Le Dr Alan Katz ne dissimule pas ses préjugés. C’est peut-être parce qu’il a grandi en Afrique du Sud et a vu de ses propres yeux comment les partis-pris peuvent être considérés comme normaux si on omet d’y réfléchir, de les étaler au grand jour.
« Je m’étais fait une idée de la pratique rurale quand je suis arrivé au Canada. Je venais de Cape Town, une grande ville. Je ne comprenais pas comment des médecins pouvaient travailler dans de petites villes. Je ne savais pas que la vie rurale pouvait être emballante, captivante. J’ai donc eu un choc culturel lors de ma première expérience en Saskatchewan rurale. Je ne m’attendais vraiment pas à y rester. »
C’est peut-être aussi parce que le Dr Katz était disposé à écouter les voix auxquelles les médecins de famille canadiens ne sont parfois pas exposés, ni même réceptifs à les écouter attentivement, à apprendre d’elles.
« Je dirais qu’il y a 10 ans, comme de nombreux médecins, si vous m’aviez parlé de faire de la recherche avec des Premières Nations, j’aurais exprimé beaucoup d’inquiétudes, qu’un tel environnement m’apparaissait difficile. J’aurais levé les yeux au ciel en entendant des notions comme “un colonialisme persistant”. Puis, j’ai rencontré Kathi Avery Kinew. C’est l’une des personnes les plus sages que je connaisse. »
Kathi Avery Kinew, qui détient un doctorat de l’Université du Manitoba et travaille avec le Secrétariat à la santé et au développement social des Premières Nations du Manitoba, a fait comprendre au Dr Katz que, fondamentalement, le redressement des iniquités en matière de santé que vivent les peuples autochtones au Canada ne peut se produire qu’avec la disparition des préjugés sous-jacents et systémiques dont ils sont victimes.
Éventuellement, le Dr Katz a établi des parallèles entre les divisions dont il a été témoin en Afrique du Sud et celles qu’il a vues dans sa pratique et son quotidien au Canada. « L’une des raisons qui m’ont poussé à quitter l’Afrique du Sud était l’idée complètement erronée que seules les personnes de race noire pouvaient résoudre leurs problèmes; en tant que personne de race blanche, je n’y pouvais rien pour que se produisent les changements nécessaires. En rétrospective, j’avais tort. »
De bien des façons, les préjugés antérieurs du Dr Katz ont façonné son approche à l’endroit des pressants enjeux actuels auCanada. « La réconciliation exige un engagement actif de nombreuses parties. Au Canada, c’est un devoir qui incombe à la fois aux Premières Nations et aux non-Autochtones. Les Premières Nations auront une bonne part du fardeau à porter, car ce n’est pas aux non-Autochtones de dire aux Premières Nations comment faire pour être dans une situation plus avantageuse, car elles ont déjà les aptitudes et les apprentissages pour ce faire. Mais, pour notre part, nous devons changer nos attitudes (et les lois) pour appuyer le travail qu’elles accomplissent déjà. »
Il est le premier à admettre que ce ne fut pas une sinécure d’en arriver à cette vision du monde. « Il a fallu 18 mois à Kathi et son équipe pour me faire confiance. J’apprends encore, chaque semaine. Je crois que je suis toujours en train de me débarrasser petit à petit de mes perspectives colonialistes de blanc. Kathi dit que je suis un ouvrage en devenir! »
« Ce fut tout un cheminement pour essayer de comprendre les défis du travail avec les Autochtones, de le faire avec respect. Ce n’est pas si simple mais, en définitive, je connais une transformation. Je me rends compte que c’est le genre de recherche que je veux faire. Je veux comprendre les répercussions de la colonisation. J’ai toujours voulu faire de la recherche et pratiquer de manière significative. »
Le Dr Alan Katz réalise son rêve d’accomplir un travail significatif de manière très concrète : il dirige un projet de recherche-action participative communautaire, guidé par son mentor Kathi Avery Kinew et en partenariat avec la Dre Josée Lavoie, intitulé « Innovations dans les soins de santé communautaires de première ligne appuyant la transformation de la santé des Premières Nations et des collectivités rurales/éloignées du Manitoba »
« Essentiellement, nous nous interrogeons sur la forme que prennent les soins primaires dans les collectivités des Premières Nations, sur leurs besoins et les modèles qui fonctionneraient bien chez les Autochtones. »
Le Dr Katz croit que la majorité de la recherche sur les soins de première ligne au Canada ignore les soins communautaires dans les collectivités des Premières Nations. Se rappelant sa propre attitude à l’endroit de la pratique rurale lorsqu’il est arrivé au Canada, il croit aussi que les soins ruraux, surtout pour les Autochtones, sont délaissés par la recherche et sont mal compris. C’est pourquoi le Dr Katz est revenu dans un milieu rural, assez semblable à celui où il croyait ne jamais rester bien longtemps. Il travaille dans des communautés comme Cross Lake au Manitoba. Le travail qualitatif de son équipe comporte de documenter des récits venant d’aînés, de directeurs de la santé et de citoyens moyens au sujet des changements qu’ils envisagent pour faire en sorte que leurs collectivités et leurs familles retrouvent leur santé et leur intégralité.
