Je vous supplie, au nom du Christ, de songer qu’il serait possible que vous fassiez erreur.
Oliver Cromwell
En 2015, les lignes directrices sur la prise en charge de la nausée et des vomissements durant la grossesse (NVG), élaborées par Motherisk, endossées et publiées par la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada1, et dont les recommandations avaient antérieurement été publiées dans les pages du Médecin de famille canadien (MFC)2,3, ont fait l’objet d’un examen critique4,5.
Ces lignes directrices ont constamment préconisé l’utilisation d’une combinaison de doxylamine et de pyridoxine comme thérapie de première intention pour les NVG. Une récente réévaluation systématique des données probantes par Persaud et ses collègues a révélé qu’une combinaison de doxylamine et de pyridoxine n’est pas supérieure sur le plan de l’efficacité que la pyridoxine prise seule4.
Un nouvel examen par Persaud et ses collaborateurs de la méta-analyse effectuée en 1997 par Motherisk6, qui prétendait démontrer que les femmes traitées pour des NVG avec une combinaison des médicaments avaient un risque moins grand de malformations fœtales, a révélé que l’analyse originale était déficiente et ses conclusions, erronées4. De plus, l’étude par Persaud et ses collègues fait valoir que si des études de grandes cohortes n’avaient trouvé aucune association entre la doxylamine et la pyridoxine combinées et des malformations, des études de moindre envergure faisaient ressortir un risque plus grand de sténose du pylore et de certains cancers infantiles5, quoique le risque global demeure minime.
Que signifient ces renseignements pour les médecins de famille et leurs patientes enceintes? Que représentent les relations avec des organisations comme Motherisk pour les revues de médecine familiale généraliste comme le MFC à la lumière des données déficientes à l’appui de leurs recommandations qui ont été publiées dans cette revue?
Absence de données probantes convaincantes
Il est relativement facile de répondre à la première question. Nous sommes d’accord avec les conclusions de Persaud et ses collègues selon lesquelles il n’y a pas, à l’heure actuelle, de données probantes claires démontrant que la combinaison de doxylamine et de pyridoxine est plus efficace dans la prise en charge des NVG que la pyridoxine seule, et que la recommandation étayée par des données de grade AI dans les lignes directrices de Motherisk publiées dans le MFC et par la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada ne repose pas sur les meilleures données probantes actuelles5. Même si, en juillet 2016, Santé Canada a publié un examen de l’innocuité de la combinaison doxylamine-pyridoxine et a conclu que ses bienfaits continuaient de surpasser ses risques lorsqu’elle était utilisée selon l’usage autorisé7, les médecins de famille qui traitent des NVG devraient envisager la pyridoxine seule comme thérapie de première intention. Cette recommandation est conforme aux guides de pratique clinique des États-Unis8 et de l’Australie9. Les médecins de famille pourraient aussi considérer suivre les recommandations du National Institute for Health and Care Excellence10 ou du Royal College of Obstetricians and Gynaecologists11 du Royaume-Uni, qui recommandent des antihistaminiques pris seuls.
Réflexion sur une relation de longue date
La réponse à la deuxième question est plus complexe et mérite une réflexion plus approfondie.
La relation entre le MFC et Motherisk remonte à 2 décennies. Aucun dossier écrit n’existe sur le début de cette relation, mais il est presque certain qu’à l’époque, les médecins de famille canadiens étaient à la recherche des meilleures données probantes disponibles au sujet des médicaments d’ordonnance et en vente libre pour leurs patientes enceintes. Motherisk était alors perçue comme une organisation digne de confiance, employée à répondre justement à de telles questions, et le MFC l’avait jugée appropriée pour aider à faciliter l’accès à cette information par les médecins de famille canadiens.
Depuis un an environ, la réputation de l’organisation Motherisk a été remise en question à la suite de préoccupations entourant l’influence potentielle de Duchesnay, le fabricant du Diclectin, la combinaison de doxylamine et de pyridoxine, sur les lignes directrices de Motherisk concernant les NVG12.
