Un thème important qui revient souvent dans le domaine des soins de santé est la notion que la hausse perpétuelle des coûts est insoutenable. Les gouvernements fédéral et provinciaux font face à des pressions budgétaires qui se sont alourdies depuis la récession de 2008 et 2009. Ces tensions alimentent les conflits entre les bailleurs de fonds et les fournisseurs, y compris les établissements de soins de santé et les organisations professionnelles. Personne ne profite de ces conflits, et ceux qui ont le plus besoin de soins sont les plus à risque.
De plus en plus, les Canadiens se font dire qu’on ne peut plus se permettre des soins de santé universels. Ce débat se poursuit depuis 1961, lorsque le juge Emmett Hall présidait la Commission royale d’enquête sur les services de santé, ce qui avait finalement mené à la création du régime d’assurance-maladie. Opposé par ceux qui croyaient que les soins de santé étendus coûtaient trop cher, le juge Hall a répondu : « La seule chose qui coûte plus cher que de bons soins de santé, c’est l’absence de soins de santé. »
Les fonds consacrés aux soins de santé seront toujours limités. Nous devons les dépenser judicieusement. Le « triple objectif » des soins de santé consiste à poursuivre simultanément trois cibles de performance : améliorer l’expérience du patient; améliorer la santé des populations; et réduire le coût des soins de santé par personne1,2. Les idées sur la façon d’obtenir de meilleurs résultats à moindre coût foisonnent.3 Dans son récent ouvrage intitulé Better Now. Six Big Ideas to Improve Health Care for All Canadian, la Dre Danielle Martin propose les grandes solutions suivantes : s’assurer que chaque Canadien a accès à un médecin de famille, inclure les médicaments d’ordonnance au régime d’assurance-maladie et réduire les tests et interventions inutiles; réorganiser les soins de santé pour raccourcir le temps d’attente et améliorer la qualité; établir une garantie de revenu de base; et promouvoir les solutions à succès à l’échelle du pays.4 Son livre aura de l’attrait pour les médecins de famille, car il illustre chaque proposition par l’exemple d’un patient, reliant les effets de la politique à de vraies personnes… le type de personne dont nous prenons soin tous les jours.
Renforcer les soins primaires est un thème qui revient dans toutes les propositions sérieuses visant à obtenir de meilleurs résultats à moindre coût, nettement illustré par le travail de Barbara Starfield et ses collaborateurs.5 Le Collège encourage infatigablement cette initiative, avec des concepts fondés sur des données probantes comme le Centre de médecine de famille, les soins en équipe et l’apprentissage tout au long de la vie qui sont liés à l’amélioration de la qualité. En 2008, Dre Starfield observait :
L’engagement du Canada envers la recherche en soins primaires est très faible. Son renforcement aiderait le Canada à aller de l’avant et pourrait contribuer largement à l’avancement des soins primaires en tant que priorité mondiale du XXIe siècle.6
Cette situation s’améliore, mais très lentement. Notre Collège est engagé dans un plaidoyer soutenu et rigoureux visant l’accroissement du financement pour la recherche et le soutien des infrastructures. Avec le lancement de la série Innovation en soins primaires en janvier7, le Collège a mis en œuvre l’une des principales recommandations de Dre Martin : contribuer à l’expansion des solutions à succès.
Pour voir le jour, certaines grandes idées exigent une collaboration politique substantielle, des changements importants aux politiques et une coordination massive… ce qui semble aussi distant que dépassant. Heureusement, les médecins de famille peuvent contribuer à réduire les coûts des soins de santé en apportant des changements graduels dans leurs propres pratiques. Choisir avec soin énumère ce que nous pouvons faire tous les jours pour améliorer la qualité, tout en réduisant les coûts.8 En adoptant tout simplement la première recommandation de la liste de médecine familiale (c.-à-d. Ne recourez pas à des examens d’imagerie pour des douleurs au bas du dos à moins d’être en présence de signaux d’alarme) on estime pouvoir réaliser une économie de 200 millions de dollars par an. Ne pas utiliser d’antibiotiques pour traiter une infection des voies respiratoires permet d’économiser non seulement le coût des médicaments, mais les visites chez le médecin pour les effets secondaires et les complications, sans compter l’évolution insidieuse et coûteuse des super bactéries résistantes aux antibiotiques.
Apporter des changements ponctuels et intentionnels, que ce soit sur le plan individuel, pour une pratique entière, ou pour toute une équipe, n’est pas facile. Il faut certaines connaissances… les bases de l’amélioration de la qualité… mais il faut surtout de l’engagement et de la pratique.9 L’avantage est avant tout le sentiment de contribuer à améliorer les choses.
La contribution la plus importante de la médecine familiale est sans doute ce dont parle l’écrivain médical Atul Gawande dans un article publié dernièrement dans The New Yorker, intitulé The Heroism of Incremental Care.10 Il décrit les soins continus, centrés sur le patient et basés sur la relation que les médecins de famille fournissent, et l’effet sur celui qui paye et sur les coûts. Il est réconfortant de savoir, en cette période de turbulence et de changements, que nos gestes quotidiens sont précieux, et que nous avons nous-mêmes le pouvoir d’améliorer les choses un jour à la fois.
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