La Tribune aux idées dangereuses est une séance présentée chaque année au Forum en médecine familiale par la Section des chercheurs du Collège des médecins de famille du Canada. Inspirée par la Society for Academic Primary Care au Royaume-Uni, cette avenue est une invitation ouverte aux idées novatrices en guise de première étape dans l’avancement de notre profession par la recherche en médecine familiale. Les participants présentent une proposition d’avantgarde ou réfléchie, hors des sentiers battus, sur les façons d’améliorer les soins en médecine familiale, et expliquent ce qui rend l’idée dangereuse (p. ex. quel est le défi?) et les raisons de son importance. Les séances donnent à l’auditoire la possibilité de débattre avec les présentateurs et de voter ensuite pour l’idée la plus dangereuse. Le concours pour présenter une proposition d’idée dangereuse s’ouvre chaque année en janvier. Avez-vous une idée « dangereuse » susceptible d’améliorer votre pratique ou la santé des Canadiens?
Voici la synthèse des 4 meilleurs résumés qui ont été choisis lors de la Tribune aux idées dangereuses qui s’est tenue au Forum en médecine familiale en novembre 2016 à Vancouver, en Colombie-Britannique. À la suite des présentations par les finalistes, les membres dans l’auditoire ont voté pour l’idée qui leur paraissait la plus convaincante.
Quatrième place : Projet Trauma Support à l’intention des premiers répondants et du personnel militaire
Le projet Trauma Support est une initiative novatrice amorcée au Canada pour répondre à la composante des blessures morales du trouble de stress post-traumatique chez les militaires et les premiers répondants. Il s’agit d’un intense programme expérientiel en résidence, qui repose fortement sur le soutien des pairs. C’est une idée dangereuse parce que les enjeux sont élevés; la plupart des candidats idéaux ont des pensées suicidaires récurrentes ou ont tenté de se suicider. Elle est controversée parce qu’elle se sert de la méditation, des cérémonies, des traditions et des mythes pour aider les participants à trouver un sens à leur vécu et à se rattacher à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. De plus, la véritable valeur thérapeutique du programme demande parfois une mise à l’épreuve calculée des frontières tradition-nellement rigides entre médecins et participants. Nous avons eu 3 « cohortes » en 2016, pour un total de 36 participants (11 femmes). Presque tous les participants ont trouvé que le programme suscitait une transformation. L’un d’entre eux a indiqué qu’il avait progressé plus en 1 semaine qu’en 10 ans de séances de thérapie. Plusieurs sont même motivés à devenir eux-mêmes des pairs aidants. D’autres retournent maintenant au travail petit à petit. Le programme est rentable, surtout parce qu’il crée des réseaux de pairs à long terme pour un soutien constant. Non seulement la démarche favorise-t-elle une croissance positive chez les participants militaires et premiers répondants souffrant du trouble de stress post-traumatique, mais elle rallume aussi leur désir inné de servir, ce qui les fait compter encore une fois parmi les contributeurs les plus précieux à la société.
Troisième place : Maintien des fonctions vitales du bien-être
Vous vous adressez à votre prochain patient : « La bonne nouvelle, c’est que tous les résultats des examens sont négatifs. La mauvaise? Je ne sais pas ce qui ne va pas avec vous ». À quel point excellons-nous, en tant que médecins de famille, à intervenir pour aider un patient en arrêt de bien-être? De plus en plus de patients ne sont pas encore malades, mais ne vont définitivement pas bien. La médecine conventionnelle excelle dans le diagnostic et le traitement des maladies. Nos traditions sont plus faibles dans la promotion du bien-être. Le savoir scientifique que nous détenons maintenant concernant ce qui cultive la résilience physique, le calme émotionnel, l’énergie accrue et la prévention des maladies offre la possibilité de prendre en charge nos patients qui ne se sentent pas bien et de les orienter vers une véritable transformation de leur santé. Le problème se situe dans le fait que l’information vient d’un très grand nombre de domaines disparates, que les consultations sont courtes et que le bienêtre n’est pas une urgence (pour l’individu en tout cas, c’est sans aucun doute une urgence de santé publique), ce qui l’entraîne facilement au bas de notre liste. D’autres cours de maintien des fonctions vitales ont vu le jour pour répondre à la nécessité d’offrir une approche algorithmique structurée à une situation qui pourrait autrement devenir accablante et entraîner une paralysie décisionnelle. Je soutiens que l’arrêt du bien-être, bien qu’il ne soit pas nouveau, peut également être déconcertant, mais pour des raisons différentes. Un cours avancé de 2 jours en maintien des fonctions vitales du bien-être présentera au clinicien les points saillants fondés sur des données probantes de ce que nous savons à propos de la nutrition, du sommeil, de l’exercice, du stress, de la consommation abusive, de la spiritualité, du changement comportemental et de divers autres aspects importants. De nombreux professionnels des soins primaires connaissent déjà une partie de cette matière. Par ailleurs, la plupart d’entre eux n’ont pas reçu les outils nécessaires pour détecter efficacement l’arrêt du bien-être, identifier les patients prêts à une intervention et structurer les priorités (en se fondant sur la science actuelle et sur les préférences du patient) dans le but d’établir un plan thérapeutique échelonné sur de multiples visites, le tout étant adapté au milieu de la pratique familiale, où des problèmes concurrents sont pris en charge avec des contraintes de temps considérables.
