La maladie de Kawasaki (aussi connue sous le nom de syndrome mucocutané des ganglions lymphatiques) est une affection systémique inflammatoire aiguë qui s’accompagne d’une vasculite d’origine inconnue1. Elle a tout d’abord été décrite par le pédiatre japonais Tomisaku Kawasaki en 19672. On croit que ce problème pourrait être causé par une réaction immunitaire excessive à une infection chez des patients ayant une vulnérabilité génétique, qui entraîne ainsi une irritation et des lésions endothéliales vasculaires3,4. La maladie de Kawasaki est la principale cause de cardiopathie acquise chez les enfants en Amérique du Nord et au Japon5,6. Elle touche habituellement les enfants de moins de 5 ans6,7. Dans la province de l’Ontario, l’incidence annuelle de la maladie de Kawasaki de 2004 à 2006 se situait à 26,2 enfants sur 100 000 chez les moins de 5 ans8. La maladie était davantage observée à la fin de l’automne et en hiver, et le ratio entre garçons et filles était de 1,6 pour 18.
Le diagnostic de la maladie de Kawasaki est posé cliniquement. L’American Heart Association propose comme critères diagnostiques de la maladie de Kawasaki habituelle (typique) la présence de fièvre pendant au moins 5 jours, plus 4 des 5 caractéristiques cliniques suivantes : injection conjonctivale bilatérale; changements buccaux, comme des lèvres craquelées et érythémateuses et la langue framboisée; lymphadénopathie cervicale; changements aux extrémités, comme un érythème de la paume des mains et de la plante des pieds ou une desquamation aux doigts et aux orteils; et rash polymorphe. La maladie de Kawasaki incomplète (atypique) se produit chez les enfants chez qui la fièvre dure au moins 5 jours et qui présentent 2 ou 3 de ces constatations1. Parmi les symptômes moins fréquents de la maladie de Kawasaki figurent des problèmes gastro-intestinaux (diarrhée, vomissements et douleurs abdominales), d’ordre respiratoire (toux et rhinorrhée) et rhumatologique (enflure et douleurs articulaires)1.
Les complications de la maladie de Kawasaki touchent principalement le système cardiovasculaire, comme des anévrismes aux artères coronaires, la myocardite, la péricardite, l’épanchement péricardique, la dysfonction valvulaire, la dysfonction ventriculaire gauche et l’arrythmie1.
Le traitement de la maladie de Kawasaki a pour but de réduire l’inflammation et de prévenir les complications cardiaques. Les lignes directrices de l’American Heart Association recommandent l’administration d’immunoglobuline intraveineuse (IGIV) (2 g/kg sur 12 heures), combinée à de l’acide acétylsalicylique (AAS) à forte dose (80 à100 mg/kg par jour, répartis en 4 doses). Après que la fièvre ait disparu pendant 48 à 72 heures, les lignes directrices recommandent de réduire la dose d’AAS à 3 à 5 mg/kg 1 fois par jour pendant 6 à 8 semaines. Si des anomalies comme une sténose ou des anévrismes se développent et persistent, de l’AAS à faible dose pourrait être nécessaire à vie1. L’immunoglobuline intraveineuse module la production de cytokines et influence l’activité des cellules T, tandis que différentes doses d’AAS pourraient réduire l’inflammation, de même que le risque de thrombose1.
Le rôle et l’efficacité de l’AAS à forte dose pour la maladie de Kawasaki durant la phase fébrile aiguë ont récemment été remis en question en raison du manque de données probantes précises étayant qu’il prévient les complications aux artères coronaires et du risque du syndrome de Reye9.
