Par habitant, le Canada s’est hissé au premier rang des pays qui comptent le plus d’usagers d’opioïdes sur ordonnance1 dans le monde, et les taux correspondants de toxicomanie et de surdose sont aussi élevés2–4. En 2010, en Ontario, 510 personnes ont succombé à une surdose liée aux opioïdes, ce qui en fait la cause la plus fréquente de décès chez les jeunes adultes5. La plupart des cas de surdose mortelle en Ontario avaient reçu une ordonnance d’opioïde dans les 3 semaines précédentes6, et beaucoup, sinon la plupart, des médecins de famille canadiens comptent dans leur pratique des patients dépendants des opioïdes7.
Description de cas
C.J. est une femme de 21 ans que vous connaissez depuis qu’elle est enfant. Sa mère, aussi votre patiente, a un trouble de consommation d’alcool. C.J. se présente à votre clinique pour renouveler une ordonnance d’hydromorphone et de lorazépam, qu’elle dit avoir reçu d’une clinique près de chez elle pour des migraines et des spasmes dans la nuque. Lorsque vous demandez le nom du médecin, sa réponse est vague et elle est incapable de vous donner les informations pour vous aider à obtenir le dossier médical. À l’examen, vous remarquez qu’elle a maigri et qu’elle présente des traces d’injection sur les bras, et le test urinaire de dépistage de drogues est positif pour l’hydromorphone, la morphine et le cannabis. En poursuivant l’anamnèse auprès de C.J. et d’après l’anamnèse collatérale obtenue auprès de sa mère, vous posez un diagnostic de trouble de consommation d’opioïdes.
Les médecins disposent de 3 principales options thérapeutiques à offrir à leurs patients dépendants des opioïdes : l’approche axée sur l’abstinence, la buprénorphine-naloxone ou une recommandation à une clinique de méthadone. La méthadone et la buprénorphine sont des opioïdes à début d’action lent et à action prolongée. À la dose appropriée, ils soulagent les symptômes de sevrage et les fortes envies pendant 24 heures sans causer de sédation ni d’euphorie.
Cette révision se veut un guide pour choisir l’option thérapeutique appropriée pour les sous-groupes précis de patients. Ses recommandations s’appuient sur d’autres lignes directrices publiées récemment8.
Sources d’information
Les publications sur la buprénorphine-naloxone et celles sur la méthadone ont été examinées séparément. Sur PubMed, nous avons recherché précisément les données comparant les médicaments sur les plans de l’efficacité et de l’innocuité ainsi que des effets indésirables. Nous avons recherché des études comparatives menées auprès de sous-populations spécifiques, y compris les héroïnomanes, les usagers d’opioïdes sur ordonnance par voie orale, les adolescents et les femmes enceintes. Tant les études observationnelles qu’interventionnelles ont été incluses dans la révision. Par l’entremise d’un consensus, nous avons appliqué le niveau de preuves (Encadré 1) à chaque recommandation.
Niveaux de preuve
Niveau I : Nombreux essais randomisés contrôlés d’envergure et revues systématiques
Niveau II : 1 ou 2 petits essais randomisés contrôlés
Niveau III : Études de cohorte et cas-témoins
Niveau IV : Consensus
Type de données.
Les conclusions sur le taux de rétention en traitement par la méthadone par rapport à celui par la buprénorphine-naloxone sont basées sur des essais randomisés et des revues systématiques; les conclusions sur l’innocuité sont basées sur des études menées chez les animaux, des études précliniques menées chez les humains et des études de population. Les recommandations sur les patients qui présentent un risque élevé d’abandon du traitement sont basées sur des essais cliniques, des revues systématiques et des études observationnelles menées auprès d’héroïnomanes. Les recommandations sur les usagers d’opioïdes sur ordonnance par voie orale et sur les populations spécifiques (adolescents, femmes enceintes) sont basées sur des études observationnelles et sur quelques petits essais randomisés.
Message principal
Les recommandations en matière d’innocuité et de rétention en traitement sont principalement basées sur les différences entre les 3 traitements, soit méthadone, buprénorphine-naloxone et abstinence. La rétention en traitement est une issue thérapeutique cruciale; les héroïnomanes qui abandonnent le traitement présentent un taux plus élevé de décès par surdose et d’arrestations que ceux qui poursuivent le traitement9–13.
Notre comparaison des 3 traitements est organisée en plusieurs catégories de patients : méthode d’administration et type d’opioïde, stade de vie, état de santé et facteurs sociaux (communauté rurale, emploi exigeant la vivacité d’esprit). Les facteurs cliniques en faveur de la méthadone par rapport à la buprénorphine-naloxone sont résumés dans l’Encadré 2.
Facteurs cliniques incitant à prescrire la méthadone ou la buprénorphine-naloxone
Les facteurs en faveur de la méthadone sont les suivants :
Consommation d’opioïdes par injection
Usagers d’opioïdes par injection qui sont enceintes ou adolescents
Autres facteurs de risque d’abandon du traitement (p. ex. logement instable, absence de soutien social, maladie mentale concomitante)
Abandon antérieur du traitement par la buprénorphine ou effets indésirables
Les facteurs en faveur de la buprénorphine-naloxone sont les suivants :
Consommation orale d’opioïdes sur ordonnance
À risque de toxicité à la méthadone (p. ex. personnes âgées; gros buveurs; personnes ayant une atteinte cardiaque ou respiratoire, à risque d’allongement de l’intervalle QT ou qui prend des benzodiazépines ou des antipsychotiques atypiques)
Vivant un milieu rural sans accès à la méthadone
Abandon antérieur du traitement par la méthadone ou effets indésirables
Travail exigeant une vivacité d’esprit (p. ex. conduite automobile, commandes de machines)
Hommes sexuellement actifs à faible risque d’abandon du traitement
Exigeant des soins réguliers de première ligne pour le dépistage, le maintien de la santé ou un trouble médical chronique ou psychiatrique
Méthode d’administration et type d’opioïde
Usagers d’opioïdes par injection : Tant la méthadone que la buprénorphine-naloxone sont préférables à l’approche axée sur l’abstinence chez les patients qui s’injectent de l’héroïne ou d’autres opioïdes (données de niveau I). Les essais contrôlés, revues systématiques et études épidémiologiques ont clairement montré que la méthadone et la buprénorphine-naloxone étaient associées à un taux supérieur de rétention en traitement14,15 et à une réduction marquée des taux de consommation d’opioïdes, de mortalité, d’utilisation des soins de santé et de criminalité chez les héroïnomanes, comparativement aux patients sous placebo, à l’absence de traitement, à l’approche psychosociale axée sur l’abstinence ou à la désintoxication médicale14,16–20. Les programmes de traitement en établissement affichent un taux rapporté très élevé de rechutes15 et, par rapport aux témoins sur une liste d’attente, les patients qui participent à une approche axée sur l’abstinence présentent un risque plus élevé de surdose mortelle en raison de la perte de tolérance21.
La méthadone est recommandée aux usagers d’opioïdes par injection (données de niveau I) plutôt que la buprénorphine-naloxone. Les revues systématiques d’essais contrôlés ont conclu que la buprénorphine-naloxone était moins efficace que la méthadone pour retenir les héroïnomanes en traitement22. Cela s’explique probablement par le fait que la buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs opioïdes, alors que la méthadone est un agoniste complet et puissant des récepteurs opioïdes μ; elle est donc plus efficace pour soulager les symptômes de sevrage et les fortes envies.
Si la buprénorphine-naloxone est utilisée d’abord chez les usagers d’opioïdes par injection, la dose doit être ajustée rapidement jusqu’à la dose optimale et il faut immédiatement faire passer le patient à la méthadone si les symptômes de sevrage, les fortes envies ou l’usage d’opioïdes persistent (données de niveau II). Un essai contrôlé a observé qu’avec la méthadone, le taux de rétention était comparable à celui obtenu avec la buprénorphine-naloxone suivie d’un transfert immédiat à la méthadone chez les patients qui ressentent toujours de fortes envies ou consomment toujours des opioïdes23.
Usagers d’opioïdes sur ordonnance par voie orale : Le traitement d’entretien par la buprénorphine-naloxone ou la méthadone est préférable à l’approche axée sur l’abstinence chez les usagers d’opioïdes sur ordonnance par voie orale (données de niveau II). Les essais contrôlés et les études observationnelles ont montré que le traitement d’entretien par la buprénorphine-naloxone affichait un taux de rétention en traitement significativement supérieur sur le plan statistique que la diminution progressive de la dose et l’abstinence chez les usagers d’opioïdes sur ordonnance par voie orale. Lors d’une comparaison contrôlée entre le traitement d’entretien par la buprénorphine-naloxone et la diminution progressive de la dose chez les usagers d’opioïdes sur ordonnance par voie orale, le taux de rétention en traitement à 14 semaines était de 66 % dans le groupe sous traitement d’entretien par la buprénorphine-naloxone et d’à peine 11 % dans le groupe sous diminution progressive de la dose24. D’autres études corroborent ces conclusions25,26.
Si l’on fait une tentative de diminution progressive de la dose, les diminutions sur 4 semaines ou plus sont plus efficaces que les diminutions sur 1 ou 2 semaines27. À la fin de la diminution progressive, il faut remettre aux patients la naloxone à emporter et leur donner des conseils quant à la prévention des surdoses; il faut aussi leur offrir l’accès immédiat au traitement d’entretien par la buprénorphine-naloxone s’ils manifestent des symptômes persistants de sevrage ou de fortes envies, ou en cas de rechute.
La buprénorphine-naloxone est préférable à la méthadone chez les usagers d’opioïdes sur ordonnance par voie orale socialement stables (données de niveau IV). Nous n’avons relevé qu’un seul essai ayant directement comparé la méthadone à la buprénorphine-naloxone chez les usagers d’opioïdes par voie orale; dans cet essai, la méthadone affichait un risque d’abandon inférieur à celui observé sous la buprénorphine-naloxone (rapport de cotes : 0,38)28. Malgré cela, nous suggérons la buprénorphine-naloxone plutôt que la méthadone dans cette population. Plusieurs études de cohorte non randomisées ont montré que les usagers d’opioïdes sur ordonnance affichaient un assez bon taux de rétention en traitement sous la buprénorphine-naloxone en première ligne (59 à 65 %)29,30. La buprénorphine-naloxone est plus sûre que la méthadone31–33, et les conséquences graves liées à l’abandon du traitement (surdose, emprisonnement, etc.) sont probablement moins répandues chez les usagers d’opioïdes sur ordonnance socialement stables (p. ex. détenteurs d’emploi, hébergement stable) (quoiqu’il n’existe pas non plus de recherche à ce sujet). Le risque d’abandon peut probablement être atténué en faisant immédiatement passer les patients à la méthadone s’ils ne répondent pas complètement à la buprénorphine-naloxone23.
Stades de vie
Adolescents : La méthadone ou la buprénorphine-naloxone, plutôt que les approches axées sur l’abstinence, sont recommandées aux adolescents (données de niveau II). Un essai randomisé a montré que le traitement d’entretien par la buprénorphine-naloxone était plus efficace que la diminution progressive de la dose de buprénorphine-naloxone chez les adolescents dépendants des opioïdes34. Certains médecins laissent entendre que la diminution progressive de la dose jusqu’à l’abstinence de buprénorphine-naloxone serait plus efficace que la diminution progressive de la dose de méthadone, mais cela n’est pas confirmé.
La méthadone est préférable à la buprénorphine-naloxone chez les adolescents qui s’injectent des opioïdes (données de niveau III). Si la buprénorphine-naloxone est utilisée en premier, il faut immédiatement faire passer le patient à la méthadone si la consommation d’opioïdes ou les symptômes de sevrage persistent (données de niveau IV). Des études observationnelles ont révélé que la méthadone affichait un meilleur taux de rétention en traitement que la buprénorphine-naloxone chez les héroïnomanes adolescents35,36. Par exemple, dans une revue rétrospective des dossiers, les patients qui prenaient la méthadone demeuraient en traitement pendant une moyenne de 354 jours, comparativement à 58 jours chez les patients qui prenaient la buprénorphine35. Les adolescents socialement stables qui consomment des opioïdes sur ordonnance par voie orale devraient d’abord recevoir la buprénorphine-naloxone (données de niveau IV).
