Lorsque vous entendez des bruits de galopade, pensez à des chevaux plutôt qu’à des zèbres. » Cette maxime attribuée au Dr Theodore Woodward durant les années 1940 est un rappel utile que nous devrions diagnostiquer les causes courantes plutôt que de rechercher, à un coût exorbitant en temps (et en argent), des causes faiblement probables. Le corolaire est que les complications rares des maladies communes sont plus fréquentes que les maladies rares. Les jeunes médecins dans les hôpitaux d’enseignement où le diagnostic de maladies rares est récompensé doivent désapprendre l’habitude de les rechercher lorsqu’ils s’éloignent des savanes des services hospitaliers pour entrer dans la jungle des soins primaires. Et pourtant, les « zèbres » existent et lorsqu’il s’en présente un, nous devons avoir assez de connaissances pour qu’une fois dans notre vie, nous puissions identifier l’éruption purpurique de la méningite à méningocoques ou, de nos jours, les signes de Koplik de la rougeole.
Chaque pratique de soins primaires compte quelques patients chez qui un diagnostic de maladie rare a été posé, une maladie qui peut se produire chez 1 personne sur 10 000, 1 sur 1 million ou même, moins souvent encore. Par ailleurs, il existe de nombreuses maladies de cette nature et chacun de nous sera aux prises avec une sorte différente. À divers moments dans ma pratique, j’ai soigné des gens souffrant de l’ataxie de Friedreich, d’albinisme, de neurofibromatose de type I (maladie de von Recklinghausen), d’un utérus didelphe, d’immunodéficiences particulières, d’angiodysplasie du duodénum et de cancers très rares. Certaines maladies rares sont mentionnées en petits caractères à la fin des chapitres dans les manuels de médecine standards. D’autres n’apparaissent en petits caractères que dans les manuels très spécialisés ou des rapports de cas peu nombreux dans la littérature médicale. Ces maladies sont les zèbres mélaniques : jusqu’à ce qu’un d’entre eux arrive à la clinique, la plupart des médecins considèrent leur existence comme étant aussi probable que celle des licornes ou des hippogriffes.
Soigner des zèbres
Il arrive à l’occasion que nous identifiions nous-mêmes une maladie rare chez un patient et que nous demandions une consultation spécialisée pour obtenir un diagnostic formel, mais la plupart des zèbres nous viennent avec un diagnostic déjà posé, en quête de soins. De nombreux médecins, surtout ceux en apprentissage, sont enclins à simplement renvoyer ces patients à ceux qui ont fait le diagnostic initial dans l’espoir que d’autres spécialistes s’occuperont de répondre à leurs besoins; certains ont l’impression que soigner des zèbres est trop complexe pour la première ligne ou manquent peut-être de confiance. Ils se sentent dépassés par les implications potentielles et ont suffisamment à faire à soigner les problèmes courants de base dans leur pratique : soigner les chevaux. Par ailleurs, les demandes de consultation sont parfois problématiques. Par exemple, un collègue a récemment vu un patient dont la maladie a été décrite dans seulement 5 lignées dans le monde et le seul médecin ayant de l’expérience dans le traitement de cette maladie était établi à l’autre extrémité du Canada.
Les zèbres ont tous les autres problèmes médicaux, psychologiques et sociaux que les autres patients. Ils contractent des infections communes et ont des blessures courantes. Ils acquièrent des maladies chroniques comme l’obésité, l’hypertension, le diabète et des maladies cardiaques. Ils ont besoin de dépistages, de diagnostics, de traitements et de soins comme n’importe qui. Nous devons apprendre les interactions entre la médication inhabituelle qu’ils prennent et les autres médicaments que nous prescrivons fréquemment. Il n’est ni prudent ni possible de s’attendre à ce qu’un spécialiste autre qu’un médecin de famille s’occupe de leurs soins complets, puisque ce médecin pourrait ne pas avoir les connaissances pour traiter des problèmes de soins primaires ni les systèmes pour ce faire. Les médecins de famille doivent faire la distinction entre les problèmes liés à la maladie qui exigent effectivement des soins spécialisés et ceux dont nous pouvons nous occuper nous-mêmes. De plus, si les zèbres ont un trouble qui affecte plus d’un système, ils pourraient devoir voir plusieurs autres spécialistes et il faut quelqu’un pour coordonner des recommandations souvent conflictuelles. Lorsqu’un zèbre est hospitalisé, que ce soit dans un service de médecine générale ou en surspécialité, les médecins de l’hôpital sont aussi aux prises avec la conciliation de recommandations contradictoires de divers consultants.
