Au Canada, les médecins de famille fournissent une grande proportion des services de soins palliatifs au domicile comme à l’hôpital1–3. Toutefois, plusieurs études supposent que les médecins ne se sentent pas toujours confortables d’avoir des discussions de soins de fin de vie avec leurs patients4, alors que nous savons qu’une communication de qualité devrait être simplement centrée sur les besoins du patient5,6. C’est pourquoi le Collège des médecins de famille du Canada considère que l’approche centrée sur le patient ainsi que les habiletés de communication font partie des compétences clés pour le médecin de famille7. L’approche centrée sur le patient a été associée à une amélioration de la satisfaction et du sentiment de contrôle des patients, à une meilleure adhérence aux médicaments ainsi qu’à une diminution des symptômes et des coûts au système de santé8,9.
Plusieurs approches centrées sur le patient ont été décrites. Parmi elles, la « communication non violente » (CNV), proposée par Marshall Rosenberg, se base sur le principe de « ahimsa » du Mahatma Gandhi, terme sanskrit qui veut dire « ne pas blesser ». Cette approche requiert de mettre en évidence les besoins de l’individu, puisque ceux-ci sont à la source des comportements10 et qu’une reconnaissance de ces besoins constituerait un geste thérapeutique en soi. Lorsque nous traitons des patients incurables, nous sommes constamment confrontés à des symptômes ne répondant pas à nos approches thérapeutiques. Si la CNV n’oblige pas les soignants à satisfaire tous les besoins des patients, elle nous invite, par compassion, à au moins reconnaître ces besoins et ainsi apporter du réconfort. À notre connaissance, il existerait une seule étude sur l’utilisation de la CNV en santé11 qui aurait démontré une augmentation de l’empathie chez des infirmières.
Selon certains auteurs, le système de santé contribue directement à la souffrance des patients en ne prenant pas suffisamment compte de leurs besoins12–14. La présente étude cherche à répondre aux questions suivantes. Premièrement, y aurait-il des besoins prioritaires et communs à satisfaire chez les patients en soins palliatifs lors de leurs suivis médicaux? Et deuxièmement, quelles suggestions pourrions-nous donner afin de répondre davantage aux besoins des patients?
L’objectif de cette étude était d’explorer la dynamique des besoins du patient vivant avec un cancer en phase palliative et de clarifier de quelle manière l’ensemble des intervenants, y compris le médecin de famille, pourrait y répondre de façon plus satisfaisante.
MÉTHODES
Nous avons choisi une méthodologie d’analyse qualitative pour développer une conceptualisation détaillée de l’expérience des patients à partir d’entrevues effectuées en profondeur15,16.
Population étudiée
L’étude fut conduite dans le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (Québec), comparable à la plupart des grands hôpitaux nord-américains. Après l’approbation du comité d’éthique, le projet a été soumis aux médecins travaillant dans les cliniques ambulatoires de soins palliatifs ainsi qu’aux infirmières pivots en oncologie de l’hôpital afin qu’ils identifient les patients se qualifiant pour l’étude. Les critères d’inclusion étaient d’avoir plus de 18 ans, d’être en stade palliatif de leur cancer et d’avoir déjà reçu au moins un traitement de radiothérapie ou de chimiothérapie. Les critères d’exclusion étaient d’être incapable de s’exprimer en français ou en anglais et d’être atteint de démence ou de troubles psychiatriques sévères non contrôlés.
Collecte des données
Les patients identifiés furent contactés par un membre de l’équipe de recherche qui vérifiait leur intérêt à participer (seulement une participante a refusé de participer à cette étape) et fixait l’entrevue. Les participants étaient avisés qu’ils seraient en outre invités à participer à un groupe de discussion pour valider les constatations de l’étude.
Les entrevues semi-structurées, débutant par des questions ouvertes et ne suggérant pas de réponses prédéterminées, concernaient les expériences marquantes vécues lors de suivis médicaux, les besoins des patients, leurs sentiments ainsi que leurs attentes.
