Le Dr George Southey fait partie d’un chœur de chant. Il est aussi un passionné de la planche à voile et un ardent skieur.
À première vue, ces passe-temps ne semblent pas avoir beaucoup en commun. Questionnez George à propos de ces activités et il vous expliquera les similitudes entre elles qui les lui rendent si attrayantes.
« Il y a de la beauté dans l’harmonie, observe le Dr Southey. Vous ressentez cette sensation d’euphorie, ce sentiment du sublime. Là où tout est en parfaite harmonie. Les voix dans un chœur. La beauté d’un corps qui se balance dans la nature, qui glisse dans la neige ou sur l’eau. Le vent, la voile. Tout ne fonctionne pas toujours parfaitement mais, quand c’est le cas… l’harmonie…enfin, sa poésie physique. »
La quête d’harmonie et d’équilibre du Dr Southey lui vient peut-être aussi des longues soirées assis à la table de la cuisine familiale. Son père était avocat plaideur. Le frère de George est aussi avocat. Sa sœur a passé des années au service d’institutions emblématiques comme la CBC et le CRTC (Conseil de la radio-diffusion et des télécommunications canadiennes). Son arbre généalogique a des ramifications jusque dans la Gendarmerie royale du Nord-Ouest canadien et dans la rébellion de Riel en 1869.
L’équité et la justice étaient au cœur de nombreux débats lors des soupers en famille.
Au cœur des questions philosophiques au sujet de l’équité et la justice figurent toujours des questions d’harmonie et d’équilibre.
« Les causes devant les tribunaux dont nous parlait papa et que nous discutions, c’était notre pain et notre beurre à la table familiale. Elles nous imprégnaient jusqu’à la moelle. Les grands sujets de nos conversations familiales portaient toujours sur les idéaux. Comment préserver nos idéaux? Comment le changement se produit-il sans compromettre nos idéaux? Comment se préoccuper de l’individu tout en respectant ses obligations envers la collectivité? »
Devenir médecin de famille était un peu un affront à la tradition familiale, explique George en riant. Les personnes de la même génétique avaient tendance à travailler dans le domaine du droit, dans des activités en lien avec la justice. Peut-être alors est-ce bien le cas de la pomme qui n’est pas tombée bien loin de l’arbre car, dès la fin des années 1980, le Dr Southey se posait des questions d’ordre juridique à propos de la médecine familiale, à propos d’idéaux. « Comment les médecins de famille peuvent-ils être généralistes, avoir des connaissances dans tous les domaines, tout en réussissant dans la pratique et en préservant nos principes et nos idéaux? » Ces questions étaient en partie soulevées par une autre constatation du Dr Southey : « J’ai observé des comportements qui n’étaient pas, en fait, n’étaient pas entièrement conformes aux idéaux avec lesquels j’ai grandi et qui étaient enseignés à la faculté de médecine. »
Le Dr Southey n’était pas tant préoccupé par des incidents en particulier : il était davantage intéressé à comprendre les grandes tendances dans le comportement humain, en particulier dans les milieux de la pratique familiale. C’était pour lui une question d’idéaux et de principes. Alors, comment recueillir des données probantes expliquant ce qui motive les gens à agir de certaines façons? « Je voulais examiner si la pratique médicale (dans les cliniques en Ontario) répondait ou non aux attentes des médecins et aux attentes des patients. Je cherchais à comprendre comment pensent et agissent les médecins quand des problèmes surviennent quant aux attentes à notre endroit comme médecins de famille. »
Comme le fait rapidement remarquer le Dr Southey, l’enjeu se situait dans le fait que « si vous ne pouvez pas le mesurer, vous ne pouvez pas le gérer ».
C’est alors que le Dr Southey est devenu en quelque sorte un pionnier dans la mesure des idéaux et des attentes au sujet de l’efficience. Il soutient qu’il existe une association incontournable entre l’efficience et l’efficacité du fonctionnement du système de santé et la solidité des soins primaires complets qui valorisent des relations fondées sur l’accès, le savoir, la confiance et la sensibilité, tant entre les cliniciens et les patients qu’au sein de l’équipe1–8. « Il faut toujours un équilibre entre les besoins et les attentes, mais il doit aussi y avoir un sentiment de “qualité accomplie”. C’est la base. Si vous avez l’impression qu’on vous demande de faire des choses qui n’ont pas de sens, en tant que patient ou médecin, vous finissez par avoir une dissonance cognitive. »
George Southey a été parmi les premiers adeptes des dossiers médicaux électroniques (DME). En 1989, il a choisi un logiciel de DME qui permettrait à l’utilisateur d’extraire l’information, de « jouer avec les données » comme il dit. Dès le départ, en travaillant avec les dossiers, il était en mesure de colliger des données et de donner de la rétroaction au personnel dans sa clinique. Il s’intéressait à l’efficience et à l’intégralité des soins primaires.
Dès 1993, les travaux du Dr Southey ont suscité l’attention du Collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario qui l’a recruté comme évaluateur de pairs dans d’autres cliniques à l’aide des DME.
« J’ai examiné plus de 300 cliniques en Ontario, dans les banlieues, en milieu rural et urbain, dans le Nord et spécialisées en besoins spéciaux. Nous avons couvert presque tout. La plupart des cliniques étaient assez bonnes, moins de 10 % ont reçu des suggestions pour apporter des améliorations mineures et moins de 1 % avaient des problèmes plus sérieux. Les cliniques problématiques semblaient souvent s’être éloignées des idéaux et des principes du médecin et les attentes des patients n’étaient plus satisfaites adéquatement. En réalité, quand on travaille dans un vide de rétroaction, on perd de vue sa raison d’être. »
Ses réflexions à propos d’une rétroaction productive sur le rendement viennent de ses années de travail avec les données approfondies fournies par les DME et de son expérience « aux premières lignes » à la clinique Dorval Medical à Oakville, en Ontario, qu’il a établie en se fondant expressément sur des idéaux et des principes d’accès, de savoir, de confiance et de sensibilité. À ces principes, il a ajouté d’autres idéaux de l’auteur bien connu, Daniel Pink, qui maintient que la motivation des personnes se produit quand elles ont un sentiment de raison d’être, d’autonomie et de maîtrise. Il a consacré des années à donner des soins enchâssés dans ces idéaux. Tout compte fait, les mesures ont mis en évidence une efficience considérablement améliorée et l’atteinte d’une qualité supérieure.
Le Dr Southey croit fermement que la pratique familiale au Canada aspire à un profil d’idéaux très élevés : « Les soins de santé représentent un équilibre entre les attentes des médecins et celles des patients. Il faut de l’harmonie entre elles. Lorsque les 2 se chevauchent, si elles sont sur la même longueur d’onde, il y a une plénitude, une intégralité. Dans une clinique où les idéaux ou les principes d’un médecin ne sont pas respectés, ce dernier peut se sentir piégé. La majorité des Canadiens estiment être bien servis par les médecins de famille. Mais, nous voyons parfois des gens pris dans des situations défavorables. Dans bien des cas, c’est parce que l’on a perdu de vue notre humanité. Nous devons nous rappeler que la technologie ne peut pas concurrencer la puissance de la relation humaine. Nous avons tous besoin d’un visage familier et amical qui prend la défense de nos intérêts. Il faut une acceptation formelle de la rétroaction entre le public et les professionnels pour renforcer la valeur des relations en pratique familiale, de même que la mesure et l’assurance que la relation (centrée sur le patient) apporte de la satisfaction au patient et au médecin. C’est aussi le fondement de la qualité, de l’équité et de l’efficience du système. »
Cette acceptation formelle dont parle le Dr Southey exigera une adaptation. Tout revient à la passion de George pour la mesure et les données, à l’appui des idéaux et des principes qui, admet-il, changent souvent et évoluent.
Pour lui, ce n’est pas du tout une réalité troublante.
De fait, peut-être par déférence pour toutes ces conversations légalistes compliquées durant les soupers en famille il y a bien des années, George Southey demeure lucide et se rend compte que, même guidé par des principes, les idéaux ne sont jamais totalement réalisables : « Nous devons toujours nous adapter. L’adaptation n’est jamais facile, mais c’est exactement ce qui doit se produire. Un rêve évolue sans cesse. Il ne faut jamais abdiquer devant la réalisation de nos rêves. »
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2017 issue on page 872.
Le Dr Southey est médecin de famille à Oakville, en Ontario, où il habite, exerce et tire satisfaction de ses relations avec 1400 patients. En plus des nombreuses évaluations de la qualité en tant que pair, il a agi comme consultant en matière de qualité des soins primaires en présentant des analyses, des opinions d’expert et des témoignages dans plus de 170 causes devant les tribunaux et dossiers de réglementation.
Le Projet de la page couverture Les visages de la médecine familiale a évolué pour passer du profil individuel de médecins de famille au Canada à un portrait de médecins et de communautés des diverses régions du pays aux prises avec des iniquités et des défis omniprésents dans la société. Nous espérons qu’avec le temps, cette collection de pages couvertures et de récits nous aidera à améliorer nos relations avec nos patients dans nos propres communautés.
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