Femmes enceintes : Les usagères d’opioïdes par injection qui sont enceintes devraient recevoir la méthadone d’abord (données de niveau II). Si la buprénorphine-naloxone est utilisée, il faut immédiatement faire passer les patientes à la méthadone si la consommation d’opioïdes ou les symptômes de sevrage persistent (données de niveau II). Une revue Cochrane de 3 essais contrôlés ayant comparé la méthadone à la buprénorphine chez des femmes enceintes dépendantes des opioïdes a observé que le taux de rétention en traitement était supérieur dans le groupe sous méthadone, quoique la différence n’ait pas tout à fait atteint la signification statistique (rapport de risque : 0,64, IC à 95 % : 0,41 à 1,01, 223 participantes)37. Dans l’essai MOTHER (Maternal Opioid Treatment: Human Experimental Research), l’essai de la plus grande envergure (175 participantes), 33 % des femmes sous buprénorphine ont abandonné le traitement comparativement à 18 % des femmes sous méthadone38. Les nouveau-nés de mères traitées par la buprénorphine étaient hospitalisés moins longtemps et nécessitaient moins de morphine que ceux de mères sous méthadone. Le syndrome d’abstinence néonatale peut toutefois être traité et n’est pas lié à des conséquences à long terme. Par ailleurs, l’abandon du traitement peut avoir des conséquences dévastatrices, telles que la perte de la garde de l’enfant ou le décès par surdose.
Les usagères d’opioïdes sur ordonnance par voie orale qui sont enceintes et socialement stables devraient toutefois recevoir la buprénorphine d’abord, car elles présentent un risque inférieur d’abandon (données de niveau IV). Il faut faire passer les femmes enceintes qui prennent la buprénorphine-naloxone à la buprénorphine seule, sans naloxone; l’innocuité de la naloxone durant la grossesse n’a pas été confirmée, quoique les données préliminaires indiquent qu’elle est sans danger39–42.
Personnes âgées : La buprénorphine-naloxone est préférable à la méthadone chez les patients âgés (données de niveau III). Il existe peu de publications sur l’emploi de la méthadone ou de la buprénorphine-naloxone chez les personnes âgées. La méthadone est considérablement plus puissante que la buprénorphine-naloxone et doit ainsi être utilisée avec prudence chez les personnes âgées, qui présentent un plus grand risque que les patients plus jeunes de chutes liées aux opioïdes et d’autres événements indésirables43–47.
État de santé
Patients qui exigent des soins de première ligne réguliers : Chez les patients qui profiteraient de soins de première ligne réguliers, la buprénorphine-naloxone prescrite en première ligne est préférable à la méthadone ou à la buprénorphine-naloxone prescrite dans des cliniques spécialisées (données de niveau II). Plusieurs essais contrôlés et études observationnelles ont démontré que le traitement par la buprénorphine-naloxone prescrite dans un bureau ou dans un contexte de soins de première ligne est aussi efficace que la buprénorphine-naloxone prescrite dans un contexte spécialisé de toxicomanie22,48,49. En outre, il est plus probable que les patients dépendants des opioïdes reçoivent des soins de dépistage, de maintien de la santé et de gestion des maladies chroniques lorsqu’ils reçoivent la buprénorphine-naloxone dans une clinique de première ligne48,50.
Patients à risque élevé de toxicité à la méthadone : La buprénorphine-naloxone est recommandée chez les patients à risque élevé de toxicité et de surdose liées à la méthadone (données de niveau III). Des études observationnelles ont invariablement montré que la buprénorphine-naloxone s’accompagne d’un risque substantiellement inférieur de surdose mortelle que la méthadone, particulièrement durant les premières semaines de l’ajustement progressif de la dose31–33,51. Les facteurs de risque de surdose de méthadone sont les affections pulmonaires ou cardiaques, la consommation abusive d’alcool, l’emploi concomitant de benzodiazépines et possiblement d’autres sédatifs, l’âge avancé et la faible tolérance aux opioïdes (consommation non quotidienne d’opioïdes, dépendance à la cocaïne, arrêt récent de la consommation d’opioïdes). Pour cette raison, la buprénorphine-naloxone est préférable à la méthadone chez les personnes atteintes d’un trouble mental qui prennent des benzodiazépines ou des antipsychotiques atypiques (données de niveau IV).
