
Imaginons que vous allez dans un grand restaurant pour une occasion spéciale, et qu’au moment où l’on vous sert votre repas, vous remarquez qu’il n’y a pas d’ustensiles. Vous demandez donc au serveur de vous en apporter. Or, celui-ci vous informe qu’il faudra prévoir des frais supplémentaires puisque l’établissement doit embaucher un plongeur pour laver la vaisselle et que ces frais ne sont pas compris dans la facture. Puis, au moment de régler le repas, on vous réclame une autre contribution pour obtenir une copie de l’addition, alléguant que les frais d’impression ne font pas partie du service. Enfin, alors que vous vous apprêtez à partir, on exige de vous une autre somme pour votre automobile garée dans le stationnement, prétextant que les frais de déneigement sont très élevés! Si pareille aventure vous arrivait, il est fort probable que, peu importe le restaurant, vous décideriez de ne plus y retourner … à moins que ce soit le seul en ville!
Pourtant, aussi absurde que cette situation puisse paraître, c’est bien ce qui prévaut actuellement dans la prestation des soins de santé. Le système est farci de frais accessoires; ils sont omniprésents1,2. Songez simplement aux frais de stationnement. Est-il normal de devoir payer pour aller à l’hôpital? Croit-on que ce soit une partie de plaisir? Il suffit de franchir les guérites à quelques reprises pour constater les déboursés que cela engendre. Imaginez ce qu’il en coûte à ceux qui y passent régulièrement des examens; à ceux qui doivent subir des traitements de chimiothérapie ou à ceux qui, tous les jours, vont voir leurs proches parents hospitalisés. Comme le dit la satire :« aussi bien être riche et en santé que pauvre et malade! ».
Or, si les médecins y sont pour bien peu dans la gestion des frais de stationnement, ils y sont pour beaucoup dans l’établissement de multiples autres frais accessoires. Ainsi, certains chargent pour les gouttes ophtalmiques permettant de faire l’examen visuel. D’autres demandent de l’argent pour les infiltrations de cortisone. Pourquoi cela? L’utilisation de ces produits, ne fait-elle pas partie de l’acte qu’ils posent et pour lequel ils sont déjà rémunérés par l’État? Et même lorsque ces produits ne sont pas remboursés, est-il justifié de demander des sommes excessives ou de faire des profits indus? C’est comme si un menuisier demandait un excédent pour l’aiguisage de ses scies! Tant qu’à y être, pourquoi ne demanderaient-ils pas une contribution pour les papiers-mouchoirs, les gants et le lubrifiant? Sans doute parce qu’ils ne le peuvent pas!
Quant aux médecins de famille, eux non plus ne sont pas en reste dans cet amalgame de frais accessoires. Plusieurs chargent des frais pour la moindre attestation médicale. Évidemment, il est vrai qu’on nous demande souvent de remplir d’innombrables formulaires et que ces documents sont souvent longs et pénibles à compléter. Il est vrai aussi que les employeurs et les assureurs abusent souvent de nos services en nous demandant de fournir des attestations redondantes et que les patients eux-mêmes se servent souvent de nous pour attester de tout et de rien ou pour obtenir divers avantages.
Mais il y a quand même des limites à ne pas dépasser. Quand j’entends dire que des médecins pénalisent leurs patients qui ne se sont pas venus à leur rendez-vous en leur imposant des frais d’annulation; quand on me raconte que certains médecins facturent des honoraires pour faxer une prescription à la pharmacie; ou quand on me rapporte que d’autres demandent une contribution pour l’azote liquide qu’ils utilisent, je me questionne sur leur professionnalisme. Ne voient-ils pas que ces frais exigés pour la moindre peccadille irritent nos patients? Que cela nous fait perdre le respect qu’ils nous accordent? Plusieurs patients se disent : les médecins ne sont-ils pas payés à même nos taxes, pourquoi nous chargent-ils de surcroît des frais supplémentaires? C’est comme si la médecine était devenue une business.
Je ne peux alors pas m’empêcher de revoir ces mêmes médecins, plusieurs années auparavant, passant leur entrevue pour être sélectionnés à la faculté de médecine et jurant que leur première motivation pour devenir médecin était d’aider le monde et de sauver des vies. Ah oui? ...
Si tel est le cas, que leur est-il donc arrivé? C’est comme si, avec le temps, leurs motivations avaient changé, leurs rêves et idéaux s’étaient évaporés pour devenir mercantiles et pécuniaires. Quel dommage que cela!
Footnotes
This article is also in English on page 373.
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