Deuxième place : Changer « du berceau à la tombe » pour « le berceau ou la tombe »
Durant ma résidence en médecine familiale, notre programme exerçait de fortes pressions pour que les médecins de famille fassent des accouchements. On a toujours cru que si les jeunes médecins étaient exposés aux joies de la naissance, ils incorporeraient l’obstétrique dans leur pratique. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. De moins en moins de jeunes médecins et de nouveaux diplômés offrent des soins intra partum. Un certain nombre de facteurs expliquent cette tendance, notamment les responsabilités médicolégales, le maintien des compétences dans les techniques physiques, les politiques hospitalières, les pressions d’une clinique achalandée, les difficultés à acquérir de l’expérience et les heures de garde antisociales imposées par les soins intra partum. J’affirme humblement que les résidents en médecine familiale auraient avantage à apprendre plutôt à prodiguer des soins en fin de vie, pour diverses raisons.
C’est un profil de compétences qui repose davantage sur la communication et la prise en charge des symptômes que sur les techniques physiques.
Théoriquement, ce serait favorable à tous les patients (après tout, nous mourons tous).
Même si les soins en fin de vie exigent toujours une disponibilité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il est possible de soigner les patients avec l’aide de soins infirmiers compétents.
Il est plus facile de former des groupes de garde en soins palliatifs qu’en obstétrique pour répartir les tâches.
Les médecins de famille fourniraient plus de soins palliatifs de première ligne.
Les soins à domicile et communautaires en seraient renforcés.
De meilleurs soins palliatifs et en fin de vie contribuent à la viabilité de notre système de santé.
Moins de décès se produiraient inutilement dans les hôpitaux de soins aigus.
Les besoins sont actuellement plus grands en soins palliatifs qu’en soins intra partum dans notre système.
Les stages en soins palliatifs devraient être obligatoires dans tous les programmes de résidence en médecine familiale, y compris des expériences longitudinales. Même si le Collège des médecins de famille du Canada préconise une pratique familiale complète et globale, je suggère humblement que nous aurons plus de succès et d’adhésion avec les soins en fin de vie qu’avec les soins intra partum. Il faudrait continuer à soutenir et encourager les résidents qui ont prévu offrir des soins intra partum. Toutefois, pour les résidents qui ont déjà décidé que les soins intra partum ne feraient pas partie de leur pratique, les ressources utilisées pour promouvoir les soins intra partum devraient être réorientées à l’appui des soins en fin de vie.
Première place : Il nous faut plus de conversations sur l’aide à mourir
Aux Pays-Bas et en Belgique, où l’aide à mourir est offerte depuis des décennies, environ 4 % des décès sont assistés par des médecins. La plupart de ces médecins sont des médecins de famille qui aident leurs propres patients ou collaborent avec leurs collègues et aident les patients de leurs collègues. Le plus important, c’est que près de 10 fois plus de patients (ou 30 % de tous les patients en fin de vie) ont des conversations avec leurs médecins sur l’aide à mourir. Dans ces conversations, les patients peuvent souscrire à « une police d’assurance émotionnelle » qui leur assure que si la douleur devenait insoutenable, ils auraient une porte de sortie. Il ne devrait pas être surprenant de constater que, par rapport au Canada, plus de patients hollandais et belges reçoivent des soins palliatifs, plus meurent à la maison et plus reçoivent une sédation palliative. Environ 12 % des patients hollandais et belges reçoivent une sédation profonde avant leur décès, par rapport à moins de 1 % des Canadiens. Une évaluation internationale de la qualité générale des soins en fin de vie a démontré qu’elle est plus élevée dans ces 2 pays que la nôtre. En parlant tout simplement de l’aide à mourir tôt dans l’évolution d’une maladie terminale, vous pourriez aider un patient à confronter l’avenir et à faire face aux symptômes de la maladie, à la chirurgie, aux effets indésirables des médicaments et ainsi de suite. Il a été démontré que le simple fait de parler de l’aide à mourir, et le fait qu’elle soit accessible, prévient la « mort sociale », ce qui revient à dire, vivre véritablement jusqu’à la mort. Ayons donc plus de conversations sur l’aide à mourir avec nos patients.
Footnotes
Ces résumés ont fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2017 issue on page 98.
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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