
Mon ordinateur m’a battu aux échecs, je l’ai battu à la boxe.
Demetri Martin
Le numéro de mai du Médecin de famille canadien présente 2 articles de recherche inédite sur différentes facettes des dossiers médicaux électroniques (DME) utilisés en médecine familiale au Canada. Un sondage national auprès de médecins de famille par Miedema et collègues (page e285) révèle que presque tous les répondants ont dit utiliser un ordinateur à la clinique à des fins administratives et de recherche. Ceux qui travaillaient dans le contexte de modèles plus récents de soins primaires étaient plus enclins à se servir des ordinateurs dans la prestation des soins aux patients que ceux exerçant dans le contexte de modèles traditionnels (74 c. 57 %)1.
Une étude sur la qualité de la documentation des problèmes de santé dans les DME de 19 cliniques de soins primaires au Manitoba, réalisée par Singer et collègues (page 383), fait valoir que les médecins rémunérés à salaire ou par capitation complétaient davantage la liste des problèmes que ceux payés à l’acte, mais que dans l’ensemble, les taux de documentation étaient faibles2. Les résultats des 2 études ont des répercussions sur l’utilisation des DME à des fins d’amélioration de la qualité et de la recherche en soins primaires au Canada.
L’utilisation généralisée des ordinateurs et l’adoption des DMR en soins primaires sont prometteuses. Grâce à l’amélioration de la documentation et des communications, au partage de renseignements au cours de transitions entre soins, à la plus grande sécurité des patients et à la meilleure qualité des soins, les DME pourraient contribuer substantiellement à ce que Berwick et ses collègues ont appelé le Triple objectif des soins de santé : améliorer la santé des populations, améliorer l’expérience des soins par les patients et réduire les coûts per capita3.
De plus, comme l’a éloquemment décrit Frank Sullivan dans sa Conférence James Mackenzie de 20154, nous sommes sur le point de réaliser la vision de Mackenzie, soit de faire pour la médecine ce que la Théorie atomique a fait pour la chimie4, en saisissant les riches données de chaque consultation en médecine générale ou familiale et en les reliant à celles d’autres grandes bases de données qu’utilisent les chercheurs, dans le but ultime de poser des diagnostics plus exacts, d’administrer des traitements mieux ciblés et, en fin de compte, d’obtenir de meilleurs résultats4.
Malheureusement, l’atteinte du Triple objectif et l’accumulation de données atomiques en soins primaires pourraient se faire au détriment des médecins eux-mêmes.
Il est clairement établi que l’insatisfaction face à l’équilibre vie-travail et l’épuisement professionnel sont à la hausse chez les médecins (par rapport au reste de la main-d’œuvre, chez qui ces taux sont demeurés stables et 2 fois moins élevés que chez les médecins), les professionnels de première ligne, comme les urgentologues et les médecins de famille, étant à risque plus élevé5,6. Il a été démontré que l’adoption et l’usage des DME y contribuent significativement (p < ,03)7 : moins de temps consacré aux soins directs, fardeau croissant d’entrée et de gestion de l’information, et limites mal définies entre vie personnelle et professionnelle, d’où s’ensuivent les risques inhérents d’insatisfaction, d’épuisement et de maladie mentale.
Comment obtenir les bienfaits du Triple objectif et exploiter le pouvoir des données atomiques pour la société, tout en atténuant le risque pour les médecins de famille?
Bodenheimer et Sinsky proposent un quatrième objectif : les soins au médecin. Pour l’atteindre, ils suggèrent des solutions pratiques : documentation en équipe; planification des rendez-vous et analyses de laboratoire préalables; prise en charge, par les infirmières et les aides au médecin, des soins préventifs et chroniques d’après les instructions écrites du médecin; organisation normalisée et synchronisée du renouvellement des ordonnances; et regroupement des équipes en un même lieu8.
Pour paraphraser James Mackenzie, bien qu’il faille se souvenir que toute grande entreprise se fonde sur le travail d’individus dont le passé se perd dans l’oubli, nous devons aujourd’hui prendre soin du mieux-être de tous ceux qui contribuent à cette grande entreprise, y compris les médecins de famille.
Footnotes
This article is also in English on page 342.
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