Par ailleurs, il ne se fait pas d’illusions sur son rôle, ayant compris les leçons très certainement inculquées par des experts en matière de Premières Nations comme Kathi Avery Kinew : « Vous entendez encore des gens dire qu’ils se sont engagés à régler le “problème” des Premières Nations. Ce n’est pas à nous de régler quoi que ce soit, mis à part nos propres attitudes. En définitive, rien ne sera réglé par un chercheur blanc. Nous devons faire preuve de bien plus d’humilité. Je pourrai peut-être faciliter certaines choses, mais je crois que, pour ne pas se tromper, il faut demeurer très attentif. Vous devez apprendre à même l’expertise de la communauté. »
Parmi ses apprentissages, le Dr Katz a entendu haut et fort de la communauté qu’il faut plus de recherche ciblée sur la santé mentale, que les soins de première ligne doivent tenir compte de manière plus approfondie et adaptée à la culture des besoins en santé mentale, en particulier des jeunes des collectivités des Premières Nations.
« L’expression de ce besoin m’a poussé à réfléchir à la façon d’aborder la santé mentale en soins de première ligne. L’une des collectivités avec qui nous travaillons a pris l’initiative, en se fondant en partie sur nos travaux, de former 15 personnes en premiers soins en santé mentale. Ce n’est pas une grosse équipe, mais elle fera une différence. Elle changera la rhétorique. »
De petits changements qui contribuent à changer la rhétorique plus large sont au cœur du travail du Dr Alan Katz. Il ne s’en fait pas si le changement est lent à se produire. Il est un homme patient, ayant quitté son pays natal il y a longtemps, croyant ne pas avoir de rôle à jouer dans les changements qui y étaient nécessaires. C’est un peu comme si les Premiers Peuples du Canada lui donnaient une deuxième chance. C’est une chance qu’il chérit.
« C’est un si grand drame humain. La réconciliation est une question de relations. Nous devons l’aborder avec ouverture d’esprit et de cœur, avec engagement. Nous avons tant de chemin à parcourir, mais les premiers pas sont faits. C’est une question très complexe. J’ai dû découvrir une nouvelle façon d’apprendre, de réfléchir à la recherche. Mais, en fin de compte, je suis allé en médecine familiale avec le désir d’entretenir une relation avec mes patients. Mes expériences les plus marquantes ne concernent pas le diagnostic d’une rare maladie, mais plutôt le cadeau d’une patiente d’une couverture crochetée pour ma fille. Nous devons tous nous investir dans l’élévation de notre société. »
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2017 issue on page 784.
Le Dr Katz est directeur du Manitoba Centre for Health Policy, professeur au Département de médecine familiale et au Département des sciences de la santé communautaire à l’Université du Manitoba à Winnipeg et chercheur principal désigné du projet intitulé « Innovations dans les soins de santé communautaires de première ligne appuyant la transformation de la santé des Premières Nations et des collectivités rurales/éloignées du Manitoba (iPHIT) »
Le Projet de la page couvertureLes visages de la médecine familiale a évolué pour passer du profil individuel de médecins de famille au Canada à un portrait de médecins et de communautés des diverses régions du pays aux prises avec des iniquités et des défis omniprésents dans la société. Nous espérons qu’avec le temps, cette collection de pages couvertures et de récits nous aidera à améliorer nos relations avec nos patients dans nos propres communautés.
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