Le Médecin de famille canadien a mis un terme à sa relation de longue date avec Motherisk à la fin de 2015. Cette décision était en partie attribuable aux préoccupations à propos de l’indépendance de l’organisation face à l’industrie que soulevaient les travaux du Dr Persaud et de ses collaborateurs. Le personnel de la rédaction et le Conseil consultatif de rédaction de la revue ont réfléchi sérieusement aux enjeux soulevés par sa relation de longue date avec Motherisk. Nous avons tiré plusieurs leçons que nous souhaitons communiquer à nos lecteurs.
Influence et intégrité
Il est impossible de savoir dans quelle mesure les recommandations sur la prise en charge des NVG dans les lignes directrices ont été directement influencées par la relation de Motherisk avec un fabricant de produits pharmaceutiques, mais il existe une influence généralisée de l’industrie sur la production des guides de pratique clinique en médecine13. De plus, les organisations renommées de promotion de la santé comme Motherisk peuvent être particulièrement attrayantes et constituer des cibles vulnérables à une telle influence.
Il est important pour nous de reconnaître que le MFC a ajouté à la validité des lignes directrices sur les NVG, car il a renforcé la crédibilité de Motherisk en lui accordant une place privilégiée dans la revue. Contrairement à la plupart des autres articles soumis au MFC, ceux de Motherisk n’étaient pas assujettis à une révision à double insu complète par des pairs. Cette exemption se fondait sur des présomptions à propos de la qualité du travail et de l’intégrité de l’organisation. Cette approche a persisté dans l’intervalle jusqu’à l’apparition des récentes préoccupations.
Les données probantes ne sont pas statiques
En tant que généralistes, les médecins de famille continueront de se servir des guides de pratique clinique, dont la plupart sont actuellement élaborés par des médecins de spécialités autres que la médecine familiale ou des organisations axées sur une maladie. Ce faisant, nous devons utiliser les meilleures données probantes disponibles à notre connaissance et les mettre en œuvre dans nos pratiques, mais être constamment conscients que nous pourrions nous tromper ou que les données pourraient être erronées.
Un processus plus formel de révision à double insu par des pairs aurait-il détecté les problèmes dans les lignes directrices sur les NVG de Motherisk? Il est difficile de le savoir avec certitude. Ce n’est qu’à la suite d’une réévaluation approfondie des ouvrages scientifiques, suscitée par des questions posées par une patiente à son médecin de famille chercheur, que cette découverte a été possible. Les données probantes ne sont pas statiques; la réévaluation des vérités acceptées ne devrait pas être perçue comme une faiblesse lorsque de nouveaux renseignements se présentent.
Le Médecin de famille canadien continuera probablement à entretenir des relations continues avec différentes organisations et institutions si elles sont les mieux placées pour répondre aux besoins des médecins de famille et de leurs patients en matière d’information. Toutefois, cet épisode est clairement une leçon nous incitant à être plus rigoureux, à conclure des ententes plus formelles, et seulement avec des organisations qui n’ont aucun lien avec l’industrie ou avec d’autres entités qui créeraient, ou même sembleraient créer, de l’information ou des lignes directrices à des fins autres que des bienfaits précis et étayés par la science au profit des patients que nous soignons.
La science et des revues comme le MFC qui publient des textes scientifiques au service de bons soins ne sont pas des entités statiques. Ce sont des activités humaines vouées à la découverte et à l’application du savoir; elles ont les imperfections que toutes les activités humaines démontreront de temps à autre. Il est vitalement important d’apprendre de ces imperfections plutôt que de nier leur existence. Nous avons commencé par une citation tirée de l’histoire, qui souligne la nécessité de faire preuve d’humilité en toutes choses. Nous terminons par des propos, prêtés à Galilée par Bertolt Brecht dans sa pièce de théâtre éponyme :
Le but de la science n’est pas d’ouvrir la porte à la sagesse infinie, mais de faire obstacle à l’erreur infinie.
Bertolt Brecht, Life of Galileo
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2017 issue on page 13.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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