L’utilisation de l’AAS pour la maladie de Kawasaki
Une revue systématique et une méta-analyse réalisées il y a une décennie signalent que 1 étude randomisée contrôlée qui examinait l’incidence de lésions coronaires au jour 30 après l’apparition des symptômes chez 102 enfants n’avait pas la puissance voulue pour démontrer une différence statistique entre les enfants qui avaient reçu une combinaison de l’IGIV et de l’AAS (30 à 50 mg/kg par jour jusqu’à ce que la fièvre ait baissé, puis de 10 à 30 mg/kg par jour jusqu’à la disparition de la réaction aiguë) et ceux qui n’avaient reçu que de l’IGIV (risque relatif de 1,30, IC à 95 % de 0,37 à 4,56)9. La deuxième étude dans la méta-analyse faisait valoir que, même si l’AAS à forte dose diminuait la durée de la fièvre, aucun effet sur les anomalies coronaires n’avait été observé lors du suivi. Parmi les enfants souffrant de la maladie de Kawasaki qui avaient reçu 2 g/kg d’IGIV, la prévalence de la fièvre au jour 3 était de 40 % chez ceux qui avaient reçu de l’AAS à faible dose (3 à 8 mg/kg par jour pendant 3 mois) par rapport à 18 % chez les enfants ayant pris de l’AAS à forte dose (100 mg/kg par jour pendant 14 jours, puis 3 à 5 mg/kg par jour). La prévalence de la fièvre au jour 6 était de 9 % dans le groupe à faible dose d’AAS et de 3 % dans celui à forte dose d’AAS. Le nombre d’anomalies coronaires lors de l’admission se situait à aucune chez les 45 enfants dans le groupe à faible dose d’AAS et à 2 parmi les 40 enfants dans le groupe à forte dose d’AAS; au moment du suivi, il y en avait chez 1 patient sur 45 dans le groupe à faible dose et chez 1 patient sur 40 dans le groupe à forte dose. Parce que l’échantillon de l’étude était trop petit pour détecter un effet significatif sur un paramètre inhabituel, la méta-analyse a conclu que les données probantes étaient insuffisantes pour recommander ou non l’utilisation de l’AAS.
Les anomalies coronaires et l’AAS
Une étude rétrospective comparant les anomalies coronaires entre 568 enfants américains et 514 enfants japonais atteints de la maladie de Kawasaki au moyen d’une échocardiographie pour mesurer les scores z maximaux (c.-à-d. le diamètre interne maximal de l’artère coronaire antérieure gauche descendante ou de l’artère coronaire droite, rapporté sous forme d’unités d’ET par rapport au score z moyen et normalisé en fonction de la surface corporelle) dans un intervalle de 12 semaines suivant l’apparition et calculés à l’aide de 2 équations de régression différentes (Dallaire du Canada et Fuse du Japon)10. Les scores z maximaux normaux étaient définis comme étant de moins de 2,5 unités d’ET. Les scores z maximaux moyens selon l’équation de Dallaire pour les sujets américains et japonais étaient de 1,9 et de 2,3 unités d’ET respectivement (p < ,001). Même en utilisant l’équation de Fuse pour le score z, les enfants américains avaient toujours un pourcentage plus élevé d’artères coronaires normales (score z maximal < 2,5; p < ,001), et un pourcentage plus grand d’enfants japonais avaient des scores z maximaux se situant entre 2,5 et 5,0 (p < ,001). Aucune différence significative n’a été signalée dans les taux de patients des 2 pays chez qui le score z maximal était d’au moins 5,0. Dans un modèle à variables multiples avec ajustements en fonction de l’âge, du sexe et de la réponse au traitement, le fait d’être un Japonais était toujours associé à un score z maximum plus élevé. Cette étude soutenait la notion qu’un score z pouvait servir de mesure standard du diamètre des artères coronaires chez les enfants souffrant de la maladie de Kawasaki.
Cinq études observationnelles rétrospectives et prospectives ont fait valoir que l’AAS à forte dose ne réduit pas les lésions coronaires et ont soulevé une étonnante possibilité que l’AAS puisse être associé à une incidence plus élevée d’anomalies coronaires; toutefois, l’indication de traiter ces enfants avec de l’AAS pourrait avoir influencé les résultats11–15.
