La réalité virtuelle (RV) désigne une technologie informatique qui crée un environnement artificiel simulé en 3 dimensions. Il s’agit d’un visiocasque et d’une paire d’épaisses lunettes branchées sur un ordinateur ou un téléphone cellulaire. Le visiocasque est doté de capteurs qui suivent les mouvements de la tête de l’utilisateur et donnent l’illusion qu’il bouge tout autour dans l’espace virtuel. Au cours des 15 dernières années, la technologie, l’accessibilité et l’application généralisée de la RV ont considérablement progressé. La technologie de la RV situe le patient dans un « univers virtuel », comme les fonds sous-marins dans Aqua1, grâce à une immersion audio et visuelle, et elle incite l’utilisateur à interagir avec ce monde2. Initialement conçue à des fins de divertissement, son utilisation potentielle dans le monde médical a récemment été explorée. Les études expérimentales sur la RV dans les traitements pour l’anxiété et le trouble du stress post-traumatique et pour composer avec la douleur démontrent le potentiel de cette technologie3.
Prise en charge de la douleur et de l’anxiété à l’aide de la technologie de la RV chez l’enfant
La douleur est une expérience complexe qui fait intervenir des composantes sensorielles, cognitives, comportementales et psychologiques. Les interventions douloureuses comme les vaccins, les injections intraveineuses, la réparation de lacérations et les changements de pansements pour des brûlures font partie intégrante des traitements médicaux pédiatriques3. Les situations douloureuses durant ces interventions entraînent souvent de l’anxiété chez les patients, ce qui peut causer de la crainte et nuire amplement à la conformité à d’autres interventions futures. De plus, les problèmes qui engendrent des douleurs chroniques, comme la drépanocytose, peuvent aussi avoir des effets néfastes sur la vie des enfants.
Au nombre des analgésiques pharmacologiques courants pour les enfants figure la thérapie aux opioïdes, connue pour causer une forte dépendance et induire la tolérance4. Les opioïdes ont aussi un profil d’innocuité défavorable chez les enfants, notamment des effets secondaires allant de la nausée à la constipation en passant par la déficience cognitive et la dépression respiratoire5.
La distraction est une technique non pharmacologique courante utilisée par les professionnels de la santé pour prendre en charge et atténuer l’anxiété, et possiblement la douleur, durant des procédures douloureuses chez des patients pédiatriques6. Autant la distraction passive (p. ex. regarder la télévision, écouter la lecture d’un livre) que la distraction active (p. ex. jouets interactifs, jeux électroniques) ont fait l’objet d’études exhaustives et elles diminuent la douleur et l’anxiété6. La réalité virtuelle pourrait offrir une plus grande distraction, parce qu’elle immerge entièrement le patient dans un autre monde et fait intervenir plusieurs sens7. Les patients peuvent participer activement ou passivement à de nombreux programmes potentiels (Tableau 1)4,5,8–14.
Comment la RV influence-t-elle la douleur?
La théorie sous-jacente au rôle de la RV dans la réduction non seulement de l’anxiété, mais aussi de la douleur, est reliée à la capacité d’attention limitée de l’être humain. La douleur exige de l’attention et, si une certaine part de cette attention peut être divertie (p. ex. par une interaction avec la RV), le patient aura une réaction plus lente aux signaux de douleur émergents8. La douleur est détectée par des récepteurs nociceptifs situés un peu partout dans le corps qui transmettent les signaux de douleur au système nerveux central par des fibres A-δ et C15. De nombreux analgésiques agissent en interrompant la voie des fibres C et en influençant ainsi la façon dont les humains ressentent la douleur. La réalité virtuelle n’interrompt pas les signaux de douleur, mais agit directement et indirectement sur la perception et le signalement de la douleur par l’intermédiaire de l’attention, de l’émotion, de la concentration, de la mémoire et d’autres sens15.
Une étude s’appuyant sur l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle auprès de patients en santé qui utilisaient la RV alors qu’ils étaient exposés à un stimulus douloureux (simulateur de douleur thermique au pied) a démontré une réduction de plus de 50 % dans l’activité cérébrale reliée à la douleur dans 5 zones du cerveau16. Une étude portant sur 9 sujets de 20 à 38 ans comparait la simulation de la RV à des analgésiques opioïdes durant une stimulation de douleur thermique, et les résultats étaient mesurés à partir du signalement subjectif de la douleur et de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle9. La réalité virtuelle et les analgésiques opioïdes obtenaient des résultats très semblables sur le plan de la réduction de la douleur, et il a été démontré qu’une combinaison d’opioïdes et de RV se traduisait par une réduction additionnelle significative dans les signaux de douleur (p < ,01)9.
