Le bilan de santé annuel est une tradition de longue date en Amérique du Nord. Cette visite comporte habituellement une revue des antécédents médicaux du patient, de ses médicaments, de ses allergies et de la fonction des divers organes, de même qu’un examen physique « complet », parfois suivis d’analyses de laboratoire et d’une discussion sur les risques pour la santé, le mode de vie et la situation sociale. Ces rendez-vous demandent du temps et des ressources considérables, et l’on a beaucoup débattu de la pertinence de ces efforts par rapport aux bienfaits pour la santé1–6.
Le Groupe d’étude canadien sur l’examen médical périodique, établi en 1976, compte parmi les premiers groupes à utiliser des méthodes systématiques pour évaluer les services à inclure dans cet examen. Dans son premier rapport, il recommandait l’abandon de l’examen annuel7 pour le remplacer par « des mesures de protection de la santé » selon l’âge visant la détection et la prise en charge précoce de problèmes potentiellement évitables. Le rôle de l’examen physique dans les soins préventifs a été minimisé au profit d’activités comme l’évaluation des facteurs de risque.
Plus récemment, les conclusions d’un forum sur des questions pertinentes à la pratique générale et familiale, en association avec Choisir avec soin Canada, recommandaient aussi que les médecins de famille ne fassent pas d’examen physique annuel, mais procèdent plutôt à des vérifications périodiques préventives de la santé8.
Revue des données probantes
Des chercheurs ont étudié l’utilité des bilans de santé généraux en soins primaires en s’appuyant sur des études randomisées contrôlées (ERC) d’envergure depuis les années 1960 et aucune n’a fait ressortir clairement de bienfaits. Une revue systématique de Cochrane en 2012 évaluait 14 études portant sur 182 880 patients. Chez les patients ayant subi des examens médicaux généraux, il n’y avait pas de réduction dans le taux de mortalité total (9 études, N = 155 899; risque relatif [RR] de 0,99, IC à 95 % de 0,95 à 1,03), de mortalité cardiovasculaire (8 études, N = 152 435; RR = 1,03, IC à 95 % de 0,91 à 1,17) ou de mortalité due au cancer (8 études, N = 139 290; RR = 1,01, IC à 95 % de 0,92 à 1,12)9.
Plusieurs études ont signalé que les bilans de santé généraux ont fait augmenter le nombre de personnes identifiées comme ayant des facteurs de risque cardiovasculaires (p. ex. hypertension, cholestérolémie élevée) et le nombre total de diagnostics par rapport aux soins habituels. Dans certaines études, d’autres paramètres étaient évalués, comme les hospitalisations, la fréquence des visites, le nombre d’interventions diagnostiques, les prescriptions de médicaments, de même que la santé et l’incapacité telles que perçues par les patients. Cependant, la rigueur et l’uniformité dans ces études n’étaient pas suffisantes pour en tirer des conclusions précises. La plupart des études ont été réalisées avant l’avènement de traitements efficaces des risques cardiovasculaires ou de programmes de dépistage et de traitement du cancer, ce qui soulève l’hypothèse que les bilans de santé généraux pourraient être plus bénéfiques de nos jours. Une vaste étude dans la communauté10 avait commencé le recrutement en 1999, et les résultats ont été rapportés après la publication de la revue de Cochrane9. Cette étude comparait 11 626 patients choisis au hasard pour faire l’objet d’un dépistage des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires ischémiques, d’un counseling sur le mode de vie et d’une prise en charge moderne des maladies, à 47 987 sujets témoins. Les sujets du groupe d’intervention étaient évalués de 2 à 4 fois durant les 5 premières années de l’étude, selon leur degré de risque. Après 10 ans, il n’y avait pas de différence entre les groupes dans la mortalité totale ou dans la mortalité due à une cardiopathie ischémique ou à un AVC.
Des préoccupations ont été soulevées quant au fait que la revue de Cochrane insistait seulement sur la mortalité, qu’elle n’analysait pas d’autres bienfaits potentiels des examens médicaux généraux et qu’un certain nombre des études incluses étaient réalisées dans des milieux ou des populations atypiques de la pratique générale6. Une revue systématique subséquente de 4 ERC effectuées seulement en pratique générale a montré que les bilans de santé généraux semblaient améliorer d’autres critères de substitution (cholestérolémie, pression artérielle et indice de masse corporelle), mais a révélé une hausse de la mortalité cardiovasculaire dans les groupes d’intervention11. Dans l’ensemble, les données probantes font valoir que les bilans de santé apportent des bienfaits dans des critères de substitution au sein de la population adulte en général.
D’autre part, des données probantes corroborent qu’une prévention périodique ciblée semble effectivement bénéfique. Une méta-analyse de 19 études sur des interventions de prévention en soins primaires chez des personnes de plus de 65 ans a conclu à une réduction de 17 % de la mortalité et à une hausse de 23 % de leur probabilité de vivre de manière autonome dans la communauté12. Une plus récente ERC en soins primaires a aussi fait valoir une baisse de la mortalité sur une période de 8 ans et une meilleure conformité aux recommandations en matière de soins préventifs chez les personnes de plus de 65 ans qui faisaient l’objet d’une évaluation des risques pour la santé ainsi que d’interventions de la part d’omnipraticiens et de counseling par des infirmières en soins primaires durant une période d’intervention de 2 ans13.
Dans toutes les activités de prévention et de dépistage visant des personnes asymptomatiques, les surdiagnostics et les tests excessifs sont sources de préoccupations, surtout lorsque les bienfaits sont minimes ou spéculatifs14. L’examen médical annuel pourrait accroître la probabilité de trouver des problèmes d’une importance clinique incertaine. Même si l’investigation et le traitement d’anomalies trouvées par hasard peuvent être bénéfiques, il faut trouver un juste équilibre par rapport aux préjudices potentiels de l’étiquetage, des résultats faux positifs ainsi que des complications pouvant résulter des tests de suivi et du traitement inutile. Ce n’est que tout récemment que les études sur le dépistage ont tenté de mesurer le coût des diagnostics faux positifs ou des traitements inutiles.
Façons de procéder à l’avenir
Les données probantes actuelles font valoir que l’approche la plus appropriée pour fournir des services de prévention en santé est l’adoption des visites médicales préventives périodiques au lieu des bilans de santé annuels. Les concepts et les principes du Centre de médecine de famille offrent un modèle pour élaborer et adopter des approches organisationnelles à l’égard de tels rendez-vous15. L’intervalle entre les visites dépend de l’âge, du sexe et de l’état de santé de la personne et, parce qu’il y a des différences dans les milieux de pratique et la disponibilité des ressources selon la région du Canada, les stratégies fondées sur la pratique peuvent varier dans la réalité. Toutefois, toutes les approches organisationnelles devraient tenir compte de divers concepts clés jugés importants dans la prestation de services de santé préventifs.
D’abord, les services de santé préventifs devraient s’inscrire dans la poursuite et le maintien de la notion centrale de la relation patient-médecin3–6 comme partie intégrante de la continuité des soins et de l’expérience partagée qui se développe avec le temps lorsqu’on aide les patients à vivre leurs événements de santé.
Deuxièmement, les médecins doivent prendre en compte l’équilibre entre les préjudices et les bienfaits potentiels des interventions de dépistage. Dans certaines circonstances où il existe de solides données probantes selon lesquelles les résultats souhaités du dépistage dépassent les torts qu’il peut causer, les médecins peuvent être confiants que l’intérêt supérieur de la plupart de leurs patients serait mieux assuré si ces derniers suivaient les recommandations (p. ex. vaccination, counseling en cessation du tabagisme et dépistage du cancer du col). Dans d’autres circonstances, les bienfaits du dépistage peuvent être moins clairs en raison du compromis entre les bienfaits et les torts, comme des résultats faux positifs ou un surdiagnostic (p. ex. mammographie de dépistage du cancer du sein et mesure de l’antigène prostatique spécifique pour le cancer de la prostate). Dans de telles situations, l’approche organisationnelle devrait être une prise de décision partagée entre le médecin et le patient, et la reconnaissance que les préférences et les valeurs de chaque patient pourraient faire pencher la balance en faveur ou contre l’intervention de dépistage préventif16.
Étant donné que la durée de la visite moyenne en pratique familiale n’est pas suffisante pour couvrir tous les problèmes potentiellement pertinents, nous devons concevoir des méthodes pour offrir ces services plus efficacement. Diverses approches ont été mises à l’essai. En 2008, le Royaume-Uni a mis sur pied un programme de prévention selon lequel tous les citoyens de 40 à 74 ans avaient un bilan de santé gratuit aux 5 ans, qui se concentrait sur le dépistage des facteurs de risque cardiovasculaires. Il n’est pas surprenant que des facteurs de risque cardiovasculaires aient été dépistés et traités17, mais les avantages de ce dépistage demeurent imprécis18.
Une deuxième approche consiste à compter un responsable ou un spécialiste de la prévention au sein des cliniques de soins primaires19,20. L’essai BETTER (acronyme en anglais pour Miser sur les outils existants pour améliorer la prévention et le dépistage des maladies chroniques en soins primaires) a instauré une intervention basée dans la clinique avec un responsable de la prévention, et une intervention auprès de chaque patient effectuée par un facilitateur (une infirmière praticienne désignée ou une infirmière de la clinique) qui avait un rendez-vous de 1 heure avec le patient et élaborait ensuite une prescription individualisée de mesures de prévention. Les auteurs ont constaté que la présence d’un spécialiste de la prévention à la clinique s’est traduite par une meilleure prestation des services préventifs à un coût raisonnable (26,43 $ [IC à 95 % de 16 à 44 $] par mesure de prévention additionnelle effectuée)19.
Un portail sur le bien-être basé sur le web et relié au dossier médical électronique constitue une troisième approche à envisager. Nagykaldi et ses collègues21 ont effectué un essai randomisé par grappes évaluant un portail sur le bien-être dans 8 cliniques et portant sur 422 adultes. L’utilisation du portail a entraîné une augmentation de la participation active des utilisateurs et de leur perception de l’accent mis sur le patient, de même qu’un plus grand nombre de services préventifs recommandés reçus par ces derniers.
Une façon de procéder à l’avenir pourrait être de faire en sorte que les provinces fournissent le financement par l’entremise d’un code de facturation ou d’une rémunération directe des spécialistes de la prévention dans le contexte d’une équipe de santé afin d’améliorer la prestation des services préventifs. L’élaboration d’un portail pancanadien pour les patients pourrait aussi améliorer la prestation des services.
Conclusion
L’efficacité de l’examen médical annuel traditionnel chez les adultes asymptomatiques n’est pas appuyée par des données probantes. Cette activité pourrait même causer des préjudices et elle ne devrait pas être systématique. Il vaudrait mieux procéder à des visites de prévention périodiques (c.-à-d. selon les risques et des intervalles de tests précis) avec un professionnel des soins primaires (p. ex. médecin de famille, infirmière praticienne, infirmière) qui offrirait du counseling en prévention, la vaccination et les tests de dépistage dont on connaît l’efficacité. Il semble que cette approche soit particulièrement utile pour les personnes de plus de 65 ans. La prestation de services préventifs en soins primaires exige un nouveau financement du système de santé, qui pourrait provenir des fonds autrement consacrés à la facturation des examens médicaux annuels.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2017 issue on page 824.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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