Le Groupe d’étude canadien sur l’examen médical périodique, précurseur de l’actuel Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs, a été fondé en 1976 lors de la Conférence des sous-ministres de la Santé des 10 provinces canadiennes. Au moment de sa formation, le groupe d’étude avait pour mandat de déterminer comment transformer l’examen médical périodique en un outil plus efficace dans le but d’améliorer et de protéger la santé des Canadiens1. Comme le décrivait le groupe d’étude initial, l’examen médical périodique avait 2 principaux objectifs : la prévention des maladies et la promotion de la santé, selon 2 grandes stratégies, notamment le bilan annuel systématique non spécifique et l’immunisation. Les membres du comité original ne doutaient nullement de l’utilité de l’immunisation, mais remettaient en question l’efficacité du bilan annuel systématique comme approche pour la promotion de la santé et la prévention. Ils ont plutôt cherché à définir des ensembles d’activités de protection de la santé ou de prévention adaptés à l’âge, pouvant être entrepris dans les milieux de soins primaires1,2.
De 1976 à 1979, le groupe a élaboré une méthode pour évaluer les données scientifiques pouvant servir à présenter des recommandations en faveur ou en défaveur des interventions précises en soins préventifs lors de l’examen médical périodique. En 1979, le groupe d’étude publiait son premier rapport, où il passait en revue les données probantes sur la possibilité de prévenir 78 problèmes de santé et en arrivait à une importante recommandation centrale : le bilan de santé annuel non spécifique devrait être abandonné et remplacé par des interventions préventives adaptées à l’âge, qu’il est possible d’effectuer durant des consultations médicales pour d’autres raisons1. De 1979 à 1994, le groupe d’étude a produit 9 mises à jour et, en 1994, il publiait une compilation historique, le Guide canadien de médecine clinique préventive, aussi connu des cliniciens en soins primaires canadiens et de leurs collègues internationaux sous le nom de « La Brique rouge »3.
Les défis de l’intégration des données probantes dans la pratique
Parmi les grands défis auxquels les membres du groupe d’étude initial ont fait face figuraient le manque de données probantes en faveur ou en défaveur de nombreux services de soins préventifs et l’absence d’une méthode précise pour évaluer les services à recommander. Ce premier groupe d’étude a su relever ces défis et a laissé en héritage aux médecins de soins primaires canadiens et du monde entier une justification claire de l’abandon des examens médicaux annuels complets au profit d’ensembles d’interventions préventives adaptés à l’âge, de même qu’un précieux cadre méthodologique pour évaluer les services de soins préventifs. Au cours des années 1980, le Preventive Services Task Force des États-Unis était fondé et adoptait, avec de mineures modifications, le cadre méthodologique du groupe d’étude canadien, ce qui témoigne de l’influence exercée par ce dernier4,5.
Même de nos jours, le groupe d’étude canadien actuel continue d’utiliser de nombreux aspects du cadre général défini par son prédécesseur. Par ailleurs, il s’est produit d’importants changements dans les données probantes sur les soins préventifs et notre compréhension des meilleures façons de les incorporer dans les recommandations cliniques. Parmi ces changements importants, on peut mentionner l’adoption de la méthodologie GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation) pour évaluer la qualité des données probantes accessibles et transposer ces faits scientifiques dans les recommandations6. La méthode GRADE est utilisée pour évaluer non seulement les bienfaits putatifs des interventions préventives, mais aussi les préjudices qu’elles causent. En se fondant sur ce système, le groupe d’étude présente des recommandations fortes ou faibles en faveur ou en défaveur d’une intervention ou d’un service en soins préventifs. Les recommandations sont fortes lorsque les membres ont confiance, en fonction de leur évaluation des données probantes accessibles, que les effets souhaitables d’une intervention surpassent les effets indésirables (forte recommandation en faveur) ou que les effets indésirables surpassent clairement les effets souhaitables (forte recommandation en défaveur). Une forte recommandation laisse entendre que le plan d’action recommandé serait dans l’intérêt supérieur de la plupart des personnes.