Lee et ses collègues ont rapporté qu’il n’y avait pas de différence significative observée dans l’incidence de lésions coronaires lorsqu’ils ont comparé 180 enfants coréens ayant reçu de l’IGIV avec ou sans AAS durant la phase aiguë (7,8 c. 3,9 %, respectivement; p = ,514)11. Deux études12,13 comparaient l’AAS à forte dose et l’AAS à faible dose. Une étude rétrospective réalisée à Taiwan signalait que l’incidence de lésions coronaires était semblable chez les enfants qui avaient reçu de l’IGIV avec une forte dose d’AAS (> 30 mg/kg par jour) et ceux à qui on avait administré de l’IGIV avec une faible dose d’AAS (3 à 5 mg/kg par jour) (52 sur 305 enfants c. 84 sur 546 enfants, respectivement; p = ,67)12. Une autre récente étude rétrospective effectuée en Israël rapportait des anévrismes coronaires chez 10 % des 196 enfants qui avaient reçu de l’IGIV avec de l’AAS à forte dose par rapport à seulement 4 % des 24 enfants ayant eu de l’IGIV avec de l’AAS à faible dose (p = ,34), et laissait entendre qu’il n’y avait pas de différence significative entre les groupes, mais qu’il pourrait y avoir des taux plus élevés d’issues indésirables de la maladie avec de l’AAS à forte dose13. Il a encore été démontré que l’AAS à forte dose était associé à une plus forte prévalence de lésions coronaires. Dans une étude rétrospective auprès de 182 enfants japonais, 111 avaient reçu de l’IGIV et une administration tardive d’anti-inflammatoires, et 71 avaient eu de l’IGIV avec des anti-inflammatoires (AAS ou flurbiprofène) durant la phase aiguë; l’étude a révélé que la prévalence de lésions coronaires était de 1 sur 11 enfants dans le groupe ayant reçu un anti-inflammatoire plus tard, comparativement à 11 enfants sur 71 dans le deuxième groupe (p < ,001), et après 30 jours de la maladie, la prévalence était de 0 sur 111 par rapport à 4 sur 71, respectivement (p = ,022)14. Des résultats semblables ont été signalés dans un questionnaire portant sur l’ensemble de la Corée du Sud15. La prévalence des anévrismes coronaires, en se fondant sur le score z (24,8 c. 18,3 %; p = ,001) et les critères japonais (19,0 c. 10,4 %; p < ,001) était plus élevée chez les 7947 patients qui avaient reçu de l’IGIV avec de l’AAS à dose moyenne ou forte (≥ 30 mg/kg par jour) comparativement aux 509 patients qui avaient eu de l’IGIV et de l’AAS à faible dose (3 à 5 mg/kg par jour) durant la phase fébrile aiguë. En se fondant à la fois sur les analyses à variable unique et aux analyses par régression logistique à variables multiples, les enfants qui avaient reçu de l’AAS à dose moyenne ou forte avaient environ 1,5 à 2 fois plus de risque probable d’anévrismes coronaires que ceux qui avaient pris de l’AAS à faible dose, en fonction respectivement du score z et des critères japonais.
Par ailleurs, la forte prévalence des anomalies coronaires chez les enfants qui ont reçu de l’AAS peut être influencée par l’indication, puisque les professionnels de la santé étaient plus enclins à prescrire de l’AAS aux enfants ayant des anomalies coronaires par rapport aux sujets sans complication aux artères coronaires.
La durée de la fièvre et l’AAS
Lee et ses collègues ont fait valoir que la durée moyenne (ET) de la fièvre après l’administration de l’IGIV était de 13,3 (13,5) heures dans le groupe recevant l’IGIV sans AAS, comparativement à 6,2 (8,3) heures dans le groupe à qui on administrait l’IGIV avec de l’AAS à forte dose (p < ,001)11. Kim et ses collaborateurs15 ont aussi rapporté que la durée moyenne de la fièvre était plus courte (5,7 c. 6,1 jours; p = ,001) dans le groupe prenant de l’AAS à dose moyenne ou forte, par rapport au groupe de l’AAS à faible dose. Les résultats de ces 2 études font valoir que l’AAS à forte dose pourrait réduire la durée de la fièvre; par contre, ses avantages quant à l’issue du traitement demeurent imprécis.
