Le monde attend de vous plus que des demi-mesures.
Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies1
Bien avant la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique de 2015 à Paris, en France, les ouvrages locaux et internationaux en médecine expliquaient et documentaient les préoccupations sur l’utilisation des ressources dans les milieux médicaux2,3. La Dre Margaret Chan, directrice générale de l’Organisation mondiale de la Santé, mettait le monde au défi d’envisager la conférence sur le changement climatique comme
l’accord le plus important du siècle dans le domaine de la santé, offrant l’occasion non seulement de freiner le changement climatique et ses conséquences, mais de promouvoir des mesures propres à apporter des améliorations considérables et immédiates pour la santé en réduisant les coûts que les systèmes de santé et les communautés doivent supporter4,5.
Des leaders inquiets du monde médical ont rédigé une lettre ouverte à notre premier ministre, vers la fin de 2015, faisant écho au point de vue de l’Organisation mondiale de la Santé sur le changement climatique comme étant la plus importante menace à la santé mondiale au 21e siècle, et enjoignant le gouvernement d’agir4–6. La Lancet Commission on Health and Climate Change a affirmé que le règlement des problèmes du changement climatique pourrait se révéler la plus importante opportunité en matière de santé au 21e siècle7. Compte tenu de la reconnaissance grandissante de l’urgence d’agir, les médecins de famille s’engageront-ils à faire partie de la solution?
Pourquoi devrions-nous être concernés?
En tant que groupe influent impliqué dans le domaine de la santé tant sur le plan de la consommation que sur celui de l’éducation, nous avons des raisons sanitaires, environnementales et entrepreneuriales d’« écologiser » nos cliniques; mais nous avons aussi un motif croissant et impérieux qui nous pousse à nous conformer à des pratiques écologiques : une responsabilité multigénérationnelle et un impératif éthique de prodiguer des soins de santé en nous efforçant sérieusement d’atténuer les impacts environnementaux3.
L’empreinte écologique est un concept permettant de définir une méthode pour évaluer les répercussions globales d’une activité, d’un établissement, d’une communauté ou d’une nation sous forme de superficie de terre nécessaire pour produire les ressources consommées ou absorber les déchets produits3. La Dre Susan Germaine a évalué l’empreinte écologique de l’Hôpital Lions Gate à Vancouver Nord, en Colombie-Britannique; elle a constaté que l’hôpital avait une empreinte écologique d’environ 2841 hectares, ce qui représente 739 fois sa superficie réelle2,3. Si les établissements de santé et les cliniques mesuraient leur effet ou empreinte écologique, les résultats seraient-ils aussi stupéfiants que ceux calculés par Dre Germaine? En 2000, le ministère ontarien de l’Environnement a estimé qu’en Ontario, les hôpitaux produisaient 150 000 tonnes de déchets solides par année3. On nous répète constamment que l’effet de l’activité humaine sur la planète est et continuera d’être le plus directement ressenti par les populations les plus vulnérables du monde; en tant que fournisseurs de soins de santé, cette réalité devrait être la connaissance la plus motivante que nous ayons8.
Lors d’un atelier à la Table ronde sur les sciences, la recherche et la médecine environnementales organisé en 2006 par l’Institute of Medicine, un appui à des soins de santé écologiques a aussi été exprimé :
Ainsi, un hôpital ayant un triple bilan de réussite pourrait se vanter d’avoir des répercussions positives sur la santé et le bien-être de ses patients, de son personnel et des visiteurs; utiliserait de manière efficace l’énergie et les ressources naturelles tout en produisant le moins de déchets et de pollution possible; connaîtrait un rendement financier profitable. De nombreuses entreprises privées reconnaissent que cette approche fait non seulement progresser l’atteinte de leurs objectifs, mais elle les place aussi en position privilégiée sur les marchés, en améliorant leur image et en gagnant la loyauté de leur clientèle. Ces mêmes arguments s’appliquent directement aux soins de santé écologiques9.
Les avantages financiers, la réduction des déchets et la préservation des ressources comptent parmi les bienfaits d’une approche visant une utilisation minimale des ressources dans la gestion d’une clinique. Le fait d’être de meilleurs citoyens du monde et de la communauté est aussi considéré comme un autre avantage dans un environnement de préoccupations grandissantes à propos du changement climatique et de ses liens avec la consommation et les effets sur la santé. Nous présentons au Tableau 110 une liste de vérification susceptible d’être utile dans la mise sur pied d’une clinique de médecine familiale écologique.
Abécédaire et liste de vérification pour des cliniques de médecine familiale plus écologiques
Que fait-on maintenant?
En tant que chefs de file en médecine familiale, nous devons faire en sorte que les milieux de formation dans notre discipline s’engagent envers l’environnement dans leur travail au quotidien pour veiller à ce que les médecins de famille de demain apprennent comment faire de l’environnement une partie intégrante de leurs activités d’amélioration de la qualité et du fondement éthique de leur pratique universitaire et clinique. Une telle démarche serait conforme aux engagements envers la durabilité environnementale déjà pris dans les études supérieures par de nombreuses universités au Canada, comme le système de suivi, d’évaluation et de classement de l’Association for the Advancement of Sustainability in Higher Education, la Déclaration de Talloires et l’Énoncé d’action sur les changements climatiques des recteurs d’universités et de collèges pour le Canada.
