
Dans un texte intitulé « Au cœur de la guérison »1, publié ce mois-ci en page e427, Patricia Dobkin propose une réflexion que je vous recommande de lire. Se référant à la célèbre nouvelle de Léon Tolstoï, « La mort d’Ivan Ilitch », publiée en 1886, elle nous parle de l’espoir perdu puis retrouvé. Pour ceux qui n’auraient pas lu cette histoire ou l’auraient oubliée, rappelons qu’Ivan était magistrat à la cour du tsar. Il menait une petite vie bien ordinaire, satisfait des avantages et du pouvoir que lui conférait son titre, et ce, jusqu’à ce qu’il tombe gravement malade, sans raison apparente, à la suite d’une chute anodine, à l’âge de 45 ans. Les médecins, appelés à son chevet, ne purent diagnostiquer la source de son mal, mais l’assurèrent qu’ils s’occuperaient de lui. Paroles creuses et de circonstance, comme lui-même en prononçait lorsqu’il siégeait au tribunal. Cette attitude feinte le révolta, tout comme la médiocrité de sa propre existence qui n’avait aucune commune mesure avec les douleurs épouvantables qu’il endurait. On ne comprenait pas que sa souffrance puisse être existentielle. Il allait donc mourir dans les heures qui venaient quand son fils vint embrasser sa main. Se produisit alors le miracle: « Il chercha sa peur habituelle de la mort et ne la trouva pas. Où était-elle? Quelle mort? Il n’y avait plus de peur parce qu’il n’y avait plus de mort. A la place de la mort il y avait la lumière2 ».
Qu’est-ce donc que l’espoir? Et qu’est-ce qui permet de le préserver?
Incidemment, Daneault et coll. s’intéressent à ces questions dans « Le dernier parcours du patient en phase terminale. Cultiver l’espoir »3, publié en page 649. Le but de leur recherche: mieux comprendre le rôle de l’espoir chez les patients souffrant d’un cancer en phase palliative, et voir si l’espoir change tout au long de la maladie. Car, si l’on a déjà cru que l’espoir était favorisé par le bien-être et la qualité de vie, et qu’inversement la douleur avait l’effet contraire, on s’est rendu compte que ces associations s’estompaient quand on mettait en compte la dépression ou le bien-être spirituel des patients. Daneault et coll. réalisent donc une étude d’envergure, conduite en 3 temps, auprès des patients, de leurs proches et de leurs médecins, pouvant ainsi générer jusqu’à 5 entrevues par patient.
Leurs constatations: l’espoir n’est pas rectiligne. Il s’agit d’un réflexe basal, de survie. Il varie au fur et à mesure que la maladie évolue, passant de l’espoir en un miracle, à l’espoir de survivre plus longtemps, à l’espoir de conserver une bonne qualité de vie, à l’espoir de pouvoir profiter du moment présent et de pouvoir préparer sa fin. Le tout tournant et tourbillonnant sans fin de façon chaotique et irrationnelle.
Mais puisqu’il est question d’espoir, qu’en est-il de celui des médecins? L’espoir qu’ils ont, ou qu’ils n’ont plus? Quelle influence cela a-t-il sur le malade et sur sa maladie?
Tenez, j’ai un ami qui se meurt à petit feu d’une maladie chronique. Je le vois dépérir de jour en jour. Cela me fend l’âme. Lui, naguère grand homme, intelligent, éblouissant, drôle, affectueux, sportif (bien meilleur joueur de tennis que je le suis), n’est plus, depuis qu’il est malade, que l’ombre de lui-même. Il se déplace avec difficulté, à petits pas, incapable d’arrêter le tremblement de sa main qui bat inutilement et stupidement. « Avant, je couchais dans le même lit que ma femme, me dit-il, puis nous avons fait lit à part; puis chambre à part; me voilà maintenant avec un lit d’hôpital dans le salon, fourni par le CLSC, incontinent, avec des couches d’aisance ». L’autre jour, il m’a demandé si, quand cela irait trop mal, je pourrais l’aider à … vous savez quoi. Maintenant, il n’en parle plus.
Or, moi, je sais bien ce qui l’attend. J’en ai trop vu pendant toutes ces années où j’ai pratiqué les soins palliatifs. Je sais bien qu’il continuera à péricliter. Je sais bien qu’un jour ou l’autre, il s’étouffera en mangeant, et fera une pneumonie d’aspiration que l’on traitera peut-être, jusqu’à la prochaine, et la prochaine encore. Tiens, justement, il vient de m’appeler pour me dire qu’il est tombé dans l’escalier et qu’il s’est blessé. Une méchante plaie à la jambe. Bientôt, il devra prendre le lit et y rester.
N’avons-nous pas tous des amis, des parents, des proches ou des patients comme le mien? Que faut-il faire pour préserver leur espoir? Faut-il essayer d’éluder leurs questions, en disant qu’on ne sait jamais ce que nous réserve l’avenir? Ou bien, faut-il taire son propre désespoir pour permettre au leur de survivre?
Voilà des questions que l’on aurait pu poser à Tolstoï.
Footnotes
This article is also in English on page 616.
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