La collecte des données et l’analyse ont été effectuées de façon concomitante. Une approche d’échantillonnage alignée avec nos objectifs théoriques17 fut utilisée de manière progressive afin d’éviter notamment le recrutement de patients du même âge, sexe ou diagnostic et d’élargir le spectre des expériences étudiées. En même temps, le questionnaire a été raffiné par des questions plus détaillées afin d’explorer le contenu plus en profondeur et de valider les concepts émergents de notre analyse concomitante. Ainsi, des questions ont été rajoutées au questionnaire initial. Le modèle des besoins fut ensuite validé par deux groupes de discussion tenus avec les soignants et avec les participants à l’étude.
Analyse des données
L’analyse fut conduite en trois phases15. La première phase consistait en une codification ouverte d’unités de texte des transcriptions, tout en restant aussi près que possible du vocabulaire des participants. Une codification plus approfondie a été effectuée dans la deuxième phase, où des catégories plus abstraites ont été définies. En dernier lieu, une analyse thématique a permis de mettre en évidence les liens entre les catégories afin d’en faire ressortir les concepts. La codification a été effectuée de façon indépendante par les deux chercheurs qui ont comparé leurs résultats en recherchant activement les contradictions. Les divergences identifiées (< 5 %) ont été discutées pour arriver à un consensus. La saturation fut atteinte lorsque les nouvelles entrevues n’ajoutaient plus de nouvelles catégories de résultats (D. Willms et N.A. Johnson, manuscrit non publié, 1999). Les analyses furent effectuées avec le logiciel QDA Miner, version 4.1.2718.
CONSTATATIONS
Les 12 participants constituant l’échantillonnage final avaient été vus par des médecins en clinique ambulatoire de soins palliatifs (Tableau 1). Lorsque le patient avait un médecin de famille, celui-ci était retourné à son médecin habituel sauf si la complexité de la maladie nécessitait un suivi conjoint par ce médecin et l’équipe spécialisée. Les citations des participants appuyant les constatations suivantes apparaissent au Tableau 2.
Caractéristiques des participants
Extraits de propos des participants groupés par thèmes
Thèmes
Le besoin d’expertise est acquis, mais non suffisant.
En premier lieu, les participants ont tendance à dire qu’ils font facilement confiance à la compétence clinique de leurs médecins. Toutefois, ils estiment qu’une prise en charge purement biomédicale est incomplète et qu’une considération pour les dimensions psychosociales et spirituelles s’impose. Ces dernières dimensions pourraient être insuffisamment prises en compte par certains médecins.
Le besoin de respect et de validation du vécu.
Les participants ont besoin, particulièrement lorsqu’ils se sentent vulnérables et submergés d’émotions, que le médecin prenne le temps de valider et d’autoriser la souffrance. Il s’agit de moments où la relation de confiance peut germer ou, au contraire, laisser place à des frustrations et de la solitude. Plusieurs participants ont mentionné combien la douceur de l’approche était importante lors d’annonces de mauvaises nouvelles.
Le besoin d’une écoute sans jugement.
Il existerait d’ailleurs une relation étroite entre le besoin de respect et le besoin d’écoute. Les participants souhaitent que l’écoute de leur médecin soit empreinte d’une qualité de « présence » et de « non-jugement ». Ce besoin ne peut pas être délégué à un autre professionnel, car il semble essentiel de bien écouter pour donner la meilleure expertise possible à son patient. Les participants interprèteraient aussi constamment le langage corporel de leurs médecins pour savoir s’ils les écoutent avec attention. Le contact visuel et la position assise plutôt que debout sont des exemples relevés par des participants.
Le besoin de sécurité.
Les participants ont besoin d’être sécurisés. Certains participants ont cité qu’ils souhaiteraient que le médecin les prépare à l’annonce d’une mauvaise nouvelle afin qu’ils puissent demander à un proche de les accompagner au rendez-vous. Cet accompagnement peut également être effectué par l’infirmière pivot. Cet allié pourrait assister le patient en complétant, au besoin, les réponses au médecin et en posant des questions afin de mieux comprendre la maladie.
Les participants se sentaient aussi sécurisés et apaisés lorsque leur médecin les rassurait en expliquant les alternatives réalistes au traitement, en cas d’échec. Cela est perçu comme un filet de sécurité qui préserve une forme d’espoir.