D’autre part, de faibles recommandations sont présentées si les effets souhaitables surpassent probablement les effets indésirables ou vice versa, mais qu’il persiste beaucoup d’incertitudes entourant cet équilibre. Les recommandations sont aussi classées comme étant faibles lorsqu’il y a beaucoup d’incertitudes à propos des bienfaits et des préjudices probables d’un service de prévention, mais que la décision quant à la façon de procéder relève des préférences et des valeurs personnelles. Comme exemple, on peut citer la faible recommandation du groupe d’étude à l’égard du dépistage du cancer du sein par mammographie chez les femmes de 50 à 69 ans, aux 2 ou 3 ans. La recommandation était faible parce que le dépistage aurait sauvé la vie de 1 femme sur 721, mais aurait aussi eu les effets indésirables suivants : le dépistage de 1 femme sur 3 ou 4 se serait traduit par des constatations fausses-positives à la mammographie, 1 dépistage sur 27 aurait nécessité une biopsie inutile et 1 dépistage sur 200 se serait conclu inutilement par une mastectomie partielle ou complète7.
La plupart des recommandations du groupe d’étude sont faibles, et cette réalité pose un nouveau défi, tant pour le comité que pour les médecins de soins primaires et leurs patients qui doivent décider de la bonne marche à suivre. Le groupe d’étude initial avait reconnu que les données probantes ne conduisaient pas toutes à une décision binaire facile de « faire » ou « ne pas faire » et que parfois, il n’y avait pas assez de données probantes pour recommander ou non un service de soins préventifs. Mais dans tous les cas, le groupe a adressé ses recommandations aux professionnels de la santé en leur indiquant s’il existait des données probantes pour recommander d’offrir le service3. À l’heure actuelle, dans le cas des faibles recommandations, les médecins de soins primaires sont appelés à aider leurs patients à comprendre la probabilité et la nature des bienfaits par rapport aux préjudices possibles, de manière à ce que les patients prennent leurs propres décisions. Autrement dit, les patients sont appelés à s’engager dans une prise de décisions partagée et éclairée.
À l’appui de la mise en œuvre des lignes directrices
Il est difficile de comprendre le juste équilibre entre les bienfaits et les préjudices potentiels d’un service. Pour le médecin de soins primaires débordé, qui ne doit pas seulement comprendre les données probantes, mais aussi communiquer efficacement les renseignements aux patients de manière à ce qu’ils puissent prendre une décision conforme à leurs préférences et valeurs, c’est une tâche complexe qui prend beaucoup de temps. Par conséquent, un autre important changement dans le fonctionnement du groupe de travail tient compte du fait que nous comprenons que la publication de lignes directrices ne suffit pas et que la production de guides de pratique doit s’accompagner de stratégies de transposition du savoir fondées sur des données probantes qui aident les médecins de soins primaires à utiliser les recommandations au point de service. C’est pourquoi l’actuel groupe de travail insiste considérablement sur ses efforts d’application et d’évaluation des connaissances.
Dans ce contexte, des membres du groupe de travail, actuels et anciens, ont élaboré une série d’articles qui mettent en évidence les éléments clés nécessaires pour intégrer efficacement les recommandations en prévention dans les soins primaires. Dans le présent numéro du Médecin de famille canadien, Bell et ses collègues (page 525) discutent des bienfaits et des préjudices pouvant découler du dépistage, de la façon dont le groupe de travail les a évalués et de la manière dont les médecins peuvent analyser l’équilibre entre les bienfaits et les préjudices pour éclairer la prise de décisions8. Les articles dans les numéros subséquents porteront sur les sujets suivants : la prise de décisions conjointe en soins préventifs, l’intégration des valeurs et des préférences du patient dans la prise de décisions partagée, les outils d’application des connaissances que produit le groupe d’étude à l’appui de la prise de décisions conjointe et de la mise en œuvre des recommandations, l’explication de la mesure des paramètres utilisée dans l’évaluation des données probantes, l’analyse de la rigueur des lignes directrices du groupe d’étude canadien et d’autres organisations, et les valeurs et préférences organisationnelles.
Nous avons parcouru du chemin depuis les années 1970, lorsque le premier groupe d’étude commençait ses travaux. Nous croyons que les fondements établis par ce groupe et les progrès accomplis depuis nous ont permis d’offrir des services de soins préventifs de plus en plus éclairés au Canada. Une chose n’a pas changé : le rôle essentiel que jouent les médecins de soins primaires débordés dans notre système de santé et, plus précisément, dans la prestation des soins de santé préventifs. Nous espérons que la série d’articles du groupe d’étude facilitera votre travail et la mobilisation de vos patients dans une prise de décisions qui concordent avec leurs valeurs et préférences.
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2017 issue on page 504.
Intérêts concurrents
Tous les auteurs ont rempli les formulaires normalisés concernant les conflits d’intérêts de l’International Committee of Medical Journal Editors (accessibles sur demande auprès de l’auteur correspondant) et déclarent n’avoir aucun intérêt concurrent.
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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