Par conséquent, nous devrions tous prendre la peine de nous informer à propos de nos zèbres. Nous pouvons lire les chapitres appropriés dans les manuels spécialisés, des articles dans les revues vouées à une surspécialité ou les rapports de cas que nous trouvons dans la littérature médicale. Nous pouvons annexer des copies des renseignements applicables dans le dossier du patient, soit en incluant des photocopies dans le dossier ou en insérant des PDF ou des liens sur le web dans les dossiers médicaux électroniques. Lorsqu’une consultation est obtenue, nous devons informer l’autre spécialiste de notre intérêt et de notre implication, de sorte que nous puissions travailler ensemble. Parfois, nous pouvons trouver amplement d’information sur le diagnostic, mais peu de renseignements sur les soins à long terme ou un problème particulier que présente le patient; nous devons travailler à partir des principes de base et négocier avec d’autres spécialistes à propos des incertitudes.
D’autre part, les consultants aident en identifiant les espèces exactes de zèbres et leurs caractéristiques et doivent définir pour les médecins de première ligne les complications ou problèmes qui nécessitent une attention spécialisée ou une approche différente de la normale, de même que ce qui peut et devrait être réglé en première ligne. Étant donné la variété des styles de pratique, des connaissances, des expériences et des intérêts chez les médecins, pour chaque patient en particulier, nous pourrions devoir négocier les rôles et les limites entre les professionnels des soins primaires, secondaires et même tertiaires.
Nous avons parfois besoin d’ingénuité pour démêler les soins aux zèbres. Pour la femme qui présentait 2 cols de l’utérus, il fallait certaines négociations avec d’autres fournisseurs de services de manière à ce que, par exemple, les techniciens du laboratoire ne jettent pas ce qui semblaient être des prélèvements cervicaux en double ou mal étiquetés. Après une cholécystectomie, l’homme souffrant de neurofibromatose s’est présenté à l’urgence à cause de douleurs récurrentes. Le rapport alarmant de la tomodensitométrie de son thorax et de son abdomen décrivait les écoulements biliaires mineurs, de même que de nombreuses tumeurs, particulièrement dans la région pubienne autour de la prostate, et recommandait une consultation pour un cancer au stade 4, mais le rapport ne mentionnait pas les neurofibromes du patient. Une demande de réexamen, après avoir informé le radiologiste à propos de la maladie, s’est conclue par un rapport modifié très différent, décrivant les tumeurs comme étant de densité compatible à celle des neurofibromes, plutôt que comme un cancer de la prostate qui s’était propagé, au soulagement de tous. Alors que les manuels de neurologie décrivent les caractéristiques diagnostiques et le sombre pronostic de l’ataxie de Friedreich, ni les manuels, ni le neurologue consultant qui voyait le patient chaque année, ne décrivaient comment aider ce jeune homme à vivre pendant plusieurs années de lente dégénérescence : des soins palliatifs à long terme.
L’hématologue qui soignait un homme atteint de diverses déficiences immunitaires courantes prescrivait de fréquents régimes d’antibiotiques pour la sinusite, ce qui peut entraîner la résistance des bactéries aux antibiotiques. Après que nous ayons traité sa rhinite allergique vigoureusement et systématiquement, ce qui a eu pour effet de réduire l’enflure de la muqueuse et l’exsudat dans lequel croissaient les bactéries, les antibiotiques n’étaient que rarement utilisés.
Les satisfactions des soins aux zèbres
La majorité de mes zèbres ont été des patients formidables; ils sont très reconnaissants de l’approche inquisitrice et de faire l’objet d’une attention éclairée par des connaissances plutôt que d’être refusés parce qu’ils ont des problèmes qui dépassent l’intérêt d’un simple omnipraticien. Une fois que nous comprenons les problèmes et les besoins de ces patients, ils sont soulagés de pouvoir entretenir une relation avec une personne qui s’engage à travailler constamment avec eux, même s’il n’y a pas de traitement qui puisse les guérir. Ils peuvent alors arrêter de chercher en vain l’aide de médecins qui ne se concentrent que sur une maladie en particulier ou seulement une partie de cette maladie.
Traiter des zèbres met à contribution l’activité intellectuelle, parce que vous devez travailler à faire la distinction entre les caractéristiques inhabituelles de la maladie et les autres problèmes médicaux que la vie amène à ces gens. Quand vous rencontrez un zèbre, un sens de la curiosité et un intérêt accompagnés de la volonté de faire de la recherche et d’apprendre apportent de nouvelles perspectives et de grandes satisfactions personnelles. Après l’effort initial d’apprentissage à propos des problèmes de ce zèbre en particulier, le reste vient aisément. S’ils meurent ou déménagent ailleurs, il se peut que nous ne rencontrions plus jamais cette espèce dans notre vie professionnelle, mais lorsque d’autres représentants du genre Equus apparaîtront, il nous faudra de nouveaux apprentissages. La majorité des bruits de galopade proviennent effectivement des chevaux, mais lorsqu’un zèbre se présente, il a besoin de soins « équestres » adaptés à son espèce propre.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2016 issue on page 620.
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