
Les médecins, particulièrement les médecins de famille, sont souvent appelés à se prononcer sur le pronostic de leurs patients : que ce soit pour justifier un arrêt de travail en précisant sa durée ou déterminer si l’invalidité est temporaire ou permanente; ou pour expliquer les besoins en soins à domicile ou demander une admission en institution de soins de longue durée; ou encore, pour déterminer l’évolution de la maladie ou établir les niveaux de soins.
Pour ce faire, ils se basent habituellement sur un ensemble de facteurs : le diagnostic principal, la gravité de la maladie, son stade, son évolution, la présence de comorbidités, ainsi que l’état clinique du patient et ses ressources individuelles et collectives. Parfois, le pronostic est facile à poser, comme pour un patient souffrant d’un cancer du poumon métastatique chimio et radio réfractaires, grabataire, rendu au trépas. Parfois, c’est plus compliqué, comme chez les patients souffrants de maladies cardiaques ou pulmonaires sévères qui, en dépit de fonctions ventriculaires et expiratoires très perturbées, réussissent parfois à survivre pendant de nombreuses années. Dans ces cas, pour établir le pronostic, ils font souvent appel à leurs expériences personnelles ou des intuitions subjectives que l’on pourrait qualifier de « flair clinique ».
Quelle confiance peut-on accorder à ces impressions personnelles quand vient le temps d’établir le pronostic des patients? En 2008, des chercheurs se sont intéressés à ce sujet en se demandant si une question, en apparence toute simple, pouvait permettre d’établir le pronostic à moyen terme des patients malades : « Seriez-vous surpris si cette personne mourait dans les 12 prochains mois? »1. L’étude conduite auprès de 147 patients hémodialysés a montré que les médecins pouvaient ainsi prédire assez bien la mortalité de leurs patients malades : la probabilité de mourir dans l’année courante pour les patients appartenant au groupe « Je ne serais pas surpris » était 3,5 fois plus élevée que dans l’autre groupe (rapport des cotes = 3,507, calculé par régression logistique; IC à 95 % de 1,356 à 9,067). Ce qui fait que depuis ce temps, on a fortement encouragé l’usage de cette question pour établir les besoins en soins de longue durée et en soins palliatifs.
Or, une méta-analyse récemment publiée vient porter ombrage à cette conviction2. Les auteurs ont répertorié 16 études (17 cohortes) prospectives utilisant la dite « question surprise ». Les résultats combinés montrent que cette question a une sensibilité de 67 % et une spécificité de 80 %. Toutefois, les auteurs ont calculé une valeur prédictive positive de seulement 37 %. C’est donc dire que, parmi tous les patients pour lesquels les médecins avaient dit « Je ne serais pas surpris si ce patient mourait dans les 12 prochains mois » (délai utilisé dans toutes les études sauf 3), seulement 1 patient sur 3 décédait effectivement. Les résultats étaient un peu meilleurs dans les études composées de patients atteints de cancer (valeur prédictive positive de 47 %), mais la prédiction se révélait très faible pour les autres patients (valeur prédictive positive de 31 %). À ce compte-là, les patients gravement malades qui désirent connaître leur devenir feraient bien mieux, plutôt que de demander à leur médecin « Docteur, est-ce que je vais vivre encore un an? », de tirer la question à pile ou face!
Ces constatations sont troublantes, particulièrement pour l’aide médicale à mourir. En effet, parmi les critères requis pour qu’une personne obtienne cette aide, figure la question du pronostic du patient : au fédéral, la Loi stipule que la mort doit survenir dans un délai raisonnable3, alors qu’au Québec, il faut être en fin de vie (article 26)4. Or, si l’on se fie aux observations précédentes, on voit bien qu’il n’est pas si facile que cela de prédire le devenir de nos patients. Certes, cela est plus facile quand la mort est imminente, lorsque la personne est au trépas, alitée, grabataire, inconsciente, ne s’alimentant ni ne s’hydratant plus, à tel point que quiconque voit bien qu’elle n’en a plus pour longtemps. Par contre, dès que l’on s’éloigne de la mort imminente, cela devient beaucoup plus difficile.
Tout cela soulève un doute sur la capacité des médecins à vraiment pouvoir prédire le pronostic de leurs patients. Mais le plus aberrant dans cette histoire est qu’en dépit de ces lacunes, il est raisonnable de penser que les médecins demeurent encore les mieux placés pour ce faire. Toutefois, il importe de reconnaitre que nos prédictions sont loin d’être infaillibles.
Footnotes
This article is also in English on page 584.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada