
Mais, dans la situation présente, nous tenons le loup par l’oreille, mais nous ne pouvons ni le retenir ni le laisser partir sans danger.
Thomas Jefferson (traduction libre)
Le Canada est reconnu pour de nombreuses grandes « inventions » médicales, dont l’insuline, le microscope électronique et le stimulateur cardiaque externe, pour n’en nommer que quelquesunes1. D’autres sont présentées dans le Récit de la page couverture, à la page e3552. Or, l’une des meilleures inventions médicales au Canada n’est pas un objet, mais bien un comité : le Groupe d’étude canadien sur l’examen médical périodique, fondé en 1976 lors de la Conférence des sous-ministres de la Santé des 10 provinces canadiennes, puis rétabli à nouveau en 2012 sous le nom de Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP). Après la mise sur pied du Groupe d’étude canadien sur l’examen médical périodique, d’autres pays comme les États-Unis ont formé leurs propres comités.
La prévention est l’un des nombreux mots « associés étroitement à la droiture »3 depuis des années. Comme l’écrivait David Sackett, il y a aussi longtemps qu’en 1972, dans les pages du Médecin de famille canadien (MFC) :
Les programmes de dépistage par étapes et d’examen médical périodique sont très attrayants pour les médecins, les autres professionnels de la santé et la population en général parce qu’ils regroupent leurs forces dans le but de réduire le fardeau immense de l’incapacité et des décès prématurés dus aux maladies chroniques4.
À la suite d’une analyse approfondie des données probantes existantes, il a conclu que si le dépistage de certains problèmes avait une certaine utilité, il y avait peu d’espoir que les programmes d’alors réduisent les risques ou même préservent la santé dans l’ensemble de la population4.
Trois décennies plus tard, après la publication des résultats de l’étude Women’s Health Initiative, Sackett a fait valoir que la médecine préventive arborait tous les caractères de l’arrogance : elle s’affirmait agressivement en s’évertuant à dire à des personnes asymptomatiques ce qu’elles devaient faire pour rester en santé, elle était présomptueuse de prétendre que ses interventions apporteraient plus de bienfaits que de torts à ceux qui s’y conformeraient et enfin, elle était autoritaire en critiquant quiconque remettait en question la valeur de ses recommandations5.
Bien que la prévention des maladies soit un objectif valable, il y a des limites à son efficacité, qu’il importe de reconnaître6,7. Tant les médecins que le public surestiment les avantages et sous-estiment les risques des interventions de dépistage et des soins préventifs8. On pourrait soutenir que l’approche du médecin en clinique à l’endroit de la prévention primaire des maladies est peut-être la moins efficace de toutes quand il s’agit de promouvoir des comportements complexes comme l’activité régulière et une saine alimentation. Étant donné que les visites systématiques pour un bilan de santé représentent presque la moitié des consultations médicales aux États-Unis9 et que le temps consacré par les médecins de famille à offrir des soins préventifs est estimé à plus de 7 heures par jour de travail10, ce temps ne serait-il pas mieux utilisé à s’occuper des besoins urgents de soins aigus de nos patients?
Dans le présent numéro du MFC, nous publions le premier d’une série d’articles par le GECSSP, conçus pour aider les médecins de famille surchargés à gérer les nombreux défis que posent les soins préventifs en clinique. Dans le commentaire d’introduction, les membres du groupe d’étude présentent un bref historique du comité, expliquent les processus et les méthodes pour évaluer les données probantes, et mettent la série en contexte (page e328)11. Comme ils le font remarquer, la plupart des recommandations du groupe sont classées comme faibles, ce qui signifie que de plus en plus, les médecins de famille doivent s’engager dans une prise de décisions éclairées lorsqu’ils aident leurs patients à comprendre la probabilité et la nature des bienfaits et des inconvénients du dépistage. Le premier article de la série, « Prendre de meilleures décisions en matière de dépistage préventif. Équilibrer bienfaits et préjudices »8, met la table (page 525).
Le GECSSP est l’une des nombreuses grandes inventions médicales canadiennes; elle aide les médecins de famille et les autres professionnels de la santé du Canada à offrir avec humilité des soins préventifs centrés sur le patient, depuis plus de 3 décennies. Nous, au MFC, avons le plaisir de présenter cette série à nos lecteurs.
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