Enfin, les participants mentionnent combien il est important que le médecin s’assure de leur bonne compréhension de la maladie, du pronostic et du traitement. Cela commence par un geste aussi simple que de s’assurer que le patient n’a pas de problème d’audition et de valider ce qu’il a compris. Deux des participants masculins, se décrivant comme des personnes qui ne posent pas beaucoup de questions, ont dit qu’ils auraient souhaité qu’un professionnel de la santé prenne les devants pour leur donner plus d’informations. L’un d’eux aurait ressenti énormément de soulagement lorsque son médecin de famille s’est assis avec lui et son épouse pour donner des explications additionnelles.
Les perceptions positives de patients sur l’organisation des soins de santé.
Globalement, les patients oncologiques sont satisfaits du système de santé bien qu’ils perçoivent que celui-ci a des déficiences. Les participants à l’étude étaient compréhensifs des limites du système. Ils jugeaient qu’il y a un manque de ressources et qu’il ne serait pas raisonnable pour eux d’exiger davantage que ce qu’ils ont reçu. Un participant a mentionné combien il était reconnaissant au système de débourser des dizaines de milliers de dollars pour lui durant sa maladie. Dans le même sens, même les délais d’attente étaient perçus comme acceptables.
L’importance de l’infirmière pivot en oncologie.
Le rôle de l’infirmière pivot en oncologie existe depuis quelques années au Québec. Les participants étaient reconnaissants de la présence d’une telle intervenante qui a des contacts beaucoup plus fréquents avec le patient. L’infirmière pivot peut rassurer le patient et répondre à ses questions sans nécessairement contacter le médecin. Une liste des attentes des participants envers les différents professionnels de la santé est présentée dans le Tableau 319.
Synthèse des attentes selon le professionnel le mieux placé pour y répondre
DISCUSSION
Les patients atteints de cancer ont des besoins ne se limitant pas à l’expertise médicale. Afin d’optimiser leur prise en charge, le médecin spécialiste gagnerait à être épaulé, tôt dans le processus de la maladie, par le médecin de famille du patient ainsi que par une infirmière pivot. Des études américaines20,21 précisent même les soins jugés nécessaires. Tous les participants de notre étude avaient accès à une infirmière pivot en oncologie ainsi qu’à un médecin en soins palliatifs. Dans le contexte médical actuel, il ne serait pas réaliste de penser que de tels professionnels puissent être attribués à tous, d’où l’importance qu’a le médecin de famille à s’impliquer tout le long de la trajectoire de soins22,23. Plusieurs participants de notre étude, qui se sont plaints d’avoir manqué d’information suite à l’annonce du diagnostic, auraient pu bénéficier de rencontrer un médecin de famille peu de temps après le rendez-vous en oncologie.
Nous constatons que les patients font rapidement confiance en la compétence des médecins. La littérature à ce sujet indique que le patient a d’abord une confiance « sociale » envers l’institution médicale, qui forme ses médecins selon des standards élevés de compétences, et qu’il peut ensuite se développer une « confiance interpersonnelle » qui dépendrait davantage des aptitudes relationnelles du médecin que de sa compétence clinique24. Les besoins non reliés à l’expertise comme telle ont donc une grande importance.
Parmi tous ces besoins, l’un des principaux est celui d’être sécurisé. Les patients souhaiteraient aussi être rassurés, lorsqu’il est réaliste de le faire. Dans notre étude, certains patients ont gagné de l’espoir à savoir à l’avance quelles étaient les autres options de traitements, en cas d’échec du traitement en cours, ce qu’on retrouve dans d’autres études25–27.
Les besoins d’être écouté sans préjugé et respecté dans son vécu étaient aussi des besoins importants. Avec une écoute attentive, le médecin pourrait mieux orienter les interventions se basant davantage sur les besoins et valeurs de son patient25,28. Cette écoute améliorée pourrait également contribuer à une meilleure « présence thérapeutique »29 associée à des soins de plus grande qualité30,31. La non-reconnaissance ou le non-respect du vécu du patient serait un événement souvent vécu comme douloureux pour le patient qui pourrait générer beaucoup de solitude32. À ce sujet, des études passées ont constaté une érosion progressive de l’empathie et de la qualité de l’écoute au fur et à mesure de la formation médicale33,34. Les causes de ce problème sont multi-systémiques. Afin de tenter de remédier à cette situation, de plus en plus de facultés de médecine tentent de modifier leur curriculum35,36.
Limites
Cette étude exploratoire a certaines limitations qu’il convient de mentionner. La méthode de recherche qualitative ne nous permet pas de généraliser les constatations à toute une population. La composition de notre échantillonnage permet, toutefois, une comparaison avec d’autres milieux similaires à ceux où s’est déroulé notre étude. Nous devons être prudents avant d’extrapoler les résultats de cette étude à la population de patients porteurs d’un cancer à visée curative puisque seuls des patients avec un cancer en phase palliative ont été inclus dans notre étude. Le processus de sélection des participants pourrait aussi affaiblir la signification des résultats, dans le sens que les patients sélectionnés pourraient ne pas être représentatifs des patients n’ayant pas accès à un médecin en soins palliatifs ou à une infirmière pivot. Nous suspectons que les attentes des participants auraient pu être plus exigeantes envers leurs médecins spécialistes s’ils n’avaient pas eu accès à ces professionnels. Nous pensons néanmoins que les conclusions de l’étude s’appliquent aussi, en grande partie, aux médecins de famille qui offrent des soins palliatifs à leurs patients. Il serait toutefois pertinent d’effectuer d’autres études afin de mieux préciser le rôle du médecin de famille et de l’oncologue dans les suivis de cancers avancés en l’absence d’un médecin spécialisé en soins palliatifs ou d’une infirmière pivot. Enfin, comme le suggère Kendall et coll., des résultats concernant des patients avec cancer pourraient ne pas s’appliquer à des patients avec des maladies terminales n’étant pas reliées au cancer37.
Conclusion
Il semble y avoir beaucoup d’éléments positifs dans la prise en charge des patients vivant avec un cancer en phase palliative, dont la présence d’une infirmière pivot, mais l’offre de service resterait à améliorer. Le patient avec un cancer non curatif gagnerait à avoir, tôt après le diagnostic, en plus du suivi par l’oncologue et l’infirmière, un suivi d’un médecin de famille capable de prodiguer des soins palliatifs. Dans les cas plus difficiles, l’ajout d’un médecin spécialisé en soins palliatifs pourrait avantager le patient. Un effort de bonne collaboration et communication entre les différents intervenants serait toutefois indispensable afin de répondre à leurs besoins complexes. Cette étude permet de réaffirmer que ce sont des patients très vulnérables qui ont des besoins qui dépassent la seule expertise médicale. Ils ont aussi besoin d’être écoutés, soutenus, informés, sécurisés lorsqu’il est possible de le faire et validés dans ce qu’ils vivent. Le simple fait de nommer le besoin en souffrance démontre l’empathie du professionnel et peut apporter du soulagement. Il est de la responsabilité de chaque intervenant de s’assurer que les besoins de leur patient soient entendus et pris en charge.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
Les patients atteints de cancer ont des besoins ne se limitant pas à l’expertise médicale. Ils ont besoin de respect et de validation du vécu, d’une écoute sans jugement, et de sécurité.
Afin d’optimiser leur prise en charge, le médecin spécialiste gagnerait à être épaulé, tôt dans le processus de la maladie, par le médecin de famille du patient ainsi que par une infirmière pivot en oncologie. L’infirmière pivot peut se substituer au médecin dans la réponse à la plupart des besoins d’ordre relationnels, ainsi que dans le partage d’information et d’explications sur la maladie.
Les patients oncologiques sont globalement satisfaits du système de santé malgré ses défauts. Les patients étaient reconnaissants de la présence de l’infirmière pivot en oncologie qui a des contacts fréquents avec les patients. Certains patients ont gagné de l’espoir à savoir à l’avance quelles étaient les autres options de traitements, en cas d’échec du traitement en cours.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English translation of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the December 2017 issue on page e536.
Collaborateurs
Le Dr Melhem a effectué cette étude dans le cadre d’une formation spécialisée d’un an en soins palliatifs au Centre Hospitalier de l’Université de Montréal. Il a été impliqué à toutes les étapes de la recherche: sélection de la question de recherche, revue de littérature, recrutement et entrevues des participants, analyse des résultats et rédaction de l’article. Le Dr Daneault a agi à titre de mentor pour la recherche. Il a été un guide à toutes les étapes du processus de recherche, a effectué une partie de l’analyse des résultats et a participé à la révision du manuscrit pour la publication de la recherche.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada