
L’obésité a atteint des niveaux alarmants partout dans le monde. Un rapport de l’Agence de la santé publique du Canada et de l’Institut canadien d’information sur la santé, publié en 2011, révèlait que la prévalence canadienne de l’obésité avait presque doublé en 30 ans, passant de 14 % en 1981 à 25 % en 2007–20091. Près des deux tiers (62 %) des adultes âgés de 18 à 79 ans font de l’embonpoint ou sont obèses (indice de masse corporelle [IMC] ≥ 25,0 kg/m2)2. Comment cela peut-il être possible? Cela dépasse l’entendement! On serait en droit de se demander si l’outil sur lequel on se base pour définir le surplus de poids est encore valide; ou si ce ne serait pas plutôt les autres Canadiens qui seraient trop maigres!
Par contre, tous s’entendent pour dire que plusieurs facteurs contribuent au phénomène: des facteurs génétiques et phylogénétiques, les conditions de vie contemporaines plus aisées, l’accès facile et rapide à une nourriture riche en calories et un rythme de vie plus sédentaire. Pour contrer cette épidémie, il est souvent question de prévention et d’éducation. Or, force est de reconnaître que ces interventions semblent peu efficaces. Les chiffres sont là pour le démontrer.
Que peux alors faire le médecin de famille face à ce fléau? Que peut-il faire pour aider ses patients obèses?
Le rôle du médecin est clairement défini par les recommandations des différents groupes consultatifs, particulièrement par celles du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP), qui définit ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire avec nos patients obèses2. Ainsi, si l’on en croit ce groupe, il faudrait offrir une intervention béhaviorale structurée visant une perte de poids à tous nos patients adultes qui ont un surplus de poids ou les aiguiller vers un tel service. Cette recommandation s’applique à tous les obèses (IMC 30,0–39,9 kg/m2) ayant un haut risque de diabète (recommandation forte; preuve scientifique de qualité modérée); et à tous ceux qui ont un surplus de poids ou qui sont obèses (IMC 25,0–39,9 kg/m2) (recommandation faible; preuve scientifique modérée).
Ces recommandations sont certes louables mais sont-elles réalistes et efficaces? Il y a tellement de Canadiens qui ont un surplus de poids ou qui sont obèses qu’il faudrait référer la grande majorité de nos patients adultes. De plus, les interventions béhaviorales dont il est ici question ne sont pas anodines : on parle de programmes structurés, basés sur la diète, l’exercice et les changements de style de vie, s’échelonnant sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Tous nos patients obèses vont-ils vraiment adhérer et payer pour de tels programmes?
L’autre recommandation formulée par le GECSSP est que les médecins ne devraient pas offrir un traitement pharmacologique (orlistat ou metformin) de façon systématique aux patients qui font de l’embonpoint ou qui sont obèses (recommandation faible; preuve scientifique modérée), et ce malgré que ces traitements aient procuré une perte de poids supplémentaire chez ceux les ayant reçus en plus des interventions béhaviorales. Les auteurs justifient cet avis par les effets indésirables et les taux d’abandon plus élevés chez les personnes ayant suivi un traitement pharmacologique.
Cette prise de position apparaît surprenante. En effet, l’avis du GECSSP repose essentiellement sur une méta-analyse publiée en 20143. Cette étude nous apprend que les interventions béhaviorales structurées permettent une perte de poids moyenne de 3,1 kg. Or, l’ajout du traitement pharmacologique permet une perte supplémentaire moyenne de 2,9 kg. En appliquant ces résultats à une personne obèse qui, disons, mesure 1,8 m et pèse 127,0 kg (IMC 38,0 kg/m2), à qui l’on recommanderait de perdre 5 % de son poids (cette perte de poids est jugée cliniquement significative puisqu’elle amène une amélioration de plusieurs facteurs de risque cardio-vasculaire comme l’hypertension artérielle, la glycémie et la dyslipidémie), l’intervention béhaviorale structurée lui ferait perdre 3,1 kg, et l’ajout de médicament lui permettrait de perdre de 2,9 kg supplémentaires. À ce compte, on n’est pas très loin des 6,4 kg recommandés.
Le GECSSP justifie sa recommandation par les effets indésirables secondaires au traitement pharmacologique. Or, Peirson et coll. indiquent que la plupart des effets indésirables (approximativement 80 %) survenus avec les essais impliquant l’orlistat (et quelques-uns avec ceux impliquant le metformin) étaient de nature gastro-intestinale. Les manifestations les plus souvent rapportées dans les études étaient des selles graisseuses ou huileuses, ou plus fréquentes, des douleurs abdominales, des pertes huileuses et des flatulences. La plupart des études indiquent que les événements gastro-intestinaux étaient d’intensité légère à modérée, ne survenaient qu’une à deux fois, habituellement au début des traitements. Les auteurs précisaient aussi que les études consultées ne rapportaient pas davantage d’effets indésirables sérieux avec le traitement médicamenteux.
Dès lors, comment le GECSSP a-t-il pu émettre pareil avis en se basant sur ces données? Difficile à comprendre! Se pourrait-il que le GECSSP ait erré dans ses recommandations? Nous vous laissons le soin d’en juger.
Pour faire le point sur la question, nous vous invitons à lire le débat que nous publions ce mois-ci dans le Médecin de famille canadien, intitulé Les médecins de famille devraient-ils prescrire des médicaments contre l’obésité? en page 1064,5.
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