Après plus d’une demi-décennie en préparation, le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada a été rendu public en décembre de l’année dernière. L’ensemble du rapport compte des milliers de pages, pèse plus de 10 kilos et relate les histoires et les témoignages entourant les séquelles des pensionnats indiens, racontés par plus de 6000 membres des Premières Nations, Inuits et Métis d’un océan à l’autre.
La Commission de vérité et réconciliation a aussi lancé 94 « appels à l’action », dont le 22e demande « aux intervenants qui sont à même d’apporter des changements au sein du système de soins de santé canadien de reconnaître la valeur des pratiques de guérison autochtones et d’utiliser ces pratiques dans le traitement de patients autochtones, en collaboration avec les aînés et les guérisseurs autochtones, lorsque ces patients en font la demande ».
C’est un appel à l’action qu’une équipe élargie investissant ses efforts dans la santé et le bien-être de la Première Nation de Sturgeon Lake en Saskatchewan, une équipe dont est membre Vivian Ramsden, met en pratique au jour le jour depuis des années.
« Il y a 7 ou 8 ans, se rappelle Shirley Bighead, exconseillère de bande et actuelle directrice de la Santé qui travaille avec Vivian à superviser le Centre de santé de la Première Nation de Sturgeon Lake, nous avons décidé d’examiner les pratiques traditionnelles de santé, dans le but de les inclure dans les services offerts. Nous avons commencé à offrir des camps culturels, des séances d’information avec les aînés, de même que des protocoles et des cérémonies. La santé traditionnelle constitue une partie importante de ce que nous offrons à la communauté. »
Norma Rabbitskin, infirmière principale de la Santé, qui travaille au centre de santé local avec Shirley Bighead, qualifie « d’avant-gardiste » ce qui se passe dans la Première Nation de Sturgeon Lake.
« Nous sommes vraiment des pionniers ici, explique Mme Rabbitskin. Ce qui se produit dans la Première Nation de Sturgeon Lake relève du visionnaire. Bien sûr, il y a eu et il persiste des défis, mais le hic se situe principalement dans l’intégration de la guérison et des cérémonies traditionnelles dans la médecine occidentale. Par contre, nous commençons à en voir la concrétisation. »
Les 3 femmes conviennent pour dire que la réussite à Sturgeon Lake est attribuable aux leçons des aînés qui réfléchissent et parlent depuis longtemps à propos de l’intégration de diverses formes de savoir et d’être, de différents systèmes de connaissance.
Mme Rabbitskin fait remarquer que l’aîné Willie Ermine « dit depuis longtemps déjà que les gens du secteur de la santé doivent comprendre la culture et la vision du monde des personnes qu’ils desservent ».
Vivian Ramsden, membre d’une équipe de recherche participative en santé au sein du Collège de médecine de l’Université de la Saskatchewan, a pour principale passion les soins de santé primaires, la promotion de la santé et l’apprentissage transculturel. Elle aime situer ce qu’elle comprend des pratiques novatrices qui se déroulent dans la Première Nation de Sturgeon Lake dans le contexte plus large des paradigmes des soins de santé nationaux.
« Au Canada, nous avons eu pendant trop longtemps des chercheurs du domaine de la santé se déplaçant en hélicoptère, affirme Mme Ramsden. Ces chercheurs n’ont pas établi de relations à long terme avec les collectivités. En tant que chercheurs et médecins, nous devons miser sur les forces, les forces qui ont toujours existé. Nous devons cesser de nous appuyer sur des modèles axés sur la maladie et comprendre plutôt que les personnes sont véritablement engagées à prendre soin elles-mêmes de leur santé. Nous devons mobiliser les collectivités avec lesquelles nous travaillons. Il s’agit d’être vraiment dans et avec la population, de suivre des stratégies dirigées par les communautés qui améliorent la santé et le bien-être de la population ».
Mmes Rabbitskin et Bighead connaissent bien ce que veulent les personnes qui habitent au sein de la Première Nation de Sturgeon.
Les 2 femmes poussent des rires sincères lorsqu’elles affirment être complètement d’accord avec les critiques cuisantes d’un régime médical qui n’a jamais fait suffisamment pour les peuples autochtones au Canada. « Trop souvent, le système médical met en application des modèles axés sur la maladie, surtout dans nos collectivités, observe Mme Rabbitskin. Nous avons besoin de personnes qui recherchent des modèles de bien-être. Nous avons besoin de professionnels qui utilisent des modèles holistiques. »
« Les médecins sont efficaces quand il s’agit de la santé physique, reconnaît Mme Rabbitskin. Mais, pour cette communauté, il faut se servir d’un modèle holistique qui inclut la santé mentale, la santé émotionnelle et la santé spirituelle. L’idée que nos maladies puissent être guéries avec des prescriptions ou un diagnostic vient d’une vision étroite du monde. Une pilule n’a pas d’esprit. »
Shirley Bighead est d’accord et raconte une anecdote personnelle pour illustrer sa conviction. « Il y a plusieurs années, mon beau-père souffrait d’arthrite rhumatoïde chronique incapacitante. Il était tellement handicapé qu’il se déplaçait en fauteuil roulant. Il souffrait terriblement. Il a alors consulté un guérisseur traditionnel et en a été transformé. Je l’ai vu de mes propres yeux. Les 2 systèmes doivent travailler ensemble. »
Mme Ramsden donne un autre exemple concret d’un système de santé transculturel qui célèbre les façons autochtones de savoir et d’être. « Le tabac est considéré par la profession médicale comme un facteur de risque modifiable. Ce n’est pas envisagé ainsi dans les collectivités autochtones. En s’inspirant du savoir traditionnel à propos du tabac, plutôt que d’insister seulement que l’usage du tabac est toujours mauvais, la Première Nation de Sturgeon Lake a pu s’enorgueillir du fait qu’environ 50 % de ses habitations sont sans fumée. La moitié! Cette réussite protège les enfants et les adultes plus âgés qui vivent dans ces foyers contre divers problèmes de santé comme l’asthme et les maladies cardiaques. »
Le Green Light Program, en partenariat avec la Première Nation de Sturgeon Lake, a été si transformateur qu’il a fait l’objet d’une publication dans une revue révisée par des pairs2, de même que dans un chapitre d’un manuel révisé par des pairs3.
