On apprenait récemment en lisant le numéro de février 2017 du JAMA Internal Medicine que, chez les patients âgés hospitalisés, il valait mieux être sous les soins d’une femme médecin que d’un homme médecin1. Pour arriver à cette conclusion, les auteurs ont évalué le devenir de plus de 1,5 million de personnes âgées hospitalisées soignées par près de 60 000 internistes américains de 2011 à 2014. L’étude a révélé des différences notables: la mortalité au 30e jour du début de l’hospitalisation était de 11,07 % pour les patients traités par les femmes internistes contre 11,49 % par les hommes internistes, soit une différence de 0,43 % jugée statistiquement significative. En ce qui concerne les réadmissions, au 30e jour, les taux étaient de 15,02 % pour les patients sous les soins des premières comparativement à 15,57 % pour ceux traités par les deuxièmes, la différence de 0,55 % en faveur des femmes étant jugée, encore là, statistiquement significative. Les auteurs indiquaient que les différences en faveur des femmes étaient telles que le nombre de patients ayant besoin d’être traités pour prévenir un de ces incidents étaient respectivement de 1 sur 233 pour la mortalité et de 1 sur 182 pour les réadmissions.
Ces chiffres sont troublants. Quiconque lit ces résultats se dit immanquablement qu’il est sûrement préférable d’être traité par une femme médecin que par un homme médecin. D’autant plus que les auteurs énumèrent, documentation à l’appui, un large éventail d’autres actions que les femmes médecins font mieux que les hommes: en soins de première ligne, elles adhèrent davantage aux guides de pratique; elles pratiquent davantage une médecine basée sur les évidences scientifiques; elles prodiguent plus de soins préventifs; elles ont une communication plus centrée sur le patient; elles performent aussi bien sinon mieux aux examens standardisés; elles prodiguent davantage de conseils que ne le font leurs confrères. Bref, à lire cette longue énumération, on se demande bien ce que font les hommes en médecine!
Pourtant, une lecture critique de l’étude permet de constater que les résultats sont loin d’être aussi convaincants qu’ils ne le semblent d’emblée. Tout d’abord, l’étude est de type observationnelle. Or, on sait bien que dans ce genre d’étude, il est impossible de contrôler les variables confondantes. Pour preuve, dès le début, on note d’importantes différences entre les caractéristiques des hommes médecins et des femmes médecins: celles-ci sont plus jeunes que leurs collègues (5 ans de moins); elles œuvrent davantage pour des organisations à but non lucratif (78 c. 76 %); elles travaillent davantage dans des grands hôpitaux d’enseignement (29 c. 21 %); et elles soignent moins de patients que leurs collègues masculins (132 c. 181 par année). À eux seuls, ces facteurs peuvent expliquer les résultats favorables qu’elles ont obtenus. En effet, n’importe quel groupe composé de soignants plus jeunes, bénéficiant davantage de l’apport des résidents et de la présence de consultants académiques in situ, s’occupant d’un moins grand nombre de patients, partirait d’emblée favori. Et puis, force est de reconnaître que malgré la signification statistique, les différences observées sont bien minimes: on parle d’un événement sur 233 pour la mortalité et d’un sur 182 pour les réadmissions. Or, ce sont là plus de patients que n’en traitent les médecins concernés dans une année complète. De plus, quiconque est familier avec le fonctionnement hospitalier sait bien qu’il est très rare qu’un patient hospitalisé demeure sous les soins exclusifs d’un seul et même médecin, et ce, en raison des appels de garde, des transferts de fin de semaine ou des rotations des médecins traitants. Dès lors, il est bien difficile d’isoler ce qui est exclusivement du ressort du médecin traitant, soit-il une femme ou un homme.
Pourtant, et malgré ces failles évidentes, il est fort probable que cette étude contribuera avec d’autres à créer et à entretenir le mythe selon lequel les femmes performent mieux que les hommes en médecine. À preuve, en date du 19 avril 2017, cet article avait été visité par plus de 230 000 personnes, et l’altimètre, lequel recense l’activité non savante (donc immédiate) d’une publication, c’est-à-dire la diffusion dans les médias traditionnels (journaux) et sociaux (Twitter, Facebook, blogues, etc.) indiquait un score de près de 4000, ce qui correspond à un taux de fréquentation très élevé. C’est comme si les grands titres médicaux, surtout s’ils sont populaires, intéressaient davantage que les données probantes2.
Quoi qu’il en soit, et sans égard aux résultats de cette étude, la progression du nombre de femmes médecins a été phénoménale, au Canada, au cours des 20 dernières années. Pour preuve, en 1995, il y avait 29 775 médecins de famille, parmi lesquels 8916 femmes, soit une proportion de 30 %; en 2016, le nombre total atteignait 41 719 parmi lesquels 18 487 femmes, soit 44 %3. À ce rythme, il est fort probable que d’ici quelques années, il y aura autant de femmes médecins que d’hommes médecins au Canada. Cela est une très bonne chose, mais pas pour les raisons précédemment évoquées.
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