
Combien de choses nous servoyent hier d’articles de foi, qui nous sont fables aujourd’huy?
Michel de Montaigne (1533–1592)
Rester à jour de l’évolution continuelle des données probantes est l’objectif que vise tout médecin consciencieux. Pour atteindre cet idéal, les membres du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) s’engagent à l’acquisition continue du savoir. Par contre, dans la pratique quotidienne, il est par-fois difficile de changer des habitudes fondées sur de longues années à suivre d’anciennes lignes directrices. Inévitablement, ces habitudes sont renforcées par nos patients, qui en sont venus à s’attendre à certains médicaments, à certains tests et à certaines approches.
Les médecins de famille sont bombardés de lignes directrices. Notre discipline étant la plus étendue, nous avons l’éventail de lignes directrices le plus exhaustif à absorber, sans mentionner leur mise en pratique.1 Il est inévitable que certaines lignes directrices entrent en conflit avec d’autres ou contredisent notre expérience clinique, en particulier dans les cas de patients atteints de multiples affections chroniques. Nous nous heurtons souvent à de véritables dilemmes de gestion ; les cas de personnes souffrant d’arthrose douloureuse qui ont également une hypertension et une maladie de reflux gastroœsophagien n’en sont qu’un exemple courant.
J’ai récemment assisté à un atelier sur la déprescription, l’art subtil de sevrer les gens des médicaments qu’ils prennent depuis des années. Il est difficile de dire aux patients qu’un médicament qu’ils prennent depuis longtemps, et que nous leur avons prescrit, leur fait plus de mal que de bien. Il est parfois plus facile de discuter avec des patients dont nous avons « hérité ». Par exemple, lorsque des patients prennent des sédatifs pour l’insomnie que leur a prescrits leur ancien médecin, nous pouvons leur expliquer gentiment que la preuve a évolué depuis qu’ils ont commencé à les utiliser. Par contre, à ce stade de ma vie en pratique, je soigne la plupart de mes patients depuis des années ; le « médecin d’avant » dont ils ont suivi les conseils et qui a rédigé leurs ordonnances n’est donc nul autre que... moi.
La catégorie des médicaments fait une différence. C’est assez facile de dire aux patients que leur inhibiteur de la pompe à protons n’est pas idéal pour la gestion à long terme d’un cas bénin de reflux gastro-œsophagien. Oui, c’était le médicament le plus révolutionnaire il y a quelques années, et sans doute tout à fait indiqué quand le spécialiste le prescrivait tout de suite après une gastroscopie ; mais à long terme, le médicament le plus puissant n’est pas forcément le meilleur2. C’est beaucoup plus difficile lorsqu’on parle de narcotiques et de sédatifs. Dans ces cas, notre désir de soulager des symptômes graves comme la douleur chronique, l’anxiété profonde ou l’insomnie, et l’expérience du patient à qui le médicament procure du soulagement, conspirent pour entretenir un modèle que nous savons problématique. Beaucoup de patients ne sont pas couverts pour des traitements non pharmacologiques, comme la physiothérapie ou la thérapie comportementale cognitive, susceptibles d’aider à gérer les symptômes tout en réduisant la dépendance aux médicaments.
L’atelier a certainement fait naître en moi un certain malaise, me poussant à réfléchir aux patients que je vois encore et qui prennent des narcotiques ou des sédatifs depuis des années. C’est un groupe relativement peu nombreux, les plus résistants à mes efforts d’offrir les meilleures pratiques d’aujourd’hui. La difficulté repose en général sur des raisons évidentes : circonstances de vie difficiles, multimorbidité et problèmes concomitants de santé mentale. Alors que les participants de l’atelier partageaient leurs expériences cliniques, on pouvait trouver du réconfort à savoir que nous étions tous aux prises avec cela. C’était quelque peu consolant de savoir qu’une approche axée sur le patient est la base du succès. Heureusement, j’ai pu repartir animé d’un optimisme prudent et équipé de plusieurs outils qui m’aideront à aider mes patients.3,4
Footnotes
This article is also in English on page 173.
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