Applications pour la prise en charge de la douleur
Des études portant sur l’utilité de la RV font valoir des réductions dans la douleur à la fois aiguë et chronique chez les enfants6. Même si la douleur causée par les vaccins n’est pas énorme, il n’est pas rare que les parents remettent à plus tard les injections pour leurs enfants parce qu’ils s’inquiètent de l’inconfort17. Dans une étude sur 244 enfants de 2 à 16 ans, en Californie, qui recevaient leur vaccin antigrippal saisonnier, le recours à la RV environ 30 secondes avant, pendant et après la vaccination était associé à une réduction de 45 à 74 % de la douleur ressentie par rapport aux soins habituels18. Ces résultats ont été recueillis au moyen d’un questionnaire rempli par les enfants, les parents et le personnel immédiatement après l’administration du vaccin; il évaluait la crainte, la douleur, le souhait d’utiliser la RV à l’avenir, la relaxation procurée par la RV et la facilité avec laquelle le personnel a pu administrer le vaccin19.
Les pansements immédiats pour les brûlures8,20 et les interventions de réadaptation10 sont douloureux, mais ils sont importants pour prévenir les infections, les contractures et la limitation de l’ampleur des mouvements chez les victimes de brûlures. Hoffman et ses collègues ont intégré la RV et les jeux vidéo dans le traitement standard des patients blessés par brûlures5,8,10,21. Dans une étude sur 11 patients victimes de brûlures âgés de 9 à 40 ans qui exigeaient une hospitalisation, on a signalé une diminution de 35 à 50 % de la douleur perçue lorsque la RV était utilisée avec le traitement pharmacologique standard par rapport à la pharmacothérapie seule5. Cette évaluation par les sujets se fondait sur 3 cotes subjectives de douleur (cognitive, affective et sensorielle) en fonction d’une échelle d’évaluation graphique (EEG) allant de 0 à 10, suivie par 4 questions subjectives portant sur le divertissement vécu et sur le « réalisme » de la RV (mesurées elles aussi selon une EEG de 0 à 10)5. Une étude de plus grande envergure effectuée auprès de 54 enfants de 6 à 19 ans qui suivaient une physiothérapie dans l’unité des grands brûlés du même hôpital a fait valoir des diminutions significatives dans la perception de la douleur (27 à 44 %, p < ,05), de même qu’une hausse de l’affect (« plaisir ») (p < ,001)10. Ces résultats ont été mesurés au moyen d’outils se servant d’EEG allant de 0 à 100 pour les mêmes questions et portent à croire que ces patients se conformeront davantage au traitement, d’où de meilleures issues à long terme10.
Un groupe de recherche à l’Hôpital pour enfants Benioff à San Francisco, en Californie, a élaboré un logiciel de RV destiné aux enfants souffrant de crises de douleur aiguës dues à la drépanocytose (crises vaso-occlusives)12. Dans un groupe de 25 enfants et jeunes adultes de 10 à 25 ans, il s’est produit une réduction de 16 % dans l’intensité de la douleur et une baisse de 33 % dans les descripteurs de la douleur, selon une évaluation à l’aide de l’échelle de douleur pédiatrique chez les adolescents (Adolescent Pediatric Pain Tool)13.
Une étude par Gershon et ses collègues portait sur des patients atteints d’un cancer infantile (leucémie, lymphome, masse solide) chez qui on installait un port d’accès veineux dans le contexte de leur thérapie oncologique dans une clinique externe d’oncologie. Les 59 enfants de 7 à 19 ans ont été répartis en 3 groupes : un groupe témoin qui recevait le traitement standard (crème anesthésique locale), un groupe à qui on présentait une distraction autre que la RV et un groupe exposé à une distraction par RV11. Il a été observé que les degrés d’anxiété et de douleur chez les enfants diminuaient lorsque la RV était utilisée, selon 3 évaluations différentes. La douleur était évaluée par les patients, les parents et les infirmières à l’aide d’une échelle analogique visuelle; la douleur était analysée par des chercheurs à l’aide de l’Échelle de la douleur de l’Hôpital pour enfants de l’Est de l’Ontario, qui ont aussi mesuré les changements dans la fréquence du pouls pendant l’insertion du port d’accès veineux sous-cutané11.
Conclusion
Les progrès technologiques récents ont entraîné des réductions considérables dans les coûts de l’équipement de RV, et plusieurs compagnies vendent des casques qui comportent 2 lentilles et une fente où insérer un téléphone intelligent pour moins de 20 $3. Cette baisse des prix ouvre la porte à l’utilisation de la RV en milieu clinique, et les recherches futures corroboreront probablement l’efficacité de la RV pour réduire la douleur dans diverses situations médicales.
Notes
PRETx Pediatric Research in Emergency Therapeutics
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Mme Arane et le Dr Behboudi sont membres du programme PRETx, et le Dr Goldman en est directeur. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
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This article is also in English on page 932.
Intérêts concurrents
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