Les effets indésirables de l’AAS
Kuo et ses collègues12 ont signalé qu’après un traitement par IGIV, les enfants qui recevaient de l’AAS à forte dose avaient des niveaux d’hémoglobine significativement plus bas que ceux qui prenaient de l’AAS à faible dose (moyenne [ET] de 10,42 [0,08] c. 10,70 [0,07] g/dl, respectivement; p = ,006). De plus, parce que l’hepcidine joue un rôle dans le métabolisme du fer, une augmentation des niveaux d’hepcidine sérique chez les enfants atteints de la maladie de Kawasaki se traduit par des taux plus faibles de fer sérique disponible pour l’érythropoïèse, entraînant ainsi de l’anémie. Des taux plus élevés d’hepcidine sérique et une baisse plus tardive des taux d’hepcidine ont été observés chez ceux qui recevaient de l’AAS à forte dose par rapport à ceux qui prenaient de l’AAS à faible dose (moyenne [ET] de 163,98 [52,94] c. 81,48 [13,56] ng/ml [p = ,04], et 56,90 [46,42] c. 162,04 [22,66] ng/ml [p = ,02], respectivement).
Une autre inquiétude entourant l’utilisation de l’AAS concerne le développement du syndrome de Reye, qui a été signalé chez quelques enfants atteints de la maladie de Kawasaki ayant reçu de l’AAS à forte dose. On a observé chez ces enfants l’apparition aiguë d’un état mental altéré, accompagné d’une hépatomégalie et d’une élévation anormale des niveaux d’aminotransférases hépatiques. Le syndrome de Reye a été diagnostiqué à la suite d’une biopsie du foie16,17.
La durée d’une thérapie à l’AAS à faible dose
Selon les lignes directrices de l’American Heart Association, la dose d’AAS devrait être réduite lorsque l’enfant a été apyrétique pendant 48 à 72 heures1. Il faudrait continuer l’AAS à faible dose (3 à 5 mg/kg par jour) pendant 6 à 8 semaines après l’apparition de la maladie. Une récente étude rétrospective auprès de 84 enfants coréens atteints de la maladie de Kawasaki a signalé que la plupart des marqueurs inflammatoires (numération des globules blancs, taux de sédimentation des érythrocytes et niveau de protéines C-réactives) et thrombotiques (dosage des D-dimères) sont revenus à la normale après 3 à 4 semaines environ18. Si aucune lésion coronaire n’était détectée par échocardiographie, l’AAS à faible dose était discontinué. Lors du suivi après 6 à 8 semaines, on n’a constaté aucune nouvelle lésion coronaire, malgré un traitement de courte durée à l’AAS à faible dose. Quoique cette étude rétrospective ait révélé des données intrigantes, il est improbable qu’à elle seule, elle change les habitudes de pratique.
Conclusion
Le traitement à privilégier pour la maladie de Kawasaki devrait être l’administration d’immunoglobuline par voie intraveineuse accompagnée d’AAS à forte dose jusqu’à la disparition de la fièvre, et de l’AAS à faible dose devrait être prescrit pendant 6 à 8 semaines par la suite. Le rôle et l’efficacité de l’AAS pour les enfants atteints de la maladie de Kawasaki durant la phase aiguë ont récemment été remis en question, en particulier en ce qui a trait à la réduction anticipée de l’incidence d’anomalies coronaires. On s’attend à ce que d’autres études de recherche orientent d’éventuels changements à la pratique.
Notes
PRETx Pediatric Research in Emergency Therapeutics
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Les Drs Sakulchit et Benseler sont membres et le Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur, au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2017 issue on page 607.
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