscopie gastro-intestinale supérieure étaient tous normaux. Avec le temps, les crampes se sont dissipées et ont été remplacées par des douleurs dans la fesse et la jambe gauches. Au nombre de ses symptômes, qui se sont aggravés au cours des 6 mois subséquents, figuraient une faiblesse progressive déclenchée par l’exercice, des crampes du côté gauche au quadriceps et aux muscles ischiojambiers, fessiers, adducteurs et gastrocnémiens. Ces symptômes unilatéraux étaient plus douloureux lorsqu’il courait immédiatement après un effort important à vélo, revenaient constamment s’il pédalait à plus de 40km/h et disparaissaient après 2 minutes de repos. Ces douleurs l’ont finalement amené à se retirer d’une compétition de championnat mondial. Autrement, il était en santé, ne fumait pas, ne prenait pas de médicaments ni de suppléments pour athlètes.
L’examen physique du patient, effectué par son médecin de famille, n’a révélé aucune autre anomalie qu’un souffle d’intensité 1/6 à l’auscultation de l’artère iliaque commune gauche avec la hanche fléchie. Les investigations prescrites incluaient un angiogramme par tomodensitométrie, la mesure de l’indice tibiobrachial (au repos et à l’effort) et une angiographie par résonnance magnétique avec flexion et extension de la hanche.
L’angiogramme par tomodensitométrie a révélé une sténose à 90 % au tiers proximal de l’artère iliaque commune gauche avec une dilatation après la sténose et un épanchement collatéral (Figures 1 et 2). La mesure de l’indice tibiobrachial a confirmé une forte sténose, mais n’a pas montré de baisses dans les formes d’ondes au repos ni à l’effort. L’angiographie par résonnance magnétique avec flexion de la hanche a révélé des anomalies bilatérales dues à un rétrécissement considérable de l’artère iliaque commune gauche, un faible degré de sténose dans l’artère iliaque externe gauche et une sténose de moins grande importance de l’artère iliaque externe droite. Une consultation en chirurgie vasculaire a été demandée pour le patient, ainsi qu’auprès d’un spécialiste en médecine du sport qui avait de l’expérience dans ce domaine. Le patient a subi une intervention d’une durée de 3 heures pour réparer l’artère iliaque en la raccourcissant et en posant un segment veineux. Il s’est rétabli sans complication à la suite de l’opération et a retrouvé son niveau antérieur de performance au bout de 8 semaines. Il a par la suite gagné de nombreux championnats nationaux et a participé aux Jeux olympiques. Enfin, il a développé des symptômes ischémiques semblables à l’extrémité inférieure de la jambe droite, ce qui le place dans la minorité (15 %) des athlètes qui souffrent d’endofibrose bilatérale de l’artère iliaque8. Il a subi plus tard une autre réparation chirurgicale sans complication pour le côté droit.
Angiogramme par tomodensitométrie de l’aorte abdominale révélant une forte sténose dans la partie proximale de l’artère iliaque commune gauche. Le vaisseau présente un nœud et un rétrécissement de plus de 90 % sur une courte distance. On remarque une dilatation après la sténose. L’artère iliaque externe est normale. Vues A) coronale et B) transversale.
Reconstruction en 3 dimensions de l’angiogramme par tomodensitométrie de l’aorte abdominale et des iliaques communes du patient, révélant une sténose proximale dans l’iliaque commune gauche
Discussion
Le nombre de cas clairement diagnostiqués d’endofibrose associée au sport est relativement faible, compte tenu de la méconnaissance du problème, des divergences dans les critères diagnostiques et de la difficulté à établir des modalités fiables d’imagerie.
Les données publiées se limitent principalement à des séries de cas, à des rapports de cas isolés et à une seule révision systématique à haute visibilité1,6. Parmi les rares études présentées dans la littérature scientifique nord-américaine, les données canadiennes publiées sont absentes.
Les personnes les plus à risque d’endofibrose de l’artère iliaque sont les cyclistes d’élite amateurs ou professionnels de moins de 40 ans; selon les estimations, elle touche de 10 à 20 % de cette population et parmi les personnes affectées, 80 % sont des hommes. À l’apparition des symptômes, ces athlètes ont parcouru à vélo en moyenne 120 000 km, soit entre 14 500 et 20 000 km par année9.
Une anamnèse et un examen physique ciblés pour établir si le flux sanguin est entravé devraient réussir à cerner près de 80 % des cas9. Il n’y a pas de critères standard d’investigation; par ailleurs, les mesures de l’indice tibiobrachial de moins de 0,5 en décubitus dorsal faites 1 minute après l’exercice peuvent cerner 80 % des cas avec une spécificité de 100 % pour ce problème1. Les analyses en laboratoire devraient servir à exclure des troubles métaboliques affectant l’endothélium, comme l’hyperlipidémie et le diabète. De plus, il faudrait investiguer et traiter les problèmes qui touchent la circulation sanguine (p. ex. l’anémie)
La prise en charge conservatrice comporte de limiter le temps consacré à cette activité. Pour ceux qui continuent à faire du vélo, on recommande de faire des ajustements à la posture visant à minimiser la flexion de la hanche et d’encourager les athlètes à éviter de tirer sur la pédale vers le haut pour ainsi réduire l’hypertrophie du psoas. Ces restrictions peuvent être acceptables pour des amateurs, mais elles ne sont pas réalistes pour des athlètes professionnels qui auront probablement besoin d’une correction chirurgicale1. Les résultats sont généralement favorables et les complications, minimales2; par ailleurs, en raison de la nature de l’intervention, il ne faut entreprendre la chirurgie qu’à la suite d’une évaluation rigoureuse des risques inhérents à la chirurgie vasculaire. Même s’il a été suggéré qu’à long terme, l’endofibrose non traitée pourrait prédisposer les patients à l’athérosclérose, cette conclusion n’a pas été démontrée10.
Notre patient ne présentait pas les signes habituels de la maladie. Il se plaignait initialement de douleurs abdominales plutôt que d’une claudication, ce qui a entraîné certains délais dans son diagnostic. Nous croyons que cette présentation atypique pourrait être due à la théorie plausible du phénomène par effet collatéral. Ses douleurs abdominales déclenchées par l’exercice pourraient être attribuables à une poussée de sang du système mésentérique pour approvisionner l’extrémité inférieure, d’où la douleur à l’abdomen durant un exercice intense. Il présentait aussi une sténose à 90 % de l’artère iliaque commune gauche au lieu de l’emplacement plus typique à l’artère iliaque externe. Il a subséquemment développé des symptômes du côté droit; seulement 15 % des patients qui souffrent d’endofibrose ont ce problème bilatéralement8.
Conclusion
L’endofibrose de l’artère iliaque est un problème qui passe souvent inaperçu et se caractérise par un épaississement de l’intima de l’artère iliaque. Elle devrait être soupçonnée rapidement chez les athlètes qui présentent des symptômes de claudication à répétition avec l’exercice. Une anamnèse ciblée, un examen physique attentif et des investigations détaillées sont essentiels pour le diagnostic. Durant les examens physiques, en flexion et en extension, écoutez la circulation dans l’artère iliaque pour détecter des souffles et palpez les pouls distaux. Effectuez la mesure de l’indice tibiobrachial au repos et à l’effort. Envisagez un angiogramme par tomodensitométrie et, chez les patients appropriés, demandez une angiographie par résonance magnétique avec la hanche en flexion et en extension. Comme les symptômes de l’endofibrose peuvent changer avec le temps, il pourrait être bénéfique de répéter les tests pour détecter un flux sanguin restreint à l’exercice dont les résultats étaient antérieurement négatifs.
Cette étude de cas met en évidence l’importance de soupçonner fortement une endofibrose de l’artère iliaque. Nous espérons que les médecins de famille procéderont rapidement aux investigations et à la prise en charge de tels patients.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
L’endofibrose de l’artère iliaque est un problème méconnu qui se caractérise par l’épaississement de la tunique de l’artère iliaque. Elle se rencontre principalement chez les hommes de moins de 40 ans qui font partie de l’élite chez les amateurs ou les professionnels du cyclisme d’endurance. Parce qu’on ne s’attend pas à une maladie vasculaire chez ces athlètes, le syndrome d’insuffisance artérielle passe souvent inaperçu. Ce problème devrait rapidement être envisagé chez des athlètes qui souffrent de symptômes de claudication à répétition avec l’exercice.
Il est essentiel de procéder à une anamnèse et à un examen physique ciblés, de même qu’à des investigations détaillées. À l’examen physique, auscultez pour dépister des souffles dans la circulation de l’artère iliaque, et ce, en flexion et en extension. Mesurez l’indice tibiobrachial au repos et à l’effort. Prescrivez un angiogramme par tomodensitométrie et, chez les patients appropriés, une angiographie par résonance magnétique avec flexion et extension de la hanche.
L’omission de diagnostiquer et de traiter l’endofibrose de l’artère iliaque chez de jeunes athlètes a d’importantes conséquences professionnelles et sociales; il faut donc fortement suspecter ce problème chez de tels patients.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2016 issue on page 318.
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