Autrement dit, le genre de recherche effectuée par Mme Ramsden répond aux appels lancés par Mmes Bighead et Rabbitskin, ainsi que d’autres membres de la collectivité de la Première Nation de Sturgeon Lake, d’adopter de nouvelles pratiques médicales et de promotion de la santé axées sur la communauté et réceptives aux Autochtones. En fin de compte, c’est exactement le genre de recherche auquel s’intéresse de plus en plus le monde de la santé et de la médecine, le genre de recherche qui reconnaît de multiples façons de comprendre le monde dans lequel nous vivons tous.
Selon Mme Ramsden, « nous devons sensibiliser davantage les résidents et les chercheurs aux méthodes mixtes. Souvent, le financement de la prévention est insuffisant même si, surtout dans la communauté, elle améliore les résultats. Dans cette collectivité, nous travaillons avec les médecins de famille et d’autres professionnels de la santé et nous les encourageons à se servir du meilleur des 2 mondes. Les Premières Nations devraient toujours avoir le choix ».
Shirley Bighead ajoute aux propos de Mme Ramsden. Les histoires de ces 2 femmes semblent, d’une certaine façon, tissées l’une dans l’autre. « Nous avons dans notre collectivité des résidents qui envisagent de traiter le diabète en s’inspirant des perspectives traditionnelles. Chaque année, nous recevons entre 4 et 6 étudiantes en soins infirmiers dans notre communauté. Nous savons que le fait de travailler ici change leur perception du monde. Tous ont vécu une expérience très positive. Chez la Première Nation de Sturgeon Lake, nous faisons de notre mieux pour orienter et changer la vision des gens à propos de la façon dont les Premières Nations veulent être valorisées et traitées. La médecine est une cérémonie, une prière au Créateur. C’est de lui que vient la guérison. »
« Nous devons retourner à un lieu où tous se soucient les uns des autres, résume Norma Rabbitskin. Nous sommes aux prises avec un traumatisme transgénérationnel dans nos collectivités. Ce n’est pas catégorisé sous un code ICD. Nous devons plutôt tous réapprendre qui nous sommes, en tant que genre humain, se respecter les uns les autres, s’aimer les uns les autres, ne pas se battre entre des mondes autochtones et non autochtones. C’est un enseignement sacré que de respecter toute vie. Je crois que nous y arrivons dans la Première Nation de Sturgeon Lake. Nous avons peut-être perdu notre chemin, mais nous le retrouvons. Nous tous. »
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2017 issue on page 56.
Mme Bighead est membre de la Première Nation de Sturgeon Lake en Saskatchewan et directrice de la Santé au Centre de santé de Sturgeon Lake. Elle concentre ses efforts sur l’amélioration de la santé dans la collectivité, ce qui a conduit la Première Nation de Sturgeon Lake à devenir une communauté « réaxée sur la santé ». De plus, elle a grandement soutenu le Green Light Program et y a participé en créant des modèles pour la cessation de l’usage du tabac à des fins non traditionnelles durant les premières étapes du programme. Mme Rabbitskin parle couramment le cri, vient de la Première Nation de Big River en Saskatchewan et occupe présentement le poste d’infirmière principale de la Santé dans la Première Nation de Sturgeon Lake. Sa passion est d’aider à élaborer des programmes communautaires profondément ancrés dans les valeurs de guérison qui découlent d’un réengagement dans les pratiques traditionnelles de guérison, des habiletés de parentage et de l’acquisition des compétences traditionnelles de vie par les enseignements des aînés et des gardiens du savoir, tout en préservant la vitalité de la langue dans l’édification des connaissances et l’atteinte du bien-être. Mme Ramsden est infirmière autorisée, professeure et directrice de la Division de la recherche au Département de médecine familiale de l’Université de la Saskatchewan et membre honoraire du Collège des médecins de famille du Canada. Elle est une ardente défenseure de la recherche participative en santé et axée sur le patient; par conséquent, ses intérêts en recherche se situent dans ce domaine, de même qu’en soins de santé primaires, en prévention et en prise en charge des maladies chroniques.
Le Projet de la page couverture Les visages de la médecine familiale a évolué pour passer du profil individuel de médecins de famille au Canada à un portrait de médecins et de communautés des diverses régions du pays aux prises avec des iniquités et des défis omniprésents dans la société. Nous espérons qu’avec le temps, cette collection de pages couvertures et de récits nous aidera à améliorer nos relations avec nos patients dans nos propres communautés.
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