La buprénorphine-naloxone est préférable chez les patients à risque élevé d’allongement de l’intervalle QT (données de niveau III). Il a été démontré que la méthadone prolongeait l’intervalle QT et causait des torsades de pointes, surtout à fortes doses (200 à 300 mg) 52. La buprénorphine n’a aucun effet sur l’intervalle QT53.
Les patients qui manifestent des effets indésirables intolérables avec un médicament doivent passer à l’autre (données de niveau IV). Tant la méthadone que la buprénorphine-naloxone causent occasionnellement des effets secondaires sévères, tels que nausée et sédation. Si les effets secondaires ne répondent pas à l’ajustement posologique ou aux autres interventions, il faut faire passer le patient à l’autre médicament. La méthadone cause plus probablement la dysfonction érectile que la buprénorphine-naloxone54–56; ainsi, cette dernière serait préférable chez les hommes sexuellement actifs à faible risque d’abandonner le traitement.
Facteurs sociaux
Communautés rurales : La buprénorphine-naloxone est préférable à l’approche axée sur l’abstinence dans les communautés où la méthadone n’est pas disponible (données de niveau IV). Le traitement par la méthadone est impossible dans de nombreuses communautés reculées, qui ne disposent de personne pour la prescrire, où la pharmacie n’est pas ouverte 7 jours sur 7 et où il n’y a pas de services d’urgence. La buprénorphine-naloxone s’y impose comme une solution de rechange efficace et possible aux traitements par la méthadone 57–59.
Obligations professionnelles et familiales : La buprénorphine-naloxone est préférable à la méthadone chez les patients pour lesquels les obligations professionnelles et familiales font qu’il est très difficile de se rendre à la pharmacie tous les jours (données de niveau IV). Les programmes de méthadone dispensent de la méthadone, dont le risque de surdose est élevé, sous supervision quotidienne durant les premiers mois du traitement. La buprénorphine-naloxone est dispensée en toute sécurité en doses à emporter tôt durant le traitement si le patient présente un risque faible de diversion. Une étude qualitative a révélé que les patients préféraient les calendriers flexibles à emporter60.
La buprénorphine-naloxone est préférable chez les patients dont le travail exige une vivacité d’esprit (données de niveau III). Des études précliniques et un essai randomisé ont démontré que les patients sous buprénorphine-naloxone ont un meilleur score que ceux sous méthadone aux tests cognitifs et aux tâches psychomotrices liées à la conduite automobile61–65.
Résolution du cas
Vous instaurez un traitement par la buprénorphine-naloxone pour C.J. Elle dit continuer à manifester des symptômes de sevrage et à consommer de l’hydromorphone même si vous avez augmenté sa dose à la dose maximale; après 2 mois, elle arrête le traitement. À sa visite suivante, vous la recommandez à la clinique de méthadone locale. Après 3 mois sous méthadone, ses symptômes de sevrage ont disparu, son humeur s’est améliorée et elle a complètement arrêté de consommer de l’hydromorphone. Elle continue de prendre le lorazépam (d’une autre source) à l’occasion, et vous l’avisez des risques associés au mélange de benzodiazépines et d’opioïdes.
Conclusion
Contrairement à ce qui se produit pour la plupart des autres affections médicales, les patients dépendants des opioïdes, leur famille et les programmes de traitement de la toxicomanie ont souvent de fortes préférences pour un traitement plutôt qu’un autre66. Cependant, bien que les médecins doivent respecter les choix de leurs patients, ils ont aussi la responsabilité de les informer de ce que les données probantes indiquent au sujet des risques et des bienfaits des différentes options thérapeutiques. Ainsi, les médecins doivent informer les patients que la méthadone ou la buprénorphine-naloxone sont plus efficaces que les approches axées sur l’abstinence et sont dotées d’un faible risque de surdose. Le médecin doit aussi informer le patient qui opte pour l’abstinence au sujet des stratégies de prévention des surdoses et lui donner un accès urgent à la méthadone ou à la buprénorphine-naloxone en cas de rechute.
Un revirement complet de la politique est nécessaire pour veiller à ce que tous les Canadiens aient accès à un traitement fondé sur les données probantes. La plupart des provinces ont finalement inscrit la buprénorphine comme avantage général sur la liste publique des médicaments (Colombie-Britannique, Alberta, Ontario et Terre-Neuve-et-Labrador, de même que le Programme des services de santé non assurés et Services correctionnels), mais certaines provinces exigent une autorisation spéciale (Saskatchewan, Nouveau-Brunswick); dans d’autres provinces, elle ne peut être prescrite que comme agent de deuxième intention après la méthadone (Manitoba, Québec, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard). Les collèges de médecins exigent généralement que les médecins reçoivent une formation avant de pouvoir prescrire, et l’Alberta exige une formation obligatoire. En outre, beaucoup de programmes publics axés sur l’abstinence refusent l’admission aux patients qui prennent la méthadone ou la buprénorphine-naloxone. Ensemble, ces politiques causent des décès et des invalidités injustifiés en bloquant l’accès à des traitements sûrs, peu coûteux et efficaces, surtout aux patients qui vivent en milieu rural et ceux qui ne peuvent se permettre les médicaments.
Comme dans le cas des autres affections chroniques, il vaut mieux que la dépendance aux opioïdes soit prise en charge en première ligne : les médecins doivent instaurer un traitement par la buprénorphine-naloxone ou recommander le patient à un traitement par la méthadone, le cas échéant, et les cliniques spécialisées doivent retourner les patients sous buprénorphine-naloxone en première ligne lorsque leur état est stable.
Le traitement par un agoniste des opioïdes est beaucoup plus efficace que l’abstinence. Il faut tenir compte des caractéristiques et des préférences individuelles des patients lors de la sélection d’un traitement de première intention par un agoniste des opioïdes. La méthadone retiendrait mieux les patients, mais s’accompagne d’un risque supérieur de surdose que la buprénorphine-naloxone. Chez les patients qui présentent un risque élevé d’abandon (adolescents et patients socialement instables), la rétention en traitement doit avoir préséance sur les autres considérations cliniques. Chez les patients qui présentent un risque élevé de toxicité (comme les usagers abusifs d’alcool ou de benzodiazépines), la sécurité a sans doute préséance. Le facteur le plus important, c’est que le traitement par un agoniste des opioïdes est beaucoup plus efficace que l’approche axée sur l’abstinence.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
Par habitant, le Canada s’est hissé au premier rang au monde des pays qui comptent le plus d’usagers d’opioïdes sur ordonnance, et les taux correspondants de toxicomanie et de surdose sont aussi élevés. On demande souvent aux médecins de famille de recommander des options thérapeutiques aux patients qui sont dépendants des opioïdes sur ordonnance, mais l’incertitude plane quant à l’option à recommander à telle ou telle population de patients.
Le traitement par un agoniste des opioïdes est beaucoup plus efficace que l’abstinence. Lors du choix du traitement approprié par un agoniste des opioïdes, il faut tenir compte de la méthode d’administration, du type d’opioïde, ainsi que du stade de vie du patient, de son état de santé, de sa situation sociale et de ses préférences.
Comme dans le cas des autres affections chroniques, il vaut mieux que la dépendance aux opioïdes soit prise en charge en première ligne : les médecins doivent instaurer un traitement par la buprénorphine-naloxone ou recommander le patient à un traitement par la méthadone, le cas échéant, et les cliniques spécialisées doivent retourner les patients sous buprénorphinenaloxone en première ligne lorsque leur état est stable.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2017 issue on page 200.
Collaborateurs
Tous les auteurs ont contribué à la revue et à l’interprétation de la littérature, et à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
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