Certains hôpitaux ont déjà amorcé cette démarche. La Clinique de Cleveland, en Ohio, a été le premier établissement de santé aux États-Unis à prendre un engagement envers l’initiative du Pacte global, qui comportait des normes concernant les droits de la personne, la main-d’œuvre, l’environnement et les mesures anti-corruption11. Les hôpitaux, qui ont une empreinte écologique considérable, utilisent de plus en plus des paramètres environnementaux comme indicateurs de qualité9,12. Du financement gouvernemental a servi d’incitatif à de telles activités et à la publication subséquente des résultats d’initiatives écologiques. Parmi les initiatives du secteur hospitalier, on peut mentionner celles de l’Association des hôpitaux de l’Ontario, dont l’une mesure et remet un bilan écologique aux hôpitaux membres et l’autre finance à même un fonds des projets écologiques dans les hôpitaux, de même que l’adoption des normes du système de gestion environnementale ISO 14001 (entre autres, par l’Hôpital pour enfants malades à Toronto, en Ontario, et l’Hôpital Lions Gate). Le programme du Service national de la santé au Royaume-Uni est un autre exemple d’initiative exhaustive à l’échelle du système. De nombreuses organisations en dehors du secteur de la santé accomplissent des progrès semblables en adoptant des paramètres comme le Triple bilan (Triple Bottom Line13), le Leadership dans la conception énergétique et environnementale14, le B Corp Best for the World15 et la Global Reporting Initiative16.
Nos pratiques familiales ont-elles emboîté le pas?
Il est évident que les entreprises, les universités et les hôpitaux ont fait des progrès en matière de durabilité environnementale et de responsabilité sociale, tout en continuant à se concentrer sur l’efficacité financière et la prestation des soins. Toutefois, il existe très peu de publications fondées sur les résultats pour expliquer les mesures visant la durabilité environnementale mises en œuvre dans nos cliniques et milieux universitaires de médecine familiale. Le Quality Book of Tools, un outil d’amélioration de la qualité en pratique familiale, révisé par des pairs et produit par Levitt et Hilts, présente des indicateurs de la qualité exhaustifs, mais ne comporte pas de section précise sur les questions environnementales parce que sa méthode Delphi, dirigée par les médecins de famille participants, n’a pas validé l’engagement envers une clinique éco-efficace ou écologique comme étant un critère d’amélioration de la qualité17,18. Le système Lean ou de gestion sans gaspillage, un outil d’amélioration de la qualité familier, utilisé dans les milieux de la santé et dans la documentation sur la pratique et la formation relatives au Centre de médecine de famille du Collège des médecins de famille du Canada, mentionne l’efficience de la pratique, mais n’indique pas le rationnement des ressources ou les préoccupations environnementales comme une valeur collective, que ce soit dans la formation des résidents ou les soins aux patients19,20. Certains milieux d’enseignement en médecine familiale ont pris des mesures pour incorporer des approches écologiques et plus « vertes » dans leurs pratiques. Parmi eux, mentionnons les centres de santé familiale Stonechurch et David Braley de l’Université McMaster, à Hamilton, en Ontario, et le Centre de médecine familiale à Kitchener-Waterloo, en Ontario21–23. De plus, il existe de nombreux articles expliquant des approches concrètes pour réduire l’utilisation des ressources dans les cliniques médicales externes. Toutefois, nous n’avons pas pu trouver de données probantes publiées sur l’adoption de cette philosophie dans les milieux éducatifs en médecine familiale, ni sur les résultats de sa mise en œuvre.
Prochaines étapes vers des empreintes plus légères
Les résidents recherchent des projets d’assurance de la qualité qui auront des effets concrets lorsqu’ils auront terminé leur programme. Nous proposons qu’ils réfléchissent à la façon dont ils pourraient contribuer à la santé environnementale locale et mondiale durant le temps qu’ils consacrent à l’assurance de la qualité ou à la recherche. De fait, le Comité de la santé environnementale du Collège des médecins de famille de l’Ontario offre du financement pour encourager ce genre de recherche, et des possibilités semblables sont probablement accessibles ailleurs. Les résidents et les étudiants peuvent être nos meilleurs atouts pour prendre des décisions responsables concernant l’utilisation des ressources et, fait essentiel, communiquer les nouvelles expériences et connaissances. Il faudra mesurer les résultats de la mise en œuvre de nouvelles pratiques conviviales pour l’environnement et les faire connaître afin de bâtir un ensemble de publications fondées sur des données probantes pour appuyer et orienter les changements.
La production de déchets et l’utilisation d’énergie et de ressources attribuables aux cliniques de médecine familiale et d’enseignement sont des raisons convaincantes pour connaître nos empreintes écologiques et prendre des mesures directes et immédiates pour atténuer notre contribution collective au changement climatique. Le potentiel est considérable, maintenant et dans l’avenir; il est urgent de se joindre au monde et de réduire les effets des soins de santé sur l’environnement et les personnes mêmes que nous soignons.
Le démarrage
Qu’on utilise le Quality Book of Tools17,18, le système Lean19 ou d’autres méthodes pour aborder l’amélioration continue de la qualité, il faut considérer les pratiques environnementales comme une valeur établie.
Reconnaissant leur responsabilité en ce qui a trait à leur consommation et à ses effets localement et mondialement, les cliniciens et les administrateurs peuvent désigner un leader et former une équipe. Rassemblez tous les membres appropriés de l’équipe dans votre milieu. Pensez à joindre des apprenants et des patients de la pratique familiale qui ont une expertise ou un intérêt dans ce domaine. Les suggestions au Tableau 110 peuvent vous aider à démarrer. Les approches visant des soins de santé écologiques doivent aussi être itératives et inclure la publication des constatations dans le but de cerner les pratiques exemplaires en gestion des ressources dans la prestation des soins aux patients en cliniques externes de médecine familiale et dans la formation médicale.
Remerciements
Les Drs Asrar et Blau sont les 2 principaux auteurs de cette publication.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the May